SAINT LEONARD DE NOBLAT
Le site de Saint Léonard se trouve sur une crête dominant le cours de la Vienne avec, au revers, la dépression d'un petit affluent, c'est une position forte. La Chaussée d'Agrippa menant de Clermont Ferrand à Limoges franchissait le fleuve à 2 km au nord ouest mais les fortes pentes engendrées par le tracé ont probablement justifié une dérivation aménagée durant le siècle des Antonins et passant au pied du site. Ce dernier reçoit sans doute, dès le Bas Empire, les populations environnantes à la recherche d'un refuge, et ce fut plus une bourgade fermée qu'une cité forte où 600 à 1000 personnes subsistèrent modestement.
Au temps Mérovingien le contexte religieux du Limousin est fort semblable à celui que l'on rencontre sur l'ensemble de l'Occident septentrional. Les évêques d'obédience bourgeoise régnent sur les cités et les abbayes hors les murs commencent à prospérer mais la majorité des populations rurales gèrent leur croyance chrétienne à leur guise et selon les circonstances. Dans les campagnes du Centre, où l'implantation rurale dite celtique est de règle, les prêcheurs inspirés soutiennent la foi des plus isolés. L'un d'eux, Léonard, arrive sur les bords de la Vienne. D'où vient le personnage? La légende dorée va nous conter sa très belle et très édifiante histoire. Il est né en 494, près de Vendôme dans une « noble » famille franque. Après avoir fait ses études religieuses à Reims, auprès de Saint Rémi, il refuse toute charge ecclésiastique et va parcourir le Val de Loire. Après une première retraite à Micy, en Orléanais, il est rejoint par son frère peut être Saint Liphard qui, lui, va fonder le monastère de Meung sur Loire. Quelques années passent et Léonard repart en quête de solitude, marche vers le sud, atteint le Berry puis le Limousin pour s'installer sur les bords de la Vienne, à quatre lieues en amont de Limoges.
Cette mesure de distance est d'origine gauloise mais ce sont les Francs qui vont la fixer. La démarche est simple, il s'agit de la distance qui sépare deux gros villages céréaliers sur les plateaux occupés par les conquérants mais ce n'est qu'une valeur moyenne, ultérieurement elle sera fixée à 4km 500. Sur les cartes actuelles, nous pouvons toujours contrôler cette valeur mais en pays Celtique l'estimation est impossible et la lieue devient fantaisiste sans excéder 6km. Saint Léonard est à 22km de Limoges par la route et environ 25 par le fleuve, ainsi la mesure réalisée par les scribes de Saint Martial exploite bien une lieue de 6km.
Léonard s'installe dans un endroit isolé et boisé, sur les bords de la Vienne, à proximité du bourg. Sa vie est exemplaire et les petites gens du voisinage viennent auprès de lui chercher bonne parole et réconfort tout en lui fournissant de quoi subsister. Vers 530, l'ermite a rassemblé près de lui une ou deux douzaines d'anciens prisonniers désireux de se racheter. Il les emploie à déboiser, à cultiver et cette petite communauté rurale bien gérée, va construire un modeste oratoire qui deviendra la chapelle Notre Dame Sous Les Arbres.
A une date indéterminée, probablement vers 535, le roi Théodebert 1er,petit fils de Clovis, (504/547) est de passage en Limousin. Il est accompagné de son épouse enceinte et doit s'arrêter le temps venu. Ils s'installent dans un palais carolingien situé sur la rive sud de la Vienne, à quelques kilomètres en amont de Limoges, Palais sur Vienne conserve le souvenir de ce domaine. Cependant la délivrance est difficile, la médecine se révèle impuissante et le roi fait appel à Léonard dont la renommée est déjà grande, ce fut le bon choix. Après quelques prières et quelques remèdes, la reine fut enfin délivrée. Le roi demanda au saint homme ce qu'il désirait en récompense mais ce dernier demanda simplement que l'on exempte sa communauté de toutes charges et impôts. La Chapelle Sous Les Arbres devient Nobliacum. Nous pouvons nous poser une question. Pourquoi Léonard voulut-il que sa pauvre communauté soit exemptée de charges? C'est une clause qui sera sans doute évoquée à point nommé cinq siècles plus tard.
