LE POITOU

ARCHITECTURE ROMANE

Le Poitou est une belle et paisible province qui eut, sur la période historique, le privilège de demeurer hors les grandes querelles des nations. Hormis quelques affrontements seigneuriaux et les effets des guerres de religion, les campagnes et les bourgades connurent au cours des siècles une existence paisible où l'architecture romane put vieillir sereinement. Mais cette absence d'épreuves fait que les textes nous manquent et les édifices sont bien délicats à dater, d'autant que certaines chroniques nous perturbent davantage qu'elles ne nous informent.

CARACTERES GENERAUX

Comme nous le pratiquons de coutume, l'analyse architectonique doit nous permettre une première classification générale et, pour cela, nous allons suivre le cheminement de certaines innovations techniques importantes et tenter d'apprécier leur diffusion en Poitou, comme dans les autres provinces de l'Ouest.

Au premier chef, il y a le profil brisé qui va se substituer au plein cintre sur la première moitié du XII°s. Les manuels du XIX°s. affirmaient sans équivoque que le plein cintre caractérisait le roman et l'arc brisé le gothique. Il fallut la perspicacité de Violiet le Duc pour briser cette théorie. Le propre du gothique était la croisée d'ogives, un simple regard sur les édifices clunisiens de Bourgogne suffisait pour s'en convaincre. A Cluny III et à Paray le Monial, des arcs brisés s'intègrent dans un édifice authentiquement roman. Cette innovation que nous avons largement traitée dans le Grand Siècle Bourguignon s'impose dans le bassin de la Grosne de 1090 à 1100 et se diffuse ensuite dans le cadre de l'architecture clunisienne. A quelle date ce dessin va-t-il gagner le Poitou? 1130 nous paraît convenir mais nous le trouvons également sur les ouvrages à file de coupoles du Périgord dès 1110, cependant il s'agit là d'une composition très spécifique et tous les arcs mineurs portes, fenêtres et structures d'encadrement demeurent en plein cintre. En fait, les constructeurs du Poitou mettront un certain temps à exploiter la forme hors de son contexte, et la date de 1130 s'en trouve confirmée.

LES PILES QUADRILOBEES

La quasi totalité des constructeurs romans suit une évolution classique qui va de la colonne monolithique à la pile cantonnée en passant par les supports ronds ou rectangulaires maçonnés puis ils accoleront deux, trois et quatre colonnes engagées sur ce noyau. Par contre, les maîtres du Poitou vont se distinguer en concevant une pile quadrilobée qu'ils seront les seuls à exploiter. L'innovation doit voir le jour à Saint Hilaire lors des travaux destinés à coiffer la nef d'une file de coupoles polygonales sur trompes réduites. Ce procédé naît en Bourgogne, à Cluny III, puis à Paray le Monial vers 1090/1110 et nous pouvons admettre son adoption à Poitiers dans les décades qui suivent, soit vers 1120/1125. Ensuite les aménagements de Saint Hilaire se poursuivent d'Est en Ouest et les piles de la croisée qui portent la première coupole réalisée vers 1125/1130 sont toujours avec noyau rectangulaire. C'est dans l'étape suivante que nous trouvons la première pile quadrilobée du programme qui porte à la fois la demi travée en berceau et la seconde coupole, et, dans une chronologie raisonnable, sa datation peut être située vers 1130.

LES CHEVETS A CHAPELLES RAYONNANTES (XI°S.)

Ce type de chevets, que nous dirons à grand développement, a des origines incertaines. En plan, la disposition est très précoce puisque le dessin au sol de celui de Milon à Troyes et de Saint Martin à Tours, sont antérieurs à l'An Mille. Mais si ces informations sont précieuses, elles ne nous renseignent pas sur les compositions en élévation. Sur le siècle qui suit nous trouvons deux écoles distinctes, d'une part le sanctuaire aveugle ou le cul de four est directement posé sur la demi couronne de colonnes et l'éclairement uniquement confié aux fenêtres du déambulatoire et des chapelles rayonnantes. La largeur à l'axe de ces ensembles entièrement voûtés est généralement inférieure à 9m.. D'autre part, une composition avec fenêtres hautes, qui semble propre aux régions septentrionales, mais réalisée sans voûte sur le sanctuaire et sur des édifices dont la largeur à l'axe dépasse 12m.

