Le siècle des Plantagenets


ANALYSES HISTORIQUES

LES EGLISES RURALES

Contrairement à ce que laisse entendre la légende dorée, venue bien tardivement, l'implantation des églises chrétiennes en Occident ne se fit pas sans difficulté. Les premiers apôtres délivrent un enseignement demeuré fidèle au message originel et, derrière ces accents d'entraide et de fraternité, se profile un esprit où seules les petites gens, les malmenés de la vie, vont se reconnaître. Ainsi, la société romaine conservatrice ne peut que les juger subversifs forçant alors les adeptes de la nouvelle foi à dissimuler leur état et leurs pratiques. Les premiers convertis sont issus de la société plébéienne qui s'active à la périphérie des villes. Les habitants de la cité les ignore et ce ne sont pas les rares bourgeois convertis qui modifient l'équilibre socio-religieux.

La crise des années 250/280 et les ruines engendrées vont modifier le contexte; les déesses tutélaires ont failli à leur charge mais si l'Occident se met à douter de ses antiques croyances, il entend relever ses ruines et les préoccupations religieuses deviennent secondaires. Cependant les miséreux sont innombrables et c'est un terrain fertile pour les chrétiens qui vont multiplier les conversions mais l'esprit régnant n'a pas changé et leur influence est maintenant jugée néfaste pour la restauration qui s'impose. Dès lors, les persécutions vont succéder aux regards tolérants qui étaient de mise et deviendront particulièrement sanglantes sous Dioclétien.

La personnalité de Constantin qui, avec l'Édit de Milan, impose la paix religieuse est difficile à cerner. Sa mère, Sainte Hélène, profondément croyante a sans doute joué un grand rôle dans sa décision et les chrétiens du temps ne s'y sont pas trompés qui ont accordé la sainteté à la mère et pas au fils. Parallèlement, le transfert du siège du pouvoir dans une ville nouvelle établie sur le Bosphore va sans doute ruiner les chances de la renaissance qui s'amorçait. Le pouvoir de Rome n'est plus à Rome et l'esprit oriental va ronger le nouvel empire, tandis que les chrétiens s'infiltrent dans tous les rouages de la machine administrative. Le pauvre Julien sera le dernier césar pétri de conscience impériale.

A Rome, l'Église tente de combler le vide politique et les évêques de la cité s'instaurent chefs de la chrétienté mais les fils du pouvoir sont rompus et si la renaissance constantinienne donne quelques espérances aux tenants de l'ordre antique, l'Occident ne peut retrouver les splendeurs d'antan. Dans les cités fortes du Bas Empire, les portes se ferment et une entente de notables acquiert le pouvoir mais, ce faisant, ils brisent un peu plus la conscience civique qui pourrait permettre l'organisation d'une force armée destinée à défendre les frontières. Dans ce désordre, l'Occident se trouve à la merci d'une soldatesque où l'avidité l'emporte sur le devoir et les généraux venus d'Orient auront grand peine à les discipliner. Ils ne pourront rien contre le déferlement de 406.

Dans les décades qui ont précédé, les chrétiens, infiltrés dans les instances impériales établies à Trêves ont profité d'un empereur qui leur était favorable, Théodose, pour faire reconnaître leur religion comme officielle. Ceci donnait logiquement droit de cité aux instances épiscopales jusqu'alors installées dans les faubourgs et les chrétiens qui s'imaginaient ainsi avoir gagné la partie seront cruellement déçus. Les ententes des grandes familles qui détenaient la réalité du pouvoir dans la cité vont se convertir à la religion nouvelle et installer la cathédrale intra muros. Ils trouveront, au sein des leurs, un prélat à leur convenance décomposant ainsi l'Occident en une multitude de petites principautés religieuses et condamnant tout pouvoir centralisé. Ainsi après la bataille de Soissons où Clovis, le roi de Tournai, a vaincu Syagrius le dernier des Romains, il peut sans difficulté coiffer la couronne avec l'aval de Rémi évêque de Reims. Le nouveau roi va rapidement assurer son pouvoir sur une bonne partie de l'Occident tout en rassemblant un patrimoine foncier considérable mais sans interférer avec le pouvoir des cités : tels étaient les termes du concordat tacite conclu entre Clovis et Rémi et chacun y trouvait son compte.