Léonard quitta ce bas monde en 559 et fut enseveli dans son oratoire. Au siècle suivant, la petite chapelle tombant en ruines, les habitants du bourg décident de rapatrier à l'intérieur de l'agglomération les reliques du saint et revendiquent les avantages fiscaux qui lui sont attachés. La paroisse prend le vocable de Saint Léonard Le Noble ou Le Noblat.
Durant les guerres d'Aquitaine, Pépin le Bref visita sans doute le sanctuaire. Au siècle suivant, l'empereur Louis le Pieux fait construire une nouvelle église ainsi qu'un emplacement particulier pour le tombeau du Saint. Nous savons que le monarque condamnait fermement les communautés pratiquant la discipline irlandaise et ces travaux eurent sans doute pour objet d'établir un cadre plus favorable à la discipline bénédictine. A la fin du IX°s. Saint Léonard est ravagée par une troupe de normands mais l'église sera relevée de ses ruines. Dès l'an 1000, le pèlerinage vers la Galice prend son essor et de nombreux voyageurs venant du Bassin Rhodanien retrouvent l'ancienne Chaussée d'Agrippa pour rejoindre la voie majeure allant de Tours aux Pyrénées. Ce faisant, ils passent au pied du site de Saint Léonard et bon nombre d'entre eux vont prier sur les reliques du saint homme. L'église est vite encombrée, il faut construire un édifice plus vaste, ce sera fait avant le milieu du XI°s.
L'ouvrage est de bonne taille, la nef fait 33m de long sur 11,15m de large en interne, le transept 28m par 7,50m, et l'abside en hémicycle doit faire 10m de diamètre. La surface utile est donc proche de 570m2 hors abside, ce qui convient pour un millier de personnes. C'est une construction légère, entièrement couverte sur charpente mais bien éclairée. L'ouvrage étant particulièrement sensible au feu, les aménagements ne vont pas tarder.
LES AMENAGEMENTS XI° ET XII°S.
Pour la majorité des auteurs, le premier aménagement réalisé fut la belle rotonde voûtée qui vient s'intégrer à l'angle nord de la nef et du transept mais une reconstruction partielle réalisée après 1878 nous prive de bon nombre d'informations. La partie centrale de l'ouvrage est coiffée d'une coupole hémisphérique en blocage qui repose sur huit colonnes avec chapiteaux d'un traitement particulièrement fruste. Le déambulatoire reçoit un berceau annulaire avec doubleau, enfin, l'enveloppe externe comporte quatre petites absides sans ouverture, l'éclairement étant donné par des fenêtres ouvertes dans des travées intermédiaires. C'est un ouvrage parfaitement conçu mais archaïque dans son traitement et sa datation est délicate. Il est d'inspiration méditerranéenne et c'est la péninsule italienne qui offre les meilleurs exemples du genre mais ils sont plus vastes et partiellement voûtés.
Si nous proposons de voir en cette rotonde une œuvre carolingienne réalisée à l'instigation de Louis le Pieux, ce serait audacieux mais défendable. Par contre, si nous suivons le communément admis, c'est une réalisation de la fin du XI°s qui s'intègre maladroitement aux maçonneries de la nef. Cependant, en faveur de l'option carolingienne, nous pourrions suggérer que le mur du XI°s. a repris les bases du IX°s. et le transept a tenu compte de la rotonde. Enfin, en tout état de cause, l'appellation de Saint Sépulcre donnée à cette ouvrage au XII°s. a, sans aucun doute, perturbé les jugements. La seconde intervention extérieure portera sur le beau clocher limousin qui flanque le mur nord et touche la rotonde. C'est une œuvre puissante dont le premier niveau absorbe le mur extérieur de la nef. Il comporte neuf piles cantonnées formant quatre travées coiffées de voûtes d'arêtes. C'est une composition archaïque qui implique certaines difficultés, notamment pour l'implantation de l'escalier. L'ouvrage semble inspiré du clocher qui flanque de même manière la nef de Saint Hilaire de Poitiers mais l'origine de cet archaïsme peut remonter à la tour clocher de Saint Benoît sur Loire édifiée par l'abbé Gauzlin vers 1130/1135, par contre, ce dernier est décomposé en neuf travées par seize piles.