En fin de cycle, nous aurons la composition la plus élaborée avec un niveau de triforium face aux combles du déambulatoire, un niveau de fenêtres hautes et un cul de four. Mais ces réalisations sont installées sur des largeurs réduites, situées entre 8 et 10m, exception faite de Cluny III et de Paray le Monial. De son côté, l'Auvergne, va se distinguer en plaçant une couronne de fenêtres sous le cul de four mais en supprimant le niveau correspondant au déambulatoire, ce dernier étant couvert de dalles de pierre intégrées à l'extrados des maçonneries.

Pour ces chevets, nous pouvons également nous référer à la régularité du découpage rayonnant, lui seul permettant une disposition rationnelle des doubleaux et des voûtes d'arêtes. A la période archaïque, les constructeurs ont eu recours à un berceau annulaire avec des volumes en pénétration. Ensuite, en traitement transitoire, certains ont installé des voûtes d'arêtes totalement déformées et donc sans doubleau. Enfin, dans la formule achevée, le découpage rayonnant régulier avec doubleau permet d'obtenir des secteurs de voûte en trapèze dont le blocage sera traité indépendamment. Cependant, ces caractères énumérés ne peuvent que donner des informations relatives, pas une datation certaine. Quelques constructeurs furent novateurs et d'autres fidèles aux procédés ayant fait leurs preuves.

LES REALISATIONS DU POITOU

Saint Martin de Tours est sans conteste le modèle qui inspira les constructeurs du Poitou, mais l'ouvrage a disparu et le chevet de Saint Savin sur Gartempe semble le plus ancien. Dans un premier traitement, les cinq chapelles rayonnantes qui devaient comporter de petites travées intermédiaires furent disposées sur un hémicycle régulier mais, très vite, le constructeur réalisa que le périmètre choisi était insuffisant alors il opta pour un hémicycle avec partie droite. C'est l'ouvrage que nous voyons aujourd'hui et la chapelle sud témoigne de cet essai malheureux. Le constructeur de Saint Léonard de Noblat a pratiqué de même. A Saint Savin, la couronne de fenêtres hautes que nous voyons aujourd'hui fut aménagée ultérieurement. Il s'agit, là, de la première réplique du chevet de Saint Martin de Tours. Les dates d'édification sont incertaines mais si nous acceptons l'opinion émise par de nombreux auteurs, c'est Eudes II, ancien prieur devenu abbé de 1023 à 1050, qui serait l'auteur de cette première campagne portant sur le chevet, le transept, ainsi que les chapelles orientées mais pas la tour de croisée. L'ensemble de l'ouvrage serait alors daté des années 1030/1050.

En seconde position nous placerons le chevet de Saint Hilaire de Melle. C'est un ouvrage de taille modeste mais puissant et rustique où les formules archaïques sont admirablement exploitées. L'abside est très petite, 4m20 d'ouverture et le déambulatoire relativement large, mais le découpage rayonnant est parfaitement régulier ce qui est surprenant pour la Haute Époque. Le sanctuaire comporte quatre colonnes et le déambulatoire est voûté en berceau annulaire mais, comme il est large, les volumes en pénétration sont réduits. Pour respecter le découpage rayonnant il n'y a que trois chapelles sans travée intermédiaire et les chapelles orientées chevauchent partiellement les travées externes. Cet ensemble bas épaule parfaitement le cul de four du sanctuaire aveugle et nous avons l'impression d'une réalisation taillée pour affronter l'éternité. Nous la daterons des années 1060. L'ouvrage n'est pas sans rappeler celui de Vignory en Bourgogne du Nord.