Cependant, les évêques bourgeois, bien installés dans leur cité forte, négligent les paroisses de leur diocèse et les communautés chrétiennes qui commencent à s'organiser vont gérer la vie religieuse dans le plus grand désordre. Les desservants seront choisis par le précédent pasteur, parmi ses disciples les plus doués, et la confirmation que l'évêque devrait donner est bien souvent négligée. Certes les évêques vont bien assurer un contrôle très relatif sur les gros villages et bourgades avec lesquels la ville a des liens économiques étroits mais, les deux tiers de la France, et notamment les terres de l'Ouest où les cités épiscopales sont -peu nombreuses, vont se trouver religieusement abandonnées. Dans les premières paroisses, la communauté chrétienne doit tout inventer, y compris un sanctuaire adéquate et c'est là que fleurit le parti primitif rural.

LE LEGS DU BAS EMPIRE

Dès 313, avec la liberté du culte accordée par Constantin, les chrétiens de Rome et des grandes cités du Bassin Méditerranéen sortent de l'ombre avec la volonté de conquérir les foules. Pour ce faire, ils vont lancer un vaste programme de construction et l'édifice le plus à même de répondre à leur besoin est la basilique civile romaine. L'empire les avait construites dans les grandes cités pour informer les foules, traiter des affaires publiques et répondre aux besoins des notables. Cela se faisait dans de très vastes constructions et sous l'égide de l'empereur dont l'effigie se trouvait installée dans une abside à l'une des extrémités de l'édifice. Les chrétiens ont maintenant le même objectif; il faut informer les foules et assurer leur éducation religieuse mais cette fois sous l'effigie du Christ également installée dans une abside. Le programme des nouveaux sanctuaires est ainsi naturellement trouvé et ce sont des maîtres d'œuvre, déjà spécialisés dans ce genre d'ouvrage, qui vont construire les premières grandes basiliques chrétiennes.

Rome donne le ton en élevant trois grands sanctuaires : Saint Pierre au Vatican, Saint Paul hors les murs et Saint Jean de Latran. Le plan de principe comporte une nef a trois ou cinq vaisseaux dont les élévations sont établies sur des files de colonnes monolithiques avec chapiteaux. Les ouvrages majeurs comportent un transept et l'abside se trouve dans l'axe du vaisseau central. C'est également ce plan qui sera adopté dans la plupart des grands sanctuaires chrétiens du Bassin Méditerranéen. Leur édification suit de peu la liberté de culte accordée par Constantin d'où l'appellation « basilique constantinienne » qui leur sera donnée. Cependant, l'ouvrage est considérable et si il convient aux communautés des grandes cités il sera bien délicat à miniaturiser.

Les versions simples vont perdre leur transept et ne compteront que trois vaisseaux dont les colonnes monolithiques seront bientôt récupérées sur les ouvrages civils ruinés.En Occident septentrional, après la seconde tourmente de 406, et avec l'exclusivité du culte accordé aux chrétiens, le dépeçage des monuments civils deviendra de règle et les chrétiens des siècles qui vont suivre oublieront l'origine de ces colonnes monolithiques qui deviendront vénérables parce que témoins des premiers temps de l'église. Elles seront récupérées et réutilisées après chaque ruine partielle.

Le nombre de ces basiliques latines découvertes par l'archéologie au XIX°s. a quelque peu masqué d'autres programmes de moindre importance. Là où les communautés chrétiennes n'avaient pas de grands édifices antiques à dépecer pour édifier leur sanctuaire, il fallait choisir des partis beaucoup plus simples : la nef unique comportant murs porteurs, abside et couverture sur charpente, sera adoptée par les communautés modestes mais, là également, les chrétiens vont s'inspirer de certains ouvrages civils réalisés par radministration impériale. Ce sont de petites basiliques édifiées dans les régions concédées à l'administration militaire, là où des administrateurs géraient les affaires publiques comme le feront les officiers des affaires indigènes dans nos colonies d'empire. Parfois l'abside en hémicycle laisse place à un volume polygonal de même largeur que la nef et ce plan semble avoir connu une large diffusion en Aquitaine, ainsi l'avons nous dénommé « basilique d'Aquitaine » pour le distinguer du plan inspiré de Rome qui semble se répandre majoritairement dans le sillon rhodanien, lieu privilégié des échanges avec Rome.