Dans les provinces de l'Ouest et notamment à Poitiers, cet archaïsme est rapidement abandonné au profit du clocher porche posant sur quatre piles beaucoup plus puissantes dont l'une peut recevoir un escalier à vis, Saint Porchaire et Sainte Radegonde possèdent des clochers sur quatre piles et la mutation dut se faire fin XP début XH°s. Ainsi nous dirons que le clocher de Saint Léonard de Noblat est une œuvre de la seconde moitié du XI°s. et la période 1080/1100 conviendrait fort bien pour le premier niveau, le second comporte des arcs brisés, il est plus tardif, nous dirons après 1130. Enfin, l'achèvement des parties hautes correspond à la fin du XII°s.
LE VOUTEMENT DE LA NEF
Saint Léonard de Noblat et Uzerche, sanctuaires de bourgade étaient, avant l'an 1000, très dépendants de la petite agglomération qui les abritait et ce n'est qu'au début du XIFs. qu'ils recevront des subsides venant des grands ordres monastiques. Ainsi, dès le XI°s. les milliers de pèlerins qui les abordent à chaque belle saison, leur imposent de lourdes contraintes. D'autre part, les travaux d'aménagement doivent être concentrés sur de courtes périodes, en automne et au printemps, ce qui explique le recours à des maîtres maçons régionaux et justifie les divers programmes sans grande cohésion.
Les reprises sur la nef commencent dès le XII°s. mais leur développement est incertain. En partant de la façade ouest nous trouvons, intégrée dans le mur du XFs. une première travée portée par des berceaux latéraux en plein cintre et coiffée d'une voûte d'arêtes cloisonnée de deux doubleaux également en plein cintre. Ensuite, vient une seconde travée, toujours portée par des berceaux latéraux mais de profil légèrement brisé, puis une troisième de même nature mais avec une portée beaucoup plus grande afin de ne pas interférer avec la tour clocher. Ici les berceaux latéraux sont différents, celui du nord est pratiquement aligné sur ses semblables mais celui du sud est beaucoup plus haut. Ces deux dernières travées sont coiffées d'un berceau proche du plein cintre réalisé en blocage et nous trouvons un arc de liaison qui fait office de doubleau puisque les supports intermédiaires n'ont pas d'assises à cet effet.
Ensuite le travail change. C'est un ouvrage de qualité que l'on doit sans doute à un nouveau maître d'œuvre. Les piles qui clôturent la troisième travée réservent un passage entre elles et le mur extérieur, passage coiffé d'un arc de profil légèrement brisé dont les claveaux sont bien appareillés. Cette disposition ne laisse subsister qu'un volume longitudinal flanqué d'une pile engagée. Tous deux filent jusqu'au sommet de l'élévation et portent un arc et un doubleau clôturant l'ouvrage occidental. Cet aménagement annonce un changement radical dans le programme. La partie restante de la nef sera traitée avec un bel ensemble de travées alternées où tous les arcs sont brisés.
