LIMOGES
Limoges se trouve sur le haut cours de la Vienne, (Vigenna) à l'époque gauloise, le niveau moyen du fleuve est proche de 210m et le paysage environnant se situe entre 250 et 300m avec quelques sommets à 400 et plus. Il s'agit des derniers contreforts granitiques du Massif Central et les terres sont peu propices à la culture céréalière. C'est le pastoral qui s'est imposé tout au long de l'Histoire et l'articulation rurale est de caractère dit Celtique avec de petites fermettes centrées sur un terroir de 3 à 6ha. Avec, cependant, ça et là, des hameaux de six à douze foyers réalisés par regroupement familial. Dans le paysage, les pâturages le disputent aux surfaces boisées et l'occupation moyenne sur la période historique se situent entre 0,3 et 0,4 habitants à l'hectare, un contexte qui porte naturellement à la formation de bourgades et nuit au développement naturel d'une métropole.
Le cheminement coutumier suit les vallées. Celle de la Vienne dont le cours est sensiblement est/ouest avec deux affluents majeurs, le Thaurion au Nord et la Briance au Sud. Mais ces voies de caractère local ne s'intègrent dans aucun circuit d'ensemble et c'est l'infrastructure routière romaine qui va ouvrir la province sur l'Occident avec la voie d'Agrippa menant de Lyon à Saintes et lui fournir également une métropole qui va se développer à proximité du franchissement sur la Vienne. D'autres voies viendront compléter l'articulation et notamment des itinéraires Nord/Sud. Dès la Conquête, les populations rurales de la région entrent dans l'Histoire sous le nom de Lémovices, des Celtiques si l'on en juge par leur organisation socioéconomique. Us se sont développés là depuis le deuxième millénaire avant J.C, profitant de la sédentarisation des grands troupeaux de bovidés et repoussant peut être quelques peuplades pré celtiques dont le cheptel était majoritairement composé de chèvres et de moutons. Selon certains historiens locaux, la province a reçu, aux 111° et 11° siècles avant J.C, une implantation étrangère, de caractère germanique ou Goth. Quelques lieux dits, comme le Puy du Goth semblent en témoigner, mais ces gens venus en célibataire vont rapidement se fondre dans la population autochtone et les caractères socioéconomiques resteront celtiques comme en témoigne l'articulation rurale aujourd'hui encore préservée.
Lyon, Limoges et Saintes se trouvent sur la même latitude à quelques kilomètres près, c'est donc la Chaussée d'Agrippa qui va fixer la métropoles des Lémovices après avoir fait un détour vers le Nord pour éviter les hauts reliefs de 500 et 800m d'altitude que l'on trouve sur la ligne droite menant de Clermont à Limoges. Le tracé romain abordera ce dernier site en profitant d'un haut fond de cailloux et de graviers servant de gué et situé au pied de l'oppidum tenu par les populations locales. Ensuite, après un casse imposé par l'angle de franchissement, le tracé reprendra la direction générale de Saintes tout en négociant, au mieux, avec les difficultés du terrain. C'est un parcours difficile et, apparemment, nous avons perdu en cette région la trace de cette grande voie romaine, que nous retrouvons droite et rationnelle sur les 60 km précédant l'arrivée à Saintes.
AUGUSTORITUM
Si nous n'avons que peu d'informations écrites sur l'histoire antique de Limoges, la synthèse archéologique réalisée par Mathérat et la projection du contexte reconnu dans les autres cités d'Occident, nous permettent une approche très vraisemblable de l'évolution que connut la cité sur trois siècles. Les trois grandes chaussées dites d'Agrippa qui vont constituer l'ossature du futur réseau routier d'Occident eurent primitivement une fonction militaire et un tracé précoce. Dès V année 30 avant J.C, avec la Sécession de l'Occident puis la bataille d'Actium en 31 avant J.C qui rétablit la situation, l'Empire veut exploiter les réserves céréalières de la Gaule afin de parer à toute crise pouvant survenir en Orient et qui le couperait des greniers à blé des Ptolémées à Alexandrie. C'est sans doute vers les années 20 avant J.C que les ingénieurs romains fixeront les premiers tracés provisoires et aménageront un pont de bois au pied de l'oppidum des Lémovices. La surface haute, fermée d'une levée de terre, pouvait représenter 12 ha , soit une occupation de 2.000 personnes en aménagements larges avec accès charretier. A cela nous devons ajouter 1.500 artisans installés sur les rives du fleuve. Ces 3.500 personnes tireront bénéfice du franchissement permanent offert par le pont de bois, ce sera le premier développement. Quelques décennies plus tard, la première voie Nord/Sud, venant de Bourges, et allant vers Périgueux, impose un nouveau franchissement, ce sera le decumanus et l'espace situé au pied de l'oppidum devient marché ouvert puis forum. Ensuite, une perpendiculaire descendant de l'oppidum formera cardo. Les coordonnées d'une nouvelle cité ouverte sont ainsi établies, ce sera Augustoritum, vaste cité de caractère augustéen établie sur un réseau de voies régulièrement maillé et couvrant une superficie de 700 x 1.500m, soit 105 ha, ce qui peut représenter, avec 300 personnes à l'hectare, une population supérieure à 30.000 habitants à l'époque de son plein développement, vers le milieu du siècle des Antonins. A cette période, l'oppidum gaulois sera pratiquement déserté.