Toutes ces basiliques chrétiennes inspirées d'ouvrages romains ont une certaine importance; les plus petites couvrent une surface incluse entre 200 et 300m2 et la réalisation de ces programmes requiert des moyens que l'on ne trouve que dans les petites villes où grosses bourgades comportant de 2 à 4.000 âmes. En Occident septentrional des IV° et V° siècles, cela ne représente guère plus de 10 à 15% de la population globale. D'autre part, cette inspiration puisée dans les modèles civils ou aalministratifs romains sera le fait des provinces ayant des rapports étroits avec Rome et recevant d'elle les premiers prédicateurs venus du Bassin Méditerranéen. C'est ce que nous appellerons la chrétienté venue d'en haut en opposition aux petites communautés chrétiennes qui vont se former par génération spontanée au contact d'un voyageur inspiré et nous avons là 85 à 90% du peuple d'occident. Ces petites communautés rurales vont imaginer un sanctuaire qui soit à leur mesure. Elles feront de même pour l'organisation du culte et cette christianisation issue d'en bas sera peu orthodoxe.

LE CHRISTIANISME ISSU D'EN BAS

Les Grecs avaient déjà pris en compte les peurs et les espérances des hommes en partageant l'univers d'en bas entre le royaume d'Hades et celui des puissances infernales et les Romains vont s'en inspirer. Mais dans quel état l'homme était-il confronté à cet au-delà ? Certains y virent le royaume des ombres, la formule était plaisante. De leur côté, les Gaulois ne manquaient pas de croyances mais la nature et la situation des ex voto découverts par l'archéologie nous indique que ces sanctuaires fort fréquentés devaient répondre à des préoccupations très pratiques. D'autre part, les quelques grandes divinités identifiées par les Romains n'avaient pas de statuts clairement établis, ainsi leur fut-il facile de les apparenter avec celles déjà reconnues dans le monde Gréco-romain. Cependant, le développement des déesses tutélaires instauré dans les grandes cités va très vite jeter le trouble dans l'esprit des populations rurales; ces divinités honorées dans les grands centres urbains étaient-elles à même de répondre à leurs préoccupations ? Ainsi, les sanctuaires ruraux vont subsister, parfois reconstruits de manière monumentale par un mécène local désireux de s'acquitter de sa dette, mais, le plus souvent, laissés en leur état, comme les arbres, les sources et les rochers sacrés. L'ordre romain, très libéral face aux multiples croyances indigènes va laisser faire, cette grande diversité étant facteur de paix religieuse.

Enfin, ces divinités qui s'étaient peu à peu dégagées des pratiques ancestrales ne se souciaient guère de l'existence des âmes et de leur devenir. Quelques vagues croyances estimaient que les défunts se retrouvaient dans un monde parallèle mais souterrain et que les puissances qui régnaient dans cet univers étaient plutôt susceptibles; mieux valait ne pas les évoquer de peur d'être appelé par elles. Au Moyen Age et dans les périodes particulièrement sombres, ces divinités ressurgissent et sont représentées par le «faucheur». Par contre, le christianisme venu d'Orient véhicule un concept totalement différent : l'homme est double, fait de chair et d'esprit et l'âme lui est donnée par le seigneur qui veille sur ses fidèles. Cette croyance nouvelle aura quelque peine à convaincre les esprits occidentaux mais la tentation sera grande de se réserver une place dans cet Au Delà prometteur.

Le christianisme venu d'En Bas, s'imposera de manière très pragmatique : les plus fervents vont se fixer un lieu de culte totalement nouveau, loin de tous les anciens sanctuaires où les phénomènes paranormaux se sont manifestés. L'église chrétienne doit se trouver dans l'agglomération afin de faciliter la fréquentation tandis que les défunts seront enterrés au plus près du sanctuaire afin de bénéficier du regard et des attentions du maître des âmes et également pour être protégés par les prières des vivants. Il s'agit en fait d'un basculement radical des croyances, les défunts ne sont plus voués aux ténèbres mais à la lumière. Cependant ces préoccupations religieuses interfèrent quelque peu avec les vieilles croyances à usage très fonctionnel et les chrétiens vont bientôt imaginer une kyrielle de saints auxquels seront confiés toutes nos basses préoccupations.

LA GRANGE CONSACREE

Pour des raisons simples faciles à comprendre, nous ne pouvons espérer retrouver en état satisfaisant un petit sanctuaire rural datant du V°s., période où les pratiques chrétiennes pénètrent la France profonde, il nous faut donc adopter une démarche appropriée et, cette fois encore, c'est le concept du programme cher à Viollet Le Duc qui va nous éclairer. Tout édifice doit d'abord répondre aux besoins essentiels de ses utilisateurs, les aménagements de luxe et les phénomènes de mode viendront ensuite mais leur apport sera superflu. Ainsi nous pouvons déterminer, au mieux, les besoins de la communauté en question et définir l'ouvrage adéquate.