Ces trois travées occidentales ne constituent pas un ouvrage exemplaire et leur datation est délicate. Si nous admettons que les travaux commencent par l'ouest, la première travée avec sa voûte d'arêtes, serait datée des années 1120/1125. Les travaux se poursuivent et les berceaux latéraux de la seconde et de la troisième travée, ainsi que des voûtes correspondantes, sont achevés en 1135 mais des problèmes surviennent. L'élévation sud établie sur un terrain en déclivité et avec des fondations insuffisantes commence à s'affaisser. Il faut démonter la voûte et le berceau latéral sud de la troisième travée n'est pas récupérable. Vers 1135, un nouveau maître d'œuvre est appelé sur le chantier et il lui faut parer au plus pressé. Il refait entièrement l'élévation sud de la troisième travée et prépare déjà son programme à venir. Le berceau latéral est plus haut que son vis à vis et comme nous l'avons vu le support qui le reçoit est déjà conçu à l'usage du futur programme. L'élévation nord qui flanque la tour clocher n'a pas bougé mais par souci d'harmonie, la pile est reprise avec un passage comme celle du sud. Enfin le parement de cette élévation nord est également repris en surcharge, travaux que nous voyons distinctement aujourd'hui.
Après ces travaux de sauvegarde, le responsable de chantier peut envisager l'achèvement de la nef mais les travées deux et trois demeurent dépourvues de voûtes, celles que nous voyons aujourd'hui seront réalisées vers 1150. Cependant le cadre est inadéquat, le doubleau ouest est en plein cintre et celui de l'est de profil légèrement brisé, la réalisation sera bâtarde avec le faux doubleau que nous avons déjà cité.
La portion de nef restant à voûter correspond au volume de la rotonde nord. Ici les vieux murs nord et sud sont toujours en place et la largeur interne est de 11, 15m, c'est peu mais suffisant pour être décomposé en trois vaisseaux. La largeur moyenne des bas côtés sera faible de 2,20m à 2,25m, d'autre part, et pour ne pas occulter l'espace au sol, le maître d'œuvre choisit une travée alternée avec, en support faible, une colonne à tambour. La pile forte établie à l'accès du transept et qui supportera la croisée sera fort semblable à celle déjà réalisée pour le changement de programme, clôturant les trois travées occidentales. Il s'agit d'un volume longitudinal flanqué d'une forte pile engagée côté nef mais, ici, nous trouvons également une petite colonne engagée côté mur externe. Sur ces bases, le constructeur réalise des archivoltes à simple rouleau en arcs brisés dont l'appareillage est particulièrement soigné. Enfin, pour assurer une assise convenable, les vieux murs externes seront flanqués de piles engagées surmontées d'arcades liées aux maçonneries anciennes.
Après ces aménagements de base, le constructeur lance une grande voûte en berceau brisé sur la nef centrale. Il comporte un doubleau médian qui, faute de place sur les tailloirs des colonnes, se trouve basé sur des corbeaux. Les bas côtés reçoivent également de petites voûtes en berceau brisé. L'ensemble est léger et gracile, exagérément peut être, puisque les piles dont l'inertie majeure se trouve dans le sens longitudinal risque de flamber en perpendiculaire mais le constructeur a su parer au danger et de petits arcs de liaison sont établis sur les bas côtés, au niveau des tailloirs. Le sommet des berceaux latéraux se trouve au tiers inférieur de la grande voûte ce qui est une composition satisfaisante, la disposition était donc en état de porter un rampant unique selon la coutume régionale.
La croisée sera intégrée dans les maçonneries du vieux transept et réalisée sur un plan en trapèze afin de ne pas trop masquer la grande abside toujours en place mais les supports orientaux réduiront partiellement son accès. Sur ces bases, nous trouvons quatre arcs brisés à simple rouleau avec des pendentifs à la manière des œuvres du Périgord, mais le couronnement sera constitué d'une belle tour lanterne dont l'octogone et les fenêtres sont situés hors axe. Enfin, à l'extrémité des croisillons des structures plaquées en interne forment une travée carrée également destinée à une coupole sur pendentif tandis que les parties contiguës à la croisée reçoivent, elles, des berceaux brisés.
Ces aménagement menés sur un grand nombre de petites campagnes et dans des conditions rendues difficiles par l'exercice du culte, ont demandé une bonne quinzaine d'années ce qui situe l'achèvement vers 1145/1150 Ensuite le constructeur abandonne son œuvre ou quitte ce bas monde et le chantier va passer en des mains beaucoup moins expertes.