Augustoritum est certes une riche agglomération mais elle dépasse de beaucoup les capacités naturelles de son assiette économique. Sa richesse est artificielle et dépend en partie du commerce en transit et également d'un artisanat très évolué exploitant les matières premières fournies par le grand négoce. Enfin la ville sera servie par des transferts d'argent réalisés par de grands propriétaires terriens venus en ville pour bénéficier du mode de vie à la romaine.
LE BAS EMPIRE
Ce potentiel économique va disparaître au cours de la grande crise des années 250/275. Lors des périodes les plus aiguës, les populations vont se replier sur l'ancien oppidum gaulois et peut être dans un réduit aménagé à la hâte sur le forum provisoirement barricadé. C'est dans ce cahot qu'intervient Martial venu de Méditerranée pour prêcher la nouvelle croyance et son discours fraternel, mais également égalitaire, rencontre une audience certaine parmi les plus pauvres. Par contre, ceux qui regrettent la période faste de l'Empire et entendent restituer le cadre ancien, à tout prix, voient en lui un fauteur de troubles.
Quelle fut la vie de Martial à Limoges? Nous l'ignorons. L'essentiel des informations à son sujet nous est donné par Grégoire de Tours, mais il ne dit pas si l'apôtre fut martyrisé lors des persécutions de la fin du siècle ou s'il finit de sa belle mort. Après 313, avec la liberté accordée aux chrétiens, le culte de Martial se développe parmi la population besogneuse installée sur les ruines de la ville ouverte, par contre, les notables repliés derrière l'enceinte du Bas Empire édifiée à la hâte sur l'oppidum demeurent païens et très attachés aux souvenirs de l'ordre ancien. C'est après 400, avec l'exclusivité du culte donné par Gratien et Théodose, qu'ils feront construire une cathédrale sur les ruines d'un temple antique et un évêque d'obédience bourgeoise prendra la direction de la communauté chrétienne, mais cette emprise sur leur conscience n'est pas du goût des habitants du faubourg qui lui opposent le souvenir de Martial et construisent une église sur sa sépulture. Ainsi, Limoges, la métropole des Lémovices, devient, comme tant d'autres, une cité bicéphale et il en fut ainsi dans la majorité des métropoles romaines.
Sur les trois siècles qui vont suivre, Limoges vit modestement des seules ressources de son assiette économique. Si nous prenons comme il convient en territoire celtique un rayon maximum de 30km, ce qui représente 2.900 km2 ou 290.000 ha, avec une densité d'habitat de 0,3 à l'hectare, cela nous donne 100.000 personnes liées économiquement à la métropole. Dans le contexte pauvre de l'époque, cela donne environ 6 à 7.000 habitants pour la métropole et 2.000 pour les bourgades environnantes et nous pouvons distribuer la population de Limoges comme suit : 3.000 dans la cité fermée et 4.000 pour le faubourg établi sur les ruines de la ville ouverte.