Sur les décades qui vont suivre, l'illustre modèle de Saint Martin de Tours, avec ses cinq chapelles rayonnantes et travées intermédiaires, demeure la référence en plan et son dessin sera repris à Cluny III et à Saint Sernin de Toulouse mais la composition engendre quelques problèmes en élévation et c'est la composition a trois chapelles rayonnantes qui devient majoritaire. Sur cette période de transition qui va de 1060 à 1080, les constructeurs abandonnent la formule aveugle et la couronne de fenêtres hautes devient de règle mais les réactions engendrées par le cul de four mettent bon nombre de réalisations en péril alors, pour réduire la hauteur, des fenêtres sont parfois établies en disposition plongeante à la base du cul de four.

1070/1080 est également la période où les ouvertures de chantier se multiplient en Poitou mais c'est aussi une époque où les influences extérieures deviennent nombreuses, le chevet de Saint Pierre de Chauvigny est à la croisée des chemins. Son plan comporte un hémicycle prolongé et trois chapelles installées sur un angle très ouvert, 150°. Le découpage rayonnant est très régulier. En élévation, nous trouvons à la fois archaïsme et innovation. Le déambulatoire est voûté d'un berceau annulaire porté, côté sanctuaire, par six colonnes de proportions raisonnables mais nous rencontrons cette fois un niveau médian caractérisé, garni de colonnettes et d'arcatures. L'ensemble est coiffé d'un cul de four percé de trois fenêtres en partie basse. C'est une expérience réussie. A l'extérieur, l'ouvrage est richement décoré et la corniche du sanctuaire monte très haut pour s'aligner pratiquement sur le sommet du cul de four. C'est une disposition qui permettait l'établissement d'une couverture en lauses et qui avait également pour mérite de constituer un tas de charge confortant l'équilibre. Même traitement sur les chapelles rayonnantes. Enfin, sur le déambulatoire, les lauses étaient posées sur une seconde voûte en demi berceau qui épaulait convenablement le cul de four. Le chevet de Chauvigny a sans doute beaucoup fait pour donner confiance aux bâtisseurs du Poitou et nous pouvons le dater des années 1070/1085.

Sensiblement à la même époque, le constructeur qui réalise le chevet voisin d'Airvault mélange cette fois archaïsme et audace. Il reprend les trois chapelles accolées de Saint Hilaire de Melle mais, pour éviter qu'elles n'interfèrent avec celles du transept, il allonge sa partie droite d'une travée tout en préservant le découpage rayonnant régulier. En élévation il développe les hauteurs, ce qui permet un meilleur éclairement venant des fenêtres du déambulatoire et des chapelles, mais il conserve le cul de four du sanctuaire aveugle. Ce chevet figurait sans doute dans le programme consacré en 1100 et la conception de l'ouvrage doit dater des années 1070.

A la même époque, nous trouvons deux réalisations importantes. Il s'agit de Notre Dame la Grande de Poitiers ou trois chapelles sont installées sur les faces du chevet polygonal de la basilique d'Aquitaine. Ce travail est précoce, vers 1070/1075. Ensuite le constructeur installe un hémicycle défini par une couronne de colonnes et voûte l'ensemble avec cul de four prolongé d'une section de berceaux sur la partie centrale et voûtes d'arêtes sur le déambulatoire. Cette campagne menée en deux temps explique le découpage rayonnant fantaisiste. Les deux chapelles externes forment un angle important, disposition que nous retrouverons sur certains grands chevets du XI°s. Notons également que cette grande ouverture convient bien à l'allongement de la partie droite qui ne cesse de s'accentuer. L'ensemble du chevet de Notre Dame La Grande doit être terminé vers 1090.