LE CHEVET
Vers le milieu du XII°s., la seconde reconquête de la péninsule ibérique se développe avec succès. Bernard de Clairvaux (Saint Bernard), a entraîné lors de la deuxième croisade plusieurs milliers de chevaliers et soldats bourguignons afin de chasser les Maures des terres du littoral Atlantique. Ils ont créé le duché de Porto Cales, embryon du futur royaume du Portugal et l'ordre militaire de Santiago, basé à Valladolid, reçoit de nombreux engagés venus de l'Europe entière. Ainsi les chemins de Galice sont désormais loin des champs de bataille et la raison fondamentale du pèlerinage imaginé par les moines de Saint Martin de Tours, dès l'époque carolingienne, n'existe plus et cependant les pèlerins n'ont jamais été si nombreux.
Les abbayes et sanctuaires choisis comme gîtes d'étapes voient leurs besoins en infrastructure se développer et leurs charges s'alourdir également. Si le sanctuaire de Saint Léonard de Noblat a survécu au X°s. à charge de la petite agglomération et avec une demi douzaine de religieux, il est devenu en ce milieu du XII°s. l'égale d'une abbaye. Sans en être la filiale selon les règles, Saint Léonard est soutenu et géré de fait par Saint Martial de Limoges. Les bâtiments d'accueil sont devenus très importants et le cérémonial d'adoration des reliques se trouve à l'étroit dans la vieille abside, il faut un cadre plus adéquat ; ce sera un grand chevet avec déambulatoire et chapelles rayonnantes, structure la plus favorable à l'accueil des pèlerins. Le plan que nous voyons aujourd'hui est complexe, voire irrationnel, et nous proposons d'attribuer ce désordre à un premier programme rapidement condamné. Celui ci prend forme vers 1145 et consiste à exploiter les fondations de la grande abside en guise de nouveau sanctuaire, puis de l'envelopper d'un déambulatoire et de cinq chapelles rayonnantes. L'ensemble sera donc établi sur axe et la première chapelle sud n'est pas encore achevée qu'un nouveau programme plus ambitieux est mis en chantier. Il comportait une crypte aujourd'hui comblée. Quel était son aménagement interne? Nous l'ignorons mais son développement correspondait nécessairement à l'ouvrage supérieur qu'elle devait porter.
Les nouveaux travaux commencent vers 1150 et cette fois les moyens mis en œuvre sont conséquents. La première chapelle rayonnante est achevée puis intégrée dans une travée droite avec, au nord, en vis à vis, une seconde chapelle semblable mais établie en perpendiculaire. Cette première travée est plaquée sur le transept ancien jugé peu fiable et les maçonneries se juxtaposent avec un certain désordre. Au delà de cette travée droite, clôturée par une pile cantonnée portant un puissant doubleau, nous trouvons un ensemble classique à cinq chapelles rayonnantes. Le sanctuaire comporte hémicycle et partie droite séparés d'un doubleau mineur. Le sanctuaire est porté par deux colonnes sur axe et six en disposition rayonnante. Il y a là tous les composants d'une œuvre classique mais le maître d'oeuvre, sans doute dépassé par l'importance de la tâche qui lui est confiée, néglige la régularité du découpage rayonnant et ce sera la source de bien des ennuis. Les cinq chapelles rayonnantes et leurs travées intermédiaires forment neuf secteurs tandis que les colonnes du sanctuaire n'en forment que sept, les voûtes du déambulatoire seront nécessairement bâtardes.
Pareille disparité se rencontrait souvent sur les chevets archaïques mais avec des structures puissantes qui amortissaient les déséquilibres. Ici, par contre, l'ouvrage est gracile et même prétentieux. Les arcades du sanctuaire montent pratiquement jusqu'au sommet de la voûte du déambulatoire et les résultantes internes ne trouveront pas la demi couronne en compression qui les aurait absorbées. Le pire était à craindre et il se produisit. Ici l'erreur de composition est si flagrante que nous lui donnerons, en tout lieu où nous la rencontrons, le non de « mal de Saint Léonard ».