Ces abbayes hors les murs constituent un phénomène imprévu par l'Église, initialement ce ne sont que des paroisses extérieures mais rapidement elles échappent au contrôle des évêchés et deviennent des centres religieux indépendants. Aux exercices du culte s'ajoutent de nombreuses fonctions charitables. Les desservants sont tous des laïques et celui qui a charge des sacrements est élu par la communauté des fidèles, il est le plus méritant et le plus instruit dans les Écritures Saintes. Ce contexte change vers 550/600 où des religieux de vocation qui se considèrent comme professionnels s'introduisent dans ces abbayes hors les murs. Ils sont pour la plupart issus de la discipline irlandaise et se veulent rigoureux tout en se défendant d'être inféodé à toute hiérarchie. Ensuite viendront les Bénédictins serviteurs d'une Eglise soumise au Souverain Pontife comme le voulut Grégoire le Grand, autant dire que tout sépare ces deux courants religieux et les luttes d'influence seront permanentes.
Ce sont sans doute les fervents de la discipline irlandaise qui vont prendre en mains le culte de Saint Martial et construire trois églises selon la coutume du temps. Elles sont aujourd'hui reconnues et se situent côte à côte, à la hauteur du transept de la grande abbatiale du XI°s. qui reprend sans doute l'espace consacré de l'église des fidèles.
LIMOGES AU CAROLINGIEN
Au cours de la brève renaissance carolingienne, le bourg connaît quelque développement et a gagné 1.000 ou 1.500 habitants. L'abbaye est devenue un vaste ensemble couvrant 2ha fermés d'une clôture légère qui se situe à 300m de l'ancien décumanus menant vers le pont principal. L'axe nord/sud est à nouveau emprunté par des voyageurs et marchands et l'abbaye se trouve ainsi hors du centre commercial.
A la fin du VIII°s. les comtes carolingiens s'installent dans l'agglomération. Ce sont pour l'heure des fonctionnaires révocables chargés de lever les taxes ainsi que les contingents de soldats destinés à soutenir la dure et longue campagne de Germanie, mais, avec les troubles de la fin de l'Empire ils vont s'instaurer comtes héréditaires; ce sera l'amorce de la féodalité. Limoges reçoit son fonctionnaire d'empire mais tout est fait pour le priver de moyens afin que les notables préservent leur contrôle sur la vie économique. Cela va changer avec les invasions normandes et c'est logiquement le fonctionnaire d'empire qui prend en charge les problèmes de défense mais la surprise est si grande que rien de sérieux ne fut fait, les notables de la cité vont relever les vieilles murailles du Bas Empire, tandis que les habitants du bourg vont se barricader dans l'enceinte de l'abbaye qui se révèle insuffisante Lors de la seconde invasion, ils avaient construit une zone de repli constituée d'une levée de terre de 140m de diamètre environ au centre de leur habitat, soit à proximité du décumanus; les défenses de l'abbaye seront également renforcées.
Dans les décennies qui vont suivre, ces deux ensembles seront reliés par des murs afin de former un espace unique. Ce phénomène va scléroser l'économie du bourg et donner une réelle puissance aux Comtes qui disposent maintenant d'une petite force armée que l'on peut estimer à une centaine d'hommes et ces gens vont sérieusement perturber la vie de la cité. Dès le X°s. la force comtale a dégagé le réduit de toute occupation civile et construit au centre une motte féodale dominée par un donjon de bois, ce sera désormais le château.
LIMOGES AU XI°S.
Dès le début du XI°s., Limoges est touché par le renouveau économique et par le grand élan religieux qui s'instaure en Occident. La cité forte qui a relativement peu souffert des incursions normandes tire profit de la navigation fluviale de nouveau active ainsi que du franchissement sur le vieux pont réaménagé. D'autre part, un artisanat qui fuit les contraintes comtales revient sur les rives du fleuve au pied de l'oppidum. Dès 1012, l'évêque Audouin entend tirer profit du phénomène, fait démolir la vieille nef de sa cathédrale et entreprend un nouveau programme, plus vaste, avec des bas côtés voûtés, comme cela se pratique dans quelques grandes cités septentrionales, Reims, Dijon et Tours. Ce glissement du potentiel économique va naturellement ulcérer le pouvoir comtal.
Sur la même période, le grand élan religieux qui porte de nombreux pèlerins vers Saint Jacques de Compostelle, via les cols des Pyrénées occidentales, touche Saint Martial de Limoges et la grande abbaye Saint Martin de Tours inscrit ce sanctuaire sur l'itinéraire qu'elle prescrit. Les voyageurs affluent mais ces petites gens coûtent plus qu'ils ne rapportent; l'abbaye doit se tourner vers les bourgs et paroisses environnantes pour trouver des subsides et cela lui donne une grande influence. C'était à l'évêché de réaliser cette reprise en mains du diocèse mais il ne l'a pas fait. Ces moyens acquis par l'abbaye vont lui permettre de se développer et les premiers programmes porteront naturellement sur les bâtiments d'accueil mais, dès le milieu du siècle, l'abbatiale se révèle nettement insuffisante, il faut envisager un nouveau programme et c'est l'école de Saint Martin de Tours qui maîtrise le projet.