La seconde réalisation est le beau chevet de Saint Hilaire de Poitiers, une oeuvre originale avec ses quatre chapelles rayonnantes. Le sanctuaire est toujours aveugle mais le cul de four est établi sur de hautes et fines colonnes comme à Airvault. S'agit-il de respecter un modèle illustre tel saint Martin de Tours ou mieux d'obtenir, comme nous l'avons suggéré, un meilleur éclairement tout en conservant la voûte du déambulatoire en bonne situation pour épauler le cul de four. Cette explication nous paraît plus probante et pour ce faire, les bâtisseurs se sont sans doute inspirés des voutements de nef à trois vaisseaux sous un même comble où les bas côtés épaulent convenablement la grande voûte. Cette hypothèse semble trouver confirmation à Saint Philibert de Cunault où sur un très long chevet, le constructeur marie admirablement les trois vaisseaux de la partie droite avec un hémicycle sur hautes colonnes.

A Saint Hilaire de Poitiers les autres caractères demeurent conformes aux choix provinciaux du XI°s, le déambulatoire est coiffé de voûtes d'arêtes archaïques sans doubleau, par contre, les quatre chapelles rayonnantes sont richement aménagées et l'attachement du sanctuaire suggère une couverture primitive en lauzes. L'ouvrage est difficile à dater, nous n'avons aucun texte à notre disposition mais l'analyse architectonique que nous avons menée précédemment nous donne une fourchette 1090/1100. La qualité du traitement architectural des chapelles rayonnantes fera école dans les décennies à venir.

LES CHEVETS DU XII°s.

Sur les premières décennies du XII°s, les constructeurs du Poitou semblent très engagés dans l'achèvement de divers programmes et les innovations ne seront pas de leur fait. A l'abbaye de FONTEVRAUD, le maître d'oeuvre qui dispose de grands moyens construit un chevet à chapelles rayonnantes établi à l'est d'un volume basilical du parti d'Aquitaine. Le plan choisi comporte un hémicycle allongé. Le déambulatoire à onze travées ouvre sur trois chapelles rayonnantes mais avec travées intermédiaires bien caractérisées. Les dix colonnes à tambour de l'hémicycle sont hautes et graciles, comme à Saint Hilaire de Poitiers où à Airvault et le déambulatoire est toujours coiffé du berceau annulaire, mais avec doubleaux comme le découpage régulier le permet. L'étage médian de faible hauteur est garni d'arcatures puis surmonté d'une couronne de fenêtres hautes, elles aussi modestes. Enfin, l'ensemble est coiffé d'un cul de four prolongé d'une section en berceaux. C'est sans doute le prototype des oeuvres achevées du XIIs. Il est daté des années 1106/1115.

Au Moustier Neuf (Montierneuf), la grande église non voûtée, commencée en 1080 et consacrée en 1096, n'est plus au goût du jour. Vers 1120/1125 et dans l'axe de l'ouvrage du XI°s., un maître d'oeuvre entreprend de construire un grand chevet avec déambulatoire et chapelles rayonnantes et son inspiration est guidée par l'oeuvre de Saint Hilaire. Le plan au sol est très régulier, il comporte un hémicycle de cinq travées rayonnantes et un déambulatoire ouvrant sur trois chapelles avec travées intermédiaires. Le déambulatoire est coiffé d'une voûte d'arêtes cloisonnée de doubleaux, c'est une première en Poitou, enfin, la partie droite est constituée de deux travées parfaitement caractérisées et indépendantes de l'hémicycle. Là également la décomposition des deux éléments est une première en Poitou, à l'extérieur les chapelles rayonnantes sont richement traitées, comme à Saint Hilaire. Enfin, le mur extérieur du déambulatoire comporte un bandeau aligné sur le sommet des chapelles et un autre plus élevé qui semble dessiné pour une couverture sur charpente et un sanctuaire aveugle. Ce niveau haut a malheureusement disparu pour laisser place à de grandes fenêtres gothiques. Aujourd'hui l'ouvrage est parfaitement restauré mais il a tragiquement souffert lors de la période révolutionnaire. La datation est incertaine mais, selon nos analyses architectoniques, nous donnerons pour période d'édification 1120/1135.