D'autres édifices vont souffrir de ce problème, comme Saint Sernin de Toulouse. Au siècle suivant, des ouvrages gothiques, comme les cathédrales de Sens, du Mans et d'autres en Normandie, vont le connaître et le résoudre en doublant les colonnes du sanctuaire afin d'obtenir plus d'inertie. Enfin, dans les cathédrales du Nord, les voûtes deviennent extrêmement légères et la hauteur des édifices impose sur les piles du sanctuaire une contrainte telle que le déversement est impossible mais le phénomène est toujours présent.
Sur le déambulatoire de Saint Léonard, le constructeur a du se résoudre au traitement empirique et la forme générale est un berceau annulaire avec des volumes en pénétration. L'ensemble est en blocage mais les assises externes sont confiées à de très belles colonnettes.
A ce premier niveau, les chapelles rayonnantes sont bien dessinées, elles comportent chacune hémicycle et modeste partie droite ainsi que trois fenêtres en plein cintre, de bonne taille, avec une mouluration soignée, en interne comme en externe. La chapelle axiale est plus grande que les autres. En externe, les contreforts médians sont négligés et remplacés par des colonnes engagées de sections différentes et nous trouvons également des fenêtres ouvertes dans les travées intermédiaires. Sur le plan architectural nous devons reconnaître que c'est un traitement exemplaire.
Sanctuaire, déambulatoire et chapelles rayonnantes sont de bonne facture mais le traitement des parties hautes est pour le moins surprenant. Les arcades du sanctuaire sont surmontées d'un mur nu correspondant aux combles du déambulatoire puis vient une couronne de cinq fenêtres, trois sur l'hémicycle et deux sur la partie droite correspondante. L'ensemble est voûté d'un cul de four et d'une section de berceaux. Enfin nous trouvons sur la travée correspondant au premier programme une petite tribune flanquant l'ouvrage sur sa face sud afin d'assurer un débouché à l'escalier installé après coup. L'ouvrage est inspiré de certaines grandes réalisations du genre, tel Saint Sernin de Toulouse, mais la voûte est sans rapport avec la croisée et le comble qui la coiffe dépasse et écrase la belle petite tour lanterne. En résumé, nous dirons que c'est inesthétique et d'une hardiesse inconsidérée puisqu'il faudra reprendre l'ouvrage avec des arcs boutant dès le XIII° s.
Ce grand chevet fut avec sa crypte un chantier important. Nous pensons que les travaux ont du commencer peu après 1145 et le changement de programme intervient vers 1150. L'édification de la crypte doit être achevée vers 1160 et la colonnade, ainsi que le déambulatoire et les chapelles rayonnantes, seraient datés des années 1160/1175. L'ouvrage a-t-il comporté un premier cul de four aveugle avec éventuellement fenêtres plongeantes réalisées vers 1180? C'est possible. Les restes d'un bandeau externe pourraient en témoigner mais en ce cas, la reprise aboutissant à l'ouvrage actuel aurait suivi de peu. En tout état de cause, la grande voûte contemporaine était achevée en 1190 et les arcs-boutants sur culée simple correspondent à la première moitié du XIII°s.
Saint Léonard de Noblat est un ensemble si complexe qu'il est bien difficile d'en dégager les enclenchements successifs. Nous avons pour cela proposé des hypothèses argumentées mais certaines inconnues demeurent.