Les travaux commencent à une date indéterminée. Les caractères de l'ouvrage, tels que nous le connaissons puisqu'il fut détruit à la Révolution, militent pour le milieu du siècle, 1050/1060. Le chevet comporte cinq chapelles rayonnantes et un transept avec bas côtés comme à Saint Martin de Tours. C'est semble-t-il ce modèle qui sera repris vingt années plus tard à Saint Sernin de Toulouse. L'ouvrage est conséquent et le projet prévoit, en fin de chantier, un voûtement des grands vaisseaux. Les travaux avancent lentement et l'accueil des pèlerins pèse lourd sur le budget de l'abbaye. Nous avons une consécration en 1095 mais nous pouvons douter qu'elle couvrit l'ensemble de l'ouvrage et notamment la longue nef. Cependant, nous admettrons que l'aménagement des tribunes, ainsi que les grandes voûtes furent mises en attente. A l'appui de cette hypothèse nous remarquerons que les bases du grand clocher occidental, dont les caractères sont proches de celui de Saint Hilaire de Poitiers, peuvent être datées des années 1070/1090.
Dans ce contexte de renouveau économique, l'articulation bicéphale de l'agglomération créé de nombreuses tensions. Le Comte perçoit ses taxes et l'Evêque ses dîmes, ainsi artisans et commerçants choisissent-ils le cadre le plus avantageux et l'évêque qui traîne des foules de fidèles dans sa nouvelle cathédrale offre des conditions plus attractives mais les notables des deux bords se jalousent également. En 1073 ou 1074, le vicomte Adhémar juge qu'il peut se permettre un coup de force sur la cité pour imposer sa loi au Chapitre mais les spadassins incontrôlés qu'il engage dans l'opération incendient une partie de la ville ainsi que la nouvelle cathédrale. Adhémar doit faire amende honorable dans un sanctuaire à peine restauré. Cependant, comme les intérêts du bourg et de la cité sont toujours divergents, les querelles persistent. En 1105, ce sont les hommes d'armes du domaine comtal, sans doute manipulés, qui saccagent à nouveau la cité et mettent une fois encore le feu à la cathédrale. Ensuite, dans le courant du XIPs., la puissance comtale jugée fort nuisible sera enserrée et étouffée dans une enceinte plus vaste que le bourg va confier à une milice bourgeoise. Cette nouvelle muraille protège une surface de 22 ha environ, soit une capacité d'habitat supérieure à 8.000.
Au début du XIII°s., Limoges a retrouvé ses caractères de métropole économique et ecclésiastique, les foires et marchés lui amènent une clientèle nombreuse et les sacrements et confirmations dont l'évêque se réserve le privilège, justifient le déplacement des populations environnantes, et par ces apports de moyens, la ville dépasse à nouveau les capacités naturelles permises par son assiette économique. Elle doit compter 20.000 personnes réparties comme suit : 4.000 dans la cité et le long des voies de plateau, 8.000 dans le bourg Saint Martial et 6 à 8.000 artisans sur les bords de la rivière afin de bénéficier de l'eau courante et des transports par voie d'eau. La ville a presque retrouvé son importance de la période antique mais la présence des bourgades environnantes va limiter son développement futur.