Toujours à Poitiers, le volume basilical d'Aquitaine de l'église Sainte Radegonde va, lui aussi, recevoir un chevet à trois chapelles rayonnantes. Le plan est parfaitement dessiné et la chapelle axiale est plus grande que les deux autres. C'est une innovation, par contre le sanctuaire fut remanié. Les six grosses colonnes du premier niveau sont de la première campagne mais, la couronne de fenêtres hautes sur base polygonale, est une reprise ultérieure et là encore l'hypothèse d'un premier sanctuaire aveugle est à envisager. L'ensemble périphérique, déambulatoire et chapelles, seront datés des années 1120/1135 tandis que la couronne de fenêtres hautes est postérieure à 1150. L'ensemble fut contracté pour se lier au volume d'une nef existante, et cette dernière sera ultérieurement reprise et coiffée de voûtes d'ogives angevines à la fin du XII°s.

Enfin, l'ultime réalisation de la première moitié du XIIs. est sans doute le chevet de Saint Jouin de Marne. Malgré les arcs en plein cintre que l'on trouve dans les parties les plus anciennes, la conception de l'ensemble est tardive avec, notamment un triforium prévoyant un cul de four structuré de nervures en croix comme à Lusignan. Dans sa facture initiale, nous dirons que c'est une oeuvre de la période 1140/1150 et par conséquent une reprise engagée après l'achèvement de l'abbatiale commencée en 1110 et interrompue vers 1140 sur la septième travée occidentale.

LES NEFS EN ELEVATION

Pour clôturer cette revue des caractères généraux du roman en Poitou, voyons les nefs. Le parti majeur, la basilique paléochrétienne et romaine, est présent à Saint Hilaire de Poitiers et sans doute à la cathédrale du XI°s. puisque les deux tours de façade antérieures à l'oeuvre gothique, devaient flanquer la nef précédente. Le parti basilical d'Aquitaine, déjà abordé dans des études précédentes, qui se caractérise par un volume unique flanqué d'aménagements latéraux en bois avec une section proche du carré, était également présent dans la province. Il figurait à Notre Dame la Grande avant les reprises des XI° et XIIs. ainsi qu'à Sainte Radegonde. Ce parti était sans doute grandement répandu dans la province puisque c'est lui qui donnera naissance à la composition à trois vaisseaux voûtés sous un même comble.

Si nous jugeons sur pièce, la plupart des édifices romans du Poitou sont de caractère XII°s. mais il serait bien surprenant que cette riche province ait attendu l'an 1100 pour construire des églises qui vont, d'emblée, opter pour des caractères achevés. Ici, comme dans la plupart des régions d'Occident, la renaissance rurale commence dès 950. Pour confirmer cette datation haute, nous verrons dans les provinces voisines d'Aunis, Saintonge et Angoumois, de nombreux ouvrages également de caractère XII°. Mais, à l'analyse ils sont le fruit d'aménagements réalisés sur des édifices du parti primitif rural avec deux cella axées et couverts sur charpentes et il doit en être de même pour le Poitou.

La basilique d'Aquitaine avec ses couvertures et tribunes latérales en bois était, plus que toute autre, exposée aux incendies et certains constructeurs vont remplacer les supports latéraux en bois par des piles de pierres. Dès lors, la composition de la nef est à revoir. Il faut élargir les bas côtés sans toucher à la largeur du vaisseau central. Cette mutation se fit à la fin du mérovingien puisque l'église carolingienne de Saint Généreux adopte déjà cette disposition. Bien entendu les piles ne sont pas encore reliées par des arcs et ce sera l'étape suivante. Nous avons proposé des aménagements de cette nature sur la nef carolingienne de Saint Savin sur Gartempe.

Ainsi, dès 850/900, le volume à trois vaisseaux sous un même comble est acquis mais les piles ont tendance à flamber sous l'effet des déformations de charpente; il faut les renforcer et les relier par des arcs longitudinaux tout en conservant l'alignement haut des quatre élévations afin de préserver la portance des fermes. Ce parti archaïque à trois vaisseaux doit trouver ses caractères sur la période 900/950. Ces nefs peuvent être directement clôturées par une abside flanquée de deux absidioles. Cependant le transept est très apprécié par tradition comme pour son usage liturgique et va s'imposer dans de nombreux édifices de moyenne importance. C'est ce parti qui justifiera les belles façades romanes de l'Ouest qui sont parfois antérieures à l'aménagement de la nef, comme à Saint Nicolas de Civray.