Ces trois plans schématiques résument les programmes d'aménagement réalisés à Saint—Léonard de Noblat. L'oeuvre du XI0 (A) comportait une abside simple (Al), un transept saillant (A2) et une longue nef de volume unique (A3). Au XII0, les travaux de voûtement commencent par la nef et la croisée (Bl) et (B2). Pour obtenir un plan proche du carré, la croisée est cloisonnée par des doubleaux et, pour ne pas trop masquer l'abside, leur plan est trapézoïdal (B3). La nef est alors décomposée en trois vaisseaux par une élévation interne (B4). Entre temps, une rotonde très précoce (B5), prend place au nord. Elle sera ensuite doublée par la base du grand clocher (Cl) qui justifie un changement de programme dans l'aménagement de la nef (C2). Les bas-côtés reçoivent alors des berceaux perpendiculaires. En fin de programme un projet de chevet à grand développement s'inscrit d'abord autour de l'ancienne abside, et la première chapelle (B6) est orientée en ce sens. Mais les travaux sont bientôt repris autour d'un nouveau sanctuaire, ce qui donnera sept chapelles rayonnantes
Vers 1020/1025, construction d'une église de structure légère avec nef (A) transept (B) et abside en hémicycle (C) achèvement vers 1045, A la fin du XI°s. l'ouvrage sera flanqué d'un clocher (D). Premier niveau vers 1080/1100. Il touche une rotonde (E) dite du Saint Sépulcre. Vers 1120, commence le voutement de la nef. Les murs anciens sont flanqués de berceaux perpendiculaires (F) et la première travée reçoit une voûte d'arête (G), les suivantes (H,J) sont coiffées de berceaux en plein cintre. Achèvement vers 1135 mais l'élévation sud (K) donne des inquiétudes et implique un changement de programme. Les travées (L,M) seront voûtées en trois vaisseaux, achèvement vers 1140. Suit le voutement du transept avec croisée en trapèze (N) afin de respecter l'ouverture de l'abside. Elle est surmontée d'une tour lanterne avec coupole. Ensuite vient le traitement des croisillons (P,Q) avec coupole sur pendentif ( R ) et section de berceau (S). Achèvement vers 1155/1160. Vers 1150, mise en chantier du grand chevet. La première couronne de chapelles centrée sur l'abside (T) est abandonnée et se transforme en travée (U). Suit un chevet classique avec déambulatoire (V) et cinq chapelles rayonnantes (W). Achèvement début XIII°s.
Toutes les nefs du Limousin respectent la même disposition d'ensemble, soit trois vaisseaux voûtés sous un même comble ce qui proscrit le niveau de fenêtres hautes mais sous cette apparente unité, nous trouvons des compositions très variables. Les deux travées de Saint Léonard sont celles qui précèdent la croisée et l'option fut prise vers 1135. Le bas côté (A) est étroit pour respecter le volume de la nef du XI°s. et l'élévation porte sur des colonnes graciles (B). Le voûtement du bas côté (C) était prévu, pas celui de la nef (D) où les doubleaux reposent sur des corbeaux (F). Leur réaction externe impose un arc de liaison (G) qui transmet aux contreforts (H). Sous le même volume, la travée de Saint Junien est totalement différente, option prise vers 1150. La portée des archivoltes (J) est beaucoup plus grande ce qui implique deux fenêtres (K,L). Les bas côtés (M) sont voûtés en berceau (N) mais celui ci est placé beaucoup trop bas pour épauler valablement la réaction de la grande voûte (P) structurée de doubleaux (Q). Initialement le comble était prévu avec deux rampants ( R ). Contreforts (S) et murets de liaison viennent rétablir la stabilité.
LES CHEVETS A GRAND DEVELOPPEMENT
LES PROBLEMES ARCHITECTONIQUES
Dans un chevet à cinq chapelles rayonnantes, la composition est différente. Avec un rapport toujours constant de 1 pour le rayon des colonnes et de 0,8 pour le déambulatoire, nous pouvons avoir sept ou neuf travées selon le dessin du sanctuaire, l'angle d'ouverture est alors de 26 et 29°. C'est la manière d'exploiter la valeur outrepassée qui donne le choix. Sur la Fig. XIII nous avons choisi une valeur moyenne de 27° et nous retrouvons sur les arcs A, B, C les rapports (h) et (r);h 4 est ici le double de r 4
Comme précédemment nous retrouvons la résultante (R) qui a gardé la même valeur puisque l'arc est de même importance, tandis que son point d'application est toujours 0' sur la Fig. XIV. Par contre, sur le développé de l'élévation Fig. XV nous voyons que les forces antagonistes (f - f) sont plus faibles et s'appliquent au point 0" situé nettement au-dessus du point 0' Leur action contraire est donc beaucoup moins efficace.