LIMOGES : LA CATHEDRALE ROMANE
L'évêque Audouin est un homme énergique. En 1012, désireux de faire reconstruire sa cathédrale et peu enclin à de longues tractations afin de trouver le financement nécessaire, il fait démolir une partie de la vieille oeuvre et fixe une date impérative pour le commencement des travaux. De cette manière, il met les notables de la cité dans l'obligation de subvenir aux besoins du chantier. Quelle partie fait-il démolir? La nef sans aucun doute. Le sanctuaire est indispensable au culte et le transept servira, comme de coutume, de point de liaison aux campagnes à venir. Ces braves gens sont ainsi privés des grands baptêmes, des mariages fastueux et des funérailles grandioses auxquels ils tenaient tant afin de marquer leur rang. Pour traiter ainsi ses ouailles, Audouin n'était pas des leurs. Venait-il de l'abbaye de Saint Martin de Tours? Peu probable dans la cité. Nous dirons qu'il s'agissait d'un personnage issu de la mouvance bénédictine, l'un de ceux qui se rapprochaient alors de Cluny afin d'acquérir soutien et coudées franches avec la référence pontificale
LA NOUVELLE NEF
En ce début du XI°s. quel parti choisir? Les rares colonnes monolithiques du Bas Empire miraculeusement préservées ne peuvent subvenir, il faut une élévation puissante établie sur piles rondes ou carrées maçonnées. La pile ronde pose quelques problèmes au niveau de transition (chapiteaux appareillés) alors les piles carrées s'imposent. Elles sont de tradition carolingienne et peut être déjà présentes dans la vieille nef reprise après les destructions dues aux Normands (846/847). Le choix suivant portera sur l'étagement. Les grands programmes qui voient le jour à cette époque, Saint Rémi de Reims, Saint Bénigne de Dijon et Saint Martin de Tours ont choisi la composition à trois ou quatre niveaux avec des arcades supérieures qui deviendront tribunes après voutement des bas côtés. Ce sera sans doute le choix d'Audouin. Les bas côtés sont-ils déjà voûtés? Selon les arrachements de la façade c'est très probable et cette hypothèse est confirmée par la tenue de l'édifice lors de l'incendie de 1073. La largeur des collatéraux est de 3m 60 ce qui est compatible avec les procédés archaïques. Ainsi conçu, l'ouvrage va résister aux incendies de 1073 et de 1105. Enfin précisons que cette nef ultérieurement aménagée et voûtée doit tenir jusqu'à la construction de la cathédrale gothique commencée en 1273, la conception était donc robuste et la facture soignée.
Ces piles comportaient-elles des colonnes engagées destinées à porter un rouleau de décharge sous l'archivolte? Probablement pas. (référence à Saint Rémi de Reims) mais il existait des structures destinées à porter les doubleaux des bas côtés. S'agissait-il de colonnes engagées avec chapiteaux et tailloirs ou bien de piles de même nature se prolongeant naturellement en doubleaux? Il est difficile de trancher. C'était la cathédrale d'une grande cité et le maître avait les moyens de s'informer sur les réalisations contemporaines. L'école de Saint Rémi de Reims proposait alors des piles engagées rectangulaires que nous retrouvons aujourd'hui taillées en double colonnes, tandis que Saint Martin de Tours, plus proche, utilisait la colonne engagée. Les rapports d'élévation qui nous sont fournis par les arrachements observés sur le clocher occidental militent pour l'école de Saint Rémi. Les tribunes couvertes sur charpente étaient à priori sans structuration et l'étage correspondant au triforium ne devait pas figurer dans cette triple élévation. Enfin, les fenêtres hautes, de bonne taille, donnaient un éclairement satisfaisant. Voilà pour la nef. Sa largeur utile est modeste: 8m environ, ce qui favorisera le voutement après le sinistre de 1105. En facture XI°s. la hauteur sur charpente peut être estimée à 16 ou 17m.
L'ouvrage se poursuit sur neuf travées en occupant sans doute l'espace de l'atrium. Il n'y a donc pas de difficulté de terrain et l'essentiel des travaux sera réalisé avec des échafaudages en sapine, seules les voûtes des bas côtés requièrent des coffrages mais ils sont démontables et réutilisables. La dernière travée doit toucher l'ancien campanile signalé en 1014. Dans une agglomération importante, où tous les corps de métier sont présents, où l'approvisionnement en bois et pierres sera régulièrement assuré par la batellerie de la Vienne, les travaux doivent avancer rapidement. Un achèvement vers 1035 est concevable et c'est une date trop précoce pour envisager la réalisation du grand clocher actuel, le campanile du X°s. va subsister un temps.