Il est constitué d'un volume rectangulaire avec murs porteurs et couverture sur charpente apparente permettant d'accueillir de 30 à 100 personnes en moyenne. Un édifice de cette nature existe naturellement en milieu rural; c'est la grange destinée à recevoir le fourrage d'hiver. Dans l'esprit des chrétiens de cette époque, pas de sacrilège à ce choix, le Christ n'était-il pas né dans une étable comme la légende se plaira à le proclamer ? L'ensemble clos se prête bien aux premières célébrations du culte qui vont revêtir un caractère confidentiel puisque les participants sont souvent minoritaires dans le hameau ou le village. Ces pratiques surprennent les non initiés mais la sérénité et la joie intérieure qui habitent les participants les intrigue et pique leur curiosité. Les curieux qui assisteront aux cérémonies seront rapidement séduits par la chaude fraternité qui s'en dégage. Certes il faut en franchissant la porte oublier tous les petits différends, voire les querelles ancestrales qui ne manquent pas au sein de la vie rude des campagnes, mais l'accueil que leur réservent ces premiers chrétiens va bien vite montrer aux nouveaux venus les avantages d'une vie sans haine et sans cupidité. Lors des froides journées d'hiver la cérémonie peut se dérouler dans une partie de la grange avec les animaux de la ferme à l'autre extrémité; la mythologie de Noël a trouvé son cadre et ses racines.

Les belles granges ont deux accès latéraux pour introduire la charrette et placer le fourrage sous les combles mais, sur les terres de l'ouest, l'engin est une charrette celtique tirée par deux bovidés attelés par le col et cet équipage ne peut reculer fauté d'avaloir, il faut donc réserver sur le revers de la grange un espace de rotation dit le pré tournant. Une fois l'ouvrage consacré au culte, c'est dans ce petit pré fermé de 100 à 200m2 que les défunts seront enterrés. Avec l'église et son cimetière accolé, nous avons ainsi les caractères qui vont traverser les siècles. Bientôt, un desservant venu d'ailleurs ou issu de la paroisse, sera nommé et logé dans les bâtiments contiguës. Enfin un espace convivial sera dégagé face à l'accès latéral : ce sera l'amorce de la place de l'église. Beaucoup plus tard, la celia prise entre le cimetière et l'habitat du desservant recevra un accès de façade, ce sera souvent le cas après reconstruction pour cause de sinistre.

Aujourd'hui nous trouvons ces petites églises du parti primitif rural dégagées au cœur d'un village mais il est facile d'imaginer la longue évolution et les stades successifs connus par l'ouvrage constamment réparé, reconstruit et agrandi. Lorsque le village se sera développé pour raisons économiques ou grâce à son sanctuaire, un second volume, plus important, sera établi à l'occident; le premier deviendra sanctuaire et le nouveau constituera une nef, quant à l'orientation est ou ouest, qui n'est pas toujours rigoureuse, elle fut donnée par les premiers pasteurs qui vont inciter les fidèles à se prosterner vers le soleil levant, vers la lumière. Heureuse coïncidence pour l'Occident, Jérusalem se trouve au Levant de la vieille Europe. Dans les villes, par contre, les premiers apôtres venus d'Orient savaient très bien que leur long parcours s'était déroulé vers le couchant.

LA REPARTITION GEOGRAPHIQUE

Ces petites communautés chrétiennes issues d'en bas et la grange consacrée qui les abrite vont se former partout où les conditions sont propices. L'évangélisation se fera au contact d'un prêcheur fervent et de bonne foi tout en refusant ceux dont la bonne parole a pour objet d'acquérir quelques subsides charitables. Rapidement la situation va se décanter et ce modèle original se maintiendra dans les régions où l'articulation rurale celtique domine, là où les petites exploitations sont installées sur leurs parcelles. Dans ces conditions, le lieu de culte n'est pas facile à fixer et l'endroit le plus favorable sera l'un de ces agglomérats ruraux formé par plusieurs fermettes rassemblées dans un cadre familial. Ce type d'implantation rurale va se maintenir majoritairement sur les terres de l'ouest en France et en Grande Bretagne. Ultérieurement, le hameau choisi sera favorisé par son lieu de culte et également par des caractères que nous allons énumérer dans nos études.