En résumé, les chevets avec voûte archaïque sur déambulatoire à cinq chapelles rayonnantes sont les plus menacés par la résultante R et ce danger s'accentue encore avec la largeur relative du déambulatoire.
Sur les premiers chevets à cinq chapelles rayonnantes, comme Saint Martin de Tours et Saint Savin sur Gartempe où les premiers déambulatoires voûtés étaient relativement étroits et dotés de berceaux annulaires, le problème des résultantes internes ne se posait pas. Le phénomène apparaît avec les voûtes d'arêtes où les arcades du sanctuaire doivent respecter le niveau haut de la composition. La planche ci-dessus montre que le rapport A-B de la figure XIII, d'une valeur de 0,8 pour B, fait apparaître une hauteur H qui génère les premières résultantes internes. Ce rapport constitue donc la limite à ne pas dépasser.
A Saint Léonard de Noblat la composition accumule toutes les maladresses. Le déambulatoire est particulièrement large, la valeur de (B) est légèrement supérieure à (A) qui représente le rayon du sanctuaire à l'axe des piles (C.) L'arcade du sanctuaire n'atteint pas le sommet de la composition, d'où les deux volumes en pénétration (A') cependant, cet aménagement est loin du berceau annulaire. Sur les piles (B') nous voyons les deux résultantes (r, r') se rencontrer au niveau (O), tandis que celles issues de la voûte se trouvent nettement plus bas au niveau (O') et passent ainsi, franchement en dessous de la demi couronne apte à recevoir les réactions concentriques. La résultante (R ) va donc porter au déversement interne ce qui peut ruiner l'ouvrage dès que les maçonneries de la voûte cesseront de se comporter tel un monolithe reconstitué. Ce problème est survenu et l'intervenant a bien réagi en établissant des arcades additives (E) sur des piles de même nature (F). Leur niveau constitue la couronne en compression. Ce problème est si criant à Saint Léonard de Noblat que nous lui avons donné le terme générique de « mal de Saint Léonard ».
La planche technique montre que ce phénomène est lié au déambulatoire large coiffé de voûtes d'arêtes mais cette disposition supporterait mal un berceau annulaire. La plus ancienne réalisation du genre fut sans doute le chevet de Saint Martial de Limoges aujourd'hui disparu et son parti fut ensuite repris à Saint Sernin de Toulouse où le mal se révéla également. Il fut combattu de mauvaise manière en noyant la pile ronde sans un massif rectangulaire. Saint Léonard de Noblat reprit te plan de la grande abbatiale édifiée dans la métropole trois quarts de siècle plus tôt.
Ce risque va toucher également les ouvrages gothiques de même composition. Nous ne connaissons pas d'ouvrage avec additif de sauvegarde; ils furent sans doute rapidement ruinés puisque la réalisation de ces voûtes ne bénéficiait pas du phénomène « monolithe reconstitué » mais nous trouvons sur certains édifices la parade adéquate, c'est la double colonne dans le plan rayonnant du sanctuaire. Imaginée à la cathédrale de Sens, la composition sera reprise sur les ouvrages gothiques de Normandie et à la cathédrale du Mans.
St Léonard de Noblat. Vue d'ensemble sur l'élévation sud.
St Léonard de Noblat. Le clocher.
St Léonard de Noblat. Le chevet et les chapelles rayonnantes.
St Léonard de Noblat. Détail des chapelles rayonnantes
St Léonard de Noblat. Détail des chapelles rayonnantes
St Léonard de Noblat. Vue du sud.
St Léonard de Noblat. La nef en interne, vue générale.
St Léonard de Noblat. Les deux travées contiguës à la croisée.
St Léonard de Noblat. Les deux travées vues du bas côté.