LE CHEVET
Après la construction de la nef dont les finitions vont tarder, comme toujours, les travaux porteront sur un nouveau chevet. L'autel est installé à la croisée, là où il se trouvait à la Haute Époque et le Chapitre devenu important s'installe dans un croisillon. C'est son développement qui va justifier, dès le Carolingien, la partie droite des sanctuaires. Les travaux du XIX°s. ont mis à jour une partie de la crypte établie sous ce chevet. L'ouvrage comportait un déambulatoire mais pas de chapelles rayonnantes, c'est un parti qui va se répandre dans les provinces du Nord, au Xïï°s. mais que l'on est surpris de trouver en Limousin dès le XI°s. Les voûtes d'arêtes de la crypte centrale sont archaïques et sur une disposition irrégulière mais les colonnes et les chapiteaux sont simples et fonctionnels, nous pouvons admettre un commencement des travaux dès l'achèvement de la nef, soit vers 1140.
Il nous faut concevoir une élévation compatible avec cette première moitié du XI°s. Le plan d'abord. Il nous est suggéré par le dessin de la crypte et nous le verrons comme suit : autour du sanctuaire huit colonnes sur plan rayonnant légèrement outrepassé, puis une travée droite de 3m environ qui s'appuie côté transept sur une pile rectangulaire flanquée d'une demi colonne. Ces supports sont en appareillage maçonné avec une forme de transition en guise de chapiteaux. Les piles du chevet de La Couture, au Mans, constituent un bon exemple de ce procédé. Au dessus, les arcades sont en plein cintre avec une voûte en berceau annulaire sur le déambulatoire et formes en pénétration là où cela s'impose. Le mur extérieur est sans structuration avec un simple bandeau destiné à porter le berceau, l'éclairement est assuré par une demi couronne de fenêtres. Quelle est la hauteur de ce premier niveau? Nous dirons relativement faible puisque le vieux transept sans croisée n'impose pas de respecter le niveau des quatre arcs.
Sur ces bases, les parties hautes comportaient naturellement un second niveau correspondant aux combles du déambulatoire mais ce dernier était-il couvert sur charpente ou bien en lauses maçonnées sur l'extrados de la voûte? Ce dernier traitement qui fut privilégié sur bon nombre d'édifices régionaux sera retenu. C'est une composition qui ne demande qu'une faible hauteur. Enfin, le sanctuaire comportait-il un cul de four en composition aveugle ou bien un niveau de fenêtres hautes et une couverture sur charpente. Le déambulatoire sans chapelle rayonnante n'a pas de justifications religieuses ou liturgiques et nous dirons qu'il était, là, pour épauler le cul de four du sanctuaire. Ce chevet représentait un ouvrage important et nous donnerons pour son achèvement la date de 1060.
LE CLOCHER
Citant un passage de la chronique d'Adémar, le chanoine Arbellot signale qu'il existait, en 1014, un campanile à l'ouest de la cathédrale mais ce ne peut être celui que nous voyons aujourd'hui. S'agissait-il déjà d'un ouvrage destiné à se défendre des actions menées par les gens du château, c'est possible. Dans ce cas, il devait fermer l'accès de ratrium ou correspondre à un mur de clôture comme nous l'avons suggéré à Saint Savin sur Gartempe. L'ouvrage actuel constitue un clocher porche préservant un accès privilégié à la nouvelle nef, ce qui implique un découpage irrégulier des travées du premier niveau, disposition que l'on ne trouve ni à Saint Benoît sur Loire, ni à Saint Hilaire de Poitiers, tous deux fidèles au découpage archaïque. La partie romane de ce clocher comporte trois niveaux se décomposant comme suit : 8m pour le premier, puis 9m 20 et 7m 80 pour les suivants. L'ouvrage culminait donc à 25m avec une primitive couverture en charpente.
Comme la plupart des clochers du XI°s. il n'y a pas d'escalier à vis et l'on peut supposer que les accès au niveau supérieur se faisaient à l'aide d'échelles facilement déplaçables afin que les nivaux supérieurs constituent un bon refuge face aux menaces extérieures. Les aménagements du XIX°s. ont dégagé des arrachements de voûte correspondant à l'ouvrage roman mais les niveaux sont peu convaincants, sauf si nous admettons que la cathédrale gothique se trouve à lm50 ou 2m au dessus du niveau roman, hypothèse qui peut se confirmer avec le clocher dont les assises ont disparu sous les remblais. Ce sont ces derniers qui ont justifié la reprise des voûtes du premier niveau. Par contre, nous ne trouvons pas trace sur la face est du clocher d'arrachements correspondant à une grande voûte établie sur la nef romane après le sinistre du 1er juillet 1105 que l'on doit, cette fois encore, aux gens du château. Nous pouvons supposer que la façade de la nef reçut à cette époque une découpe et un arc indépendants correspondant aux nouveaux doubleaux.