Ces petites communautés en pays celtique seront très tôt servies par un phénomène religieux particulier: les moines de la discipline irlandaise dont Saint Patrick et Saint Colomban furent les instigateurs. Face au christianisme venu d'en haut, dont les structures se développent chaque siècle davantage, ils proposent un tout autre esprit religieux né dans les îles Britannique dès le déclin de l'empire romain. Les peuples celtiques de Grande Bretagne longtemps maintenus dans les terres de l'ouest sous contrôle militaire romain, vont profiter des désordres de la fin de l'empire pour s'introduire sur les riches terres de l'est mais en seront bien vite chassés par les envahisseurs Angles et Saxons. De nombreux fuyards ne retourneront pas sur leur terre pauvre et franchiront la Manche pour s'installer en petite Bretagne et dans les provinces voisines. Au sein de ces populations se développe un esprit chrétien fidèle au message originel et qui, naturellement, s'oppose à la prise en mains des églises par les évêques bourgeois ainsi que par le Saint Siège. Leur credo est simple « je crois en Dieu mais pas au cadre religieux qui s'est instauré ». Certes cet esprit jugé frondeur s'inclinera un temps en Grande Bretagne devant l'emprise bénédictine du XI°s. mais ressurgira sous le couvert de la Réforme et de l'église anglicane.

Les pasteurs de cette discipline vont trouver bon accueil au sein des petites communautés. Le contexte leur est particulièrement favorable. Population peu instruite dans les écritures mais avide de savoir, évêchés lointains ou négligents et enfin nombreuses résurgences païennes. Ces dernières ne doivent pas être heurtées de front comme l'on fait certains prédicateurs venant d'Orient mais simplement absorbées et dénaturées avec subtilité, ce que ces irlandais feront d'excellente manière comme en témoigne l'iconographie romane. Ces pasteurs irlandais sont également sous un encadrement idéologique relativement strict, ce qui permet aux paroissiens de percevoir et de rejeter les prêcheurs de mauvaise foi, plus soucieux du gîte et du couvert que du service religieux. Cette église dite irlandaise sera sur la période historique contrainte de mille manières par les tenants de la discipline romaine et finalement condamnée par Louis le Pieux à la fin de l'époque carolingienne. Enfin, l'emprise des Bénédictins sur les campagnes, grâce aux nombreuses abbayes développées à l'époque romane semble occulter ce courant chrétien. Mais l'esprit va survivre et la meilleure illustration en fut l'église presbytérienne d'Ecosse, à son tour contrainte dans les Iles Britanniques, qui refleurira Outre Atlantique.

LA DATATION DES OUVRAGES

En France, pays de la démarche cartésienne et des encyclopédistes, la classification des édifices religieux anciens fut menée avec rigueur. Après quelques dérives engendrées par l'école des styles et les critères de forme, des analyses rigoureuses vont s'imposer. Elles fixeront quatre grandes périodes historiques : le Roman, le Gothique, les œuvres de la Renaissance et enfin le Classicisme. Parallèlement, les archéologues dégageaient les grands caractères de l'architecture antique mais cela laissait un vide d'environ six siècles qui sera jugé faute de témoignages évidents comme particulièrement pauvre, si ce n'est l'épisode carolingien. Cependant, les ouvrages bien caractérisés de cette époque sont rares en France. Dans ce contexte, certains initiés adopteront la règle de facilité qui leur faisait dire « malgré nos recherches nous n'avons rien trouvé, c'est bien la preuve que cette période était particulièrement pauvre ». La sagesse eut été de dire : avons-nous bien cherché ? Mais l'humilité n'est pas le fort de ceux qui ont beaucoup appris.

De toute évidence, il y avait là un parti pris avéré. Comment pouvait-on imaginer la population occidentale acquise au christianisme depuis le V° ou VI° siècle, vivre sans le sanctuaire indispensable à la célébration des offices ? Naturellement pour masquer notre incapacité à répondre à ces questions pertinentes, il était tentant d'imaginer un monde occidental dépeuplé et de nouveau livré au couvert végétal, une France réduite à quelques îlots d'humanisation mais, dans ces conditions, comment expliquer l'existence des villes sans assiette rurale ? La raison statistique peut mener à l'absurde.

Nos voisins britanniques furent mieux servis par les témoignages découverts. A côté de l'impressionnante architecture bénédictine amenée par les Conquérants venus de Normandie, subsistait en de maints endroits de petits sanctuaires ruraux qui vont intriguer les chercheurs. Dans un premier temps, la classification fut simple: ces ouvrages étaient antérieurs aux abbayes normandes, il s'agissait donc d'une architecture saxonne et cette appellation fut confirmée par les analyses historiques menées Outre Manche.