LES OEUVRES DU XI°S.

Vers 1050, mise à part la Normandie qui a choisi un programme particulier, toutes les provinces de France recherchent des procédés satisfaisants pour voûter les nefs de leurs églises et dans cette démarche la Bourgogne a pris une sérieuse avance. Le narthex de Saint Philibert de Tournus offre un catalogue complet des procédés archaïques parfaitement exploités et la nef de Cluny II, aujourd'hui disparue, fut sans doute une réalisation exemplaire. Mais, dans les deux cas, ce sont des ouvrages entièrement nouveaux que les constructeurs ont traités à leur guise, sans contrainte, ce qui était exceptionnel. Dans la majorité des cas, les programmes doivent tenir compte de l'existant et les maîtres de fabrique rechignent à démolir les beaux édifices légers réalisés de fraîche date ( la blanche robe d'églises qui a couvert l'Occident). Les provinces de l'Ouest n 'échappent pas à la règle. Parmi ces oeuvres, nous trouvons les traditionnelles basiliques paléochrétiennes, généralement des cathédrales, et la basilique d'Aquitaine, un parti plus simple, privilégié, semble-t-il, dans les abbayes et dans les édifices de second rang. C'est sur ces ouvrages que les premières expériences de voûtement seront tentées et particulièrement sur les nefs dont la largeur permet une décomposition satisfaisante en trois vaisseaux.

Les procédés exploités alors sont classiques, voûtes d'arêtes sur les bas côtés et berceau plein cintre sur la nef mais sans niveau de fenêtres hautes afin de préserver le volume traditionnel de la basilique d'Aquitaine. Ce sera la naissance des trois vaisseaux voûtés sous un même comble et deux ouvrages vont se distinguer sur la fin du XI°s. Il s'agit de la nef de Saint Savin sur Gartempe et de celle de Notre Dame la Grande de Poitiers.

Saint Savin est la plus archaïque et sans doute la plus ancienne. Les travaux qui porteront sur les six travées de la nef correspondent à la seconde campagne menée de 1060 à 1100 qui inclut également la base de la tour de croisée ainsi que la couronne du sanctuaire. Quel fût l'ordre des travaux? Selon les impératifs architectoniques, il est logique de placer la tour de croisée en premier et les colonnes du sanctuaire en second ( elles sont excentrées par rapport aux chapelles rayonnantes) mais il est également possible de les placer en troisième position. Cette option nous donnerait la chronologie suivante : base de la tour de croisée, 1060/1070, programmation de la nef vers 1072, achèvement des six travées vers 1085 et coffrage du grand berceau immédiatement après, soit avant 1090.

Cette nef est une réalisation archaïque mais superbe. De hautes piles rondes maçonnées mais graciles montent haut pour respecter le volume de l'ouvrage ancien, les murs extérieurs seront refaits en puissance et les bas côtés reçoivent des voûtes d'arêtes sans structuration aucune. Le respect des niveaux anciens est impératif puisque l'ouvrage nouveau doit se raccorder avec le transept et le narthex existants. Ensuite la nef sera coiffée du grand berceau en plein cintre sans doubleau que nous voyons aujourd'hui magnifiquement décoré. Pareil traitement impose de coffrer l'ouvrage d'une seule pièce et c'est une réalisation exceptionnelle qui demande des échafaudages considérables. Cette manière de faire ne sera jamais reprise dans la province.