Au XIII°s. vers 1242, les trois étages romans qui avaient sans doute perdu leur couronnement reçoivent le haut clocher gothique que nous voyons aujourd'hui mais la charge est excessive et, très vite, il fut constaté que l'ensemble donnait les premiers signes d'inclinaison vers l'est. Il fallut établir un puissant massif d'épaulement sur le volume de la dernière travée occidentale. Le maître d'oeuvre profita de cette occasion pour installer un escalier à vis flanquant le clocher.
LES AMENAGEMENTS
La cathédrale du XI° était pratiquement achevée en 1074 lorsque le vicomte Adémar l'incendia en voulant imposer sa loi au Chapitre. A cette époque les travaux se poursuivaient encore sur l'étage supérieur du clocher ce qui était sans conséquence sur l'exercice du culte. Quels furent les dégâts? Dans leur action les manants du château ont sans doute allumé des feux face aux portes de l'édifice pour mieux les enfoncer mais les braises portées par l'air chaud vont atteindre les charpentes qui s'embrasent. Le sinistre se propage alors aux combles de la nef et du transept. Devant l'ampleur du sinistre, Adémar comprend la folie de son geste et c'est par ce méfait qu'il entrera dans l'Histoire. Pour expier, en 1075, il fait amende honorable devant un autel de la cathédrale, sans doute celui d'une chapelle orientée du transept, rapidement restauré pour les besoins du culte, mais les vieux murs ont du bouger et ils seront restructurés en externe après rétablissement de la couverture. Les dégâts de la nef sont sans doute plus importants. Les travées orientales liées aux maçonneries perpendiculaires du transept et celle de l'occident, stabilisées par la façade et le clocher ont bien tenu mais celles du centre ont subi les effets de l'effondrement des combles et menacent ruines. Les parties basses maintenues par les tribunes se sont mieux comportées.
Les responsables du Chapitre s'interrogent sur les meilleures réfections à réaliser. Dans ces conditions il faut cloisonner l'ouvrage avec des arcs diaphragmes sur les tribunes surmontés d'un mur pignon aligné sur le comble. Cette intervention nous semble la meilleure formule car installer un second niveau de tribunes était une entreprise considérable et un choix architectural qui demeurait étranger aux régions de l'Ouest. Après avoir réalisé ces structures perpendiculaires, il suffisait d'intervenir sur les parties hautes par trop déstabilisées. Ces travaux vont durer une bonne dizaine d'années et sont achevés lors de la consécration par le pape Urbain H, en 1095. Les haines entre la cité et les gens du château ne sont pas éteintes et, dès 1105, des bandes armées du comte assaillent l'enclos du Chapitre et, à nouveau, incendient la cathédrale. Cette fois encore ce sont les charpentes qui se consument mais les élévations maintenant cloisonnées résistent bien.
Dès 1106, les travaux de restauration s'engagent et l'ouvrage assurera son office jusqu'à l'édification de la cathédrale gothique. A-t-il gardé sa couverture sur charpente? C'est peu probable. Pour les historiens des XIX° et XX°s., René Fage et les autres, la cathédrale sera entièrement voûtée sur le premier tiers du XII°s.. Cela ne fait aucun doute mais aucune observation concrète ne vient soutenir cette hypothèse. A cette époque, Limoges se trouve sur le chemin de Saint Jacques et toutes les grandes abbatiales qui jalonnent le parcours reçoivent une voûte en berceau plein cintre avec doubleau sur la nef et des demi berceaux de contrebutement sur les bas côtés. Ce procédé expérimenté à Saint Martin de Tours sera appliqué à l'abbatiale voisine de Saint Martial et ce fut sans doute le procédé choisi par le maître d'oeuvre de la cathédrale. Cette adaptation était logique mais cela demeure une hypothèse satisfaisante.
En 1012, l'évêque Audoin juge sa cathédrale trop petite, la fait démolir et trace, lui-même, le plan d'un édifice beaucoup plus vaste. Les travaux commencent dès 1013 et de l'oeuvre nous avons conservé la tour occidentale aujourd'hui englobée dans les massifs d'épaulement de la surcharge gothique, ainsi qu'une grande crypte à l'est. Le clocher qui fut peut être le modèle de la génération, fierté de la province, est venu sans doute en clôture du programme vers 1030/1040, mais la crypte avec déambulatoire, sans chapelle rayonnante, est une oeuvre puissante destinée à recevoir un chevet voûté et c'est un parti qui ne peut être daté du début du XI°.