LE PARTI SAXON

Les Iles Britanniques furent, sur la période historique, séparées en deux par une ligne oblique partant de Cornouailles et joignant le Yorkshire. Ce sont les Romains qui la concrétiseront avec la limite des terres vouées à l'administration civile et celles peu commodes à gouverner confiées au pouvoir militaire. Cette ligne partageait également les riches plateaux calcaires du sud est favorables à l'agriculture, de celle très diverse du rivage atlantique propre au pastoral. C'était l'Angleterre blanche et rouge, celle des Celtiques et l'autre toujours livrée aux envahisseurs continentaux. Après le retrait des légions romaines, les Angles et les Saxons vont prendre ou reprendre possession des terres du sud et de l'est, refoulant ainsi les Celtiques sur leur pays d'origine. Le roi Arthur par ses victoires va arrêter les conquérants, mais avait-il vraiment l'intention d'aller au-delà ?

Comme nous l'avons vu, le christianisme à l'irlandaise va se développer sur les terres de l'ouest et c'est lui qui va assurer les premières implantations chez les Saxons. Dans le Northumberland, le roi saxon Oswald, 605/645, se convertit au christianisme et fait venir de Iona, sur la côte ouest où se trouvait la fondation de Saint Colomban, des missionnaires à qui il donne l'îlot de Lindisfarne, à charge pour eux d'y construire une abbaye. Rien de grandiose: de petites cellules indépendantes selon la coutume et, au centre, une petite église particulièrement rustique sans doute réalisée en troncs de chênes. Cette fondation n'aurait pas connu grande renommée si elle n'avait abrité en son sein un illustre personnage : Bède le vénérable, 673/735, qui tenta un rapprochement avec Rome et rédigea une très précieuse histoire de la chrétienté en Grande Bretagne.

Ce sont les moines venus de Lindisfarne et menés par Sedd qui partirent vers le sud afin de porter le message chrétien à d'autres communautés saxonnes. Une petite troupe arriva au nord de l'embouchure de la Tamise, dans la province d'Essex, en un lieu nommé Ythancestir. C'était alors une grande villa aménagée par les Saxons sur les ruines de la forteresse romaine d'Othona, l'un de ces puissants castrum Bas Empire destiné à défendre les côtes. Les religieux reçurent bon accueil et quelques années plus tard, ils purent construire une église, Saint Pierre ad Murum, consacrée vers 654. C'est pour l'essentiel une grange aménagée de 16,50m de long sur 8m de large avec des murs de 7,50m de haut sur une épaisseur de 0,70m. Postérieurement elle fut dotée d'une abside en hémicycle de même largeur que la nef et une cloison percée de trois arcs en briques romaines séparait la nouvelle œuvre de l'ancienne. Les murs sont réalisés en petits moellons romains de récupération avec quelques incrustations de briques et la couverture sur charpente apparente respecte un angle proche de 45°. De nombreux arrachements montrent qu'elle était incluse dans des bâtiments annexes construits à la même époque.

La petite communauté était toujours présente à 1' arrivée des Bénédictins accompagnant Guillaume le Conquérant mais, par chance, elle fut jugée trop pauvre pour être reprise dans l'un des vastes programmes caractéristiques de l'époque. Désaffectée au XVIII°s. elle sera sauvée par un exploitant agricole qui en fit une grange et c'est en 1920 qu'elle fut restaurée. C'est alors que l'abside détruite fut identifiée. Il est convenu de la considérer comme la plus ancienne église du genre conservée en Grande Bretagne. Certes, avec l'abside, nous pouvons la rapprocher des basiliques romaines établies dans les burgui mais la médiocrité de l'appareillage et de grosses pierres posées verticalement aux angles nous interdisent de voir en elle une basilique aménagée pour les besoins du culte. Ce programme rustique, dit Saxon, ne manque pas en Grande Bretagne mais le plan avec abside en hémicycle demeure exceptionnel, la majorité de ces petits ouvrages est constituée d'une cella ou de deux cella axées comme à Escomb ou à Bradford on Avon.

Les historiens britanniques eurent de bonnes raisons pour qualifier ces premiers sanctuaires d'ouvrages saxons mais le plan et le programme se retrouvent dans de nombreux édifices du continent bien difficiles à dater. La diffusion est donc commune à la Haute Époque et sur toutes les terres du littoral atlantique, aussi avons nous préféré les qualifier selon leur caractère, soit parti primitif rural.