La réalisation impressionne les contemporains et le maître d'oeuvre qui travaille sur Notre Dame la Grande et vient d'achever le clocher décide de l'appliquer sur la nef. Les murs existants seront repris en plaquage externe mais pour éviter l'énorme coffrage imposé par la formule retenue à Saint Savin, la grande voûte sera décomposée en travée par des doubleaux. Ce choix condamne la pile maçonnée et impose une colonne engagée et par voie de conséquence une pile cantonnée. Les voûtes d'arêtes des bas côtés seront, elles aussi, structurées de doubleaux et clôturées, côté nef, par une archivolte bien caractérisée basée sur les deux colonnes engagées correspondantes. Cette composition ne fait que reprendre les options de la travée clocher réalisée quelques années plus tôt. Désormais, l'architecture de l'Ouest, a son parti de référence.

LES REALISATIONS DU XII°S.

Les aménagements de Saint Savin et de Notre Dame la Grande constituaient des audaces au XI°s. et les constructeurs du Poitou mettront quelques temps avant d'adopter communément ces procédés de voûtement sur leurs édifices. A cela quelques raisons, bon nombre de nefs du parti basilical d'Aquitaine étaient trop étroites pour être décomposées en trois vaisseaux et ce sont les voûtes angevines de la fin du XII°s. qui permettront leur aménagement, comme à Sainte Radegonde de Poitiers. D'autre part, les ouvrages de caractère paléochrétiens n'étaient pas aptes à recevoir ces procédés d'où les choix aventureux faits dans l'aménagement de Saint Hilaire. Les premières décennies du XII°s. vont donc constituer une période transitoire où seule la nef du Montierneuf offrait les caractères requis pour une reprise inspirée de Notre Dame la Grande. Ensuite, dès 1130, ce sont les constructeurs engageant des programmes nouveaux qui vont exploiter le parti en question.

Dans nos analyses, nous pouvons retenir trois critères : l'adoption de la pile quadrilobée peu avant 1130 et celle de l'arc brisé entre 1130 et 1140. D'autre part nous suivrons sur les décennies 1135/1170 la longue modification que connaît l'équilibre des trois vaisseaux. Dans la formule archaïque, les tailloirs des doubleaux du bas côté sont alignés avec ceux des archivoltes, ce qui place la base du grand berceau au dessus des voûtes des bas côtés d'où une mauvaise transmission de la résultante. Ceci concerne les nefs de Saint Savin, de Notre Dame la Grande, du Montierneuf ainsi que dans les ouvrages nouvellement fondés, Chauvigny et Champedenier.

Sur la seconde période, les assises des doubleaux des bas côtés et de la nef seront dissociés de ceux des archivoltes ce qui permet un meilleur équilibre relatif des trois vaisseaux. Dans ce groupe, nous trouvons les nefs de Lusignan et d'Aulnay de Saintonge où les constructeurs ont repris une enveloppe antérieure. Saint Hilaire de Melle que nous allons considérer comme le chef d'oeuvre du genre, Saint Maurice de Gencey et Saint Nicolas de Civray qui se distinguent par des travées particulièrement longues et Lancroitre dont la puissance et l'archaïsme ne sont pas nécessairement signes d'antériorité. Enfin, l'oeuvre la plus achevée est la nef de Nieul sur l'Autise où les trois berceaux sont pratiquement alignés et les réactions additionnelles essentiellement confiées à l'inertie des murs externes extrêmement puissants. Cette évolution aboutit à la composition architectonique que l'on trouve dans les travées de la cathédrale de Poitiers traitée avec des voûtes angevines. Nous allons clôturer avec la nef originale de Partenay le Vieux où les doubleaux perpendiculaires ne sont pas alignés mais où les bas côtés reçoivent des demi berceaux de contrebutement ce qui assure un meilleur épaulement de la grande voûte mais augmente d'autant les réactions sur les murs extérieurs.

Parallèlement, le traitement des berceaux évolue. Les voûtes élaborées sont constituées d'une coquille interne composée de petits moellons travaillant en compression et d'un blocage d'extrados réduit au sommet et particulièrement renforcé sur les reins de la voûte. C'est la formule que le maître de Cluny avait imaginée pour le chevet de Cluny III au début du XII°s. et qui mit fort longtemps à s'imposer.