Cette première cathédrale brûle vers 1070, à la suite d'une querelle entre les bourgeois de la cité et le comte de Limousin, Adémar. L'édifice est restauré et de nouveau consacré le 29/12/1095, par Urbain II. Le chevet date sans doute de cette époque. Au cours de la campagne, les travaux portent également sur la nef pour en assurer le voûtement, comme le pense René Fage. Des arrachements sur le revers de la tour-clocher témoignent en ce sens, mais l'édifice brûle de nouveau en 1105.
Sur cette période, deuxième moitié du XI°, le faubourg Saint-Martial reconstruit également l'abbatiale qui se trouve consacrée en 1095. Est-ce une consécration totale ou partielle? Nous l'ignorons mais l'oeuvre achevée comportait une grande nef avec berceaux plein cintre et des tribunes avec demi—berceaux de contrebutement. Les trois vaisseaux étaient sous un même comble. Enfin, un clocher identique à celui de la cathédrale dominait l'édifice à l'ouest. Cette oeuvre romane majeure en Limousin disparaît dans la tourmente révolutionnaire.
La nef de Saint—Martial était-elle dérivée de l'oeuvre de la cathédrale ou inversement? Nous l'ignorons. Mais ce parti que nous retrouvons fin XI°, début XII°, sur les églises de pèlerinage ainsi qu'en Auvergne, était donc bien fixé à Limoges dès 1100.
Selon une vie de Saint Martial, c'est lui qui, vers 250/260, a mené le peuple de la ville au temple romain pour y briser les statues païennes et consacrer le lieu à Saint Etienne. Ensuite, les persécutions de Dioclétien vont restaurer les croyances anciennes et la construction d'une cathédrale sur les ruines d'un temple ne peut se concevoir qu'à la fin du IVos. époque où les chrétiens obtiennent l'exclusivité de culte. Nous pouvons imaginer une basilique paléochrétienne à trois nefs. Ensuite, plus aucune information. En 1012, l'évêque Audoin juge sa cathédrale trop petite et entreprend la construction d'une nouvelle dont nous pouvons restituer le plan inclus entre le chevet (A) et le clocher (B) soit 48m de long sur 18m de large. La crypte partiellement comblée comporte un déambulatoire (C) mais pas de chapelle rayonnante. Il s'agit sans doute d'un ouvrage de la fin du XI°s. établi sur l'ancienne abside. Quant à la tour occidentale réalisée en fin de programme, elle peut dater des années 1050/1070, soit avant l'incendie de 1074 qui suivit le saccage mené par le vicomte Adhémar. Restauré et voûté l'ouvrage se maintiendra jusqu'à la construction de la cathédrale gothique (1273)
En 1012, l'évêque Audouin fait démolir la vieille nef mais préserve le transept (A) et l'abside correspondante L'ouvrage nouveau comporte une élévation à trois niveaux (B) sur grosses piles rectangulaires ( C ). Les bas côtés sont coiffés de voûtes d'arêtes (E) avec doubleaux (F) basés sur des piles engagées (G) ou colonnes de même nature (H). L'ouvrage qui comporte neuf travées est achevé vers 1035 et touche le campanile signalé en 1014. A cette époque, nef (J) et transept (A) sont toujours couverts sur charpente. Le programme suivant porte sur un nouveau chevet et sa crypte dont nous avons dégagé la partie sud. Il comporte un sanctuaire (K) prolongé d'une partie droite (L) et un déambulatoire (M) sans chapelle rayonnante. Les bases sont très puissantes et suggèrent un ouvrage archaïque du second tiers du XI°s., 1040/1065, environ avec une élévation sur grosses piles maçonnées (N) et berceau annulaire (P) sur le déambulatoire. Nous avons suggéré un cul de four aveugle comme pratiqué à cette époque. Vers 1070, le vieux campanile est remplacé par le beau clocher (Q) à trois niveaux. Après 1073, la nef reçoit les arcs (R) et, vers 1100, le grand berceau (S) avec doubleau (T) sur colonnes additives (U) ainsi que la voûte en demi berceau (V).