SOLIGNAC

Nous avons vu la métropole de Limoges tirer profit des cheminements naturels qui suivent les vallées de la Vienne et de ses affluents, le Thaurion sur la rive droite et la Briance sur la rive gauche. C'est sur le cours de cette dernière, à 8 km au sud, que se trouvait un site antique laissé à l'abandon : Solemniacum. En 631, Saint Eloi, orfèvre de son état et né dans la région, devient conseiller des rois francs Clotaire II et Dagobert 1er, c'est de ce dernier qu'il obtiendra ce lieu désaffecté pour y construire une abbaye. Avec les faveurs royales, la fondation prospère rapidement et compte bientôt une centaine de moines mais si l'époque est propice aux vocations, il est bien difficile de maintenir une discipline satisfaisante. Les règles alors en vigueur privilégient les devoirs religieux et la vie matérielle demeure dépendante de la charité. Que le protecteur néglige ses devoirs et cesse ses largesses et les membres de la communauté seront alors tentés par les dérives coutumières qui vont de la quête agressive aux compromissions avec le pouvoir laïque.

Pour parer à cela, Saint Éloi a bien recommandé de s'inspirer de la ferveur et de l'austérité pratiquées à l'abbaye de Luxeuil fondée par saint Colomban à la fin du V°s. et qui constitue, depuis sa mort survenue en 615, le foyer principal de la discipline irlandaise en Europe continentale. Certes la référence est exemplaire sur le plan religieux mais cette règle, comme les autres de même inspiration, ne met pas la communauté à l'abri des difficultés matérielles et Saint Éloi bien conscient du risque imposa aux moines de pratiquer une activité artisanale qu'il connaissait bien, l'orfèvrerie. Grâce à cela, Solignac devient un centre de production d'objets destinés au culte et le foyer de l'orfèvrerie limousine, ce qui l'aida grandement à surmonter les difficultés ordinaires.

Cependant, les plus illustres personnages religieux qui vont s'imposer au sein de la communauté demeurent très éloignés de ce que la société chrétienne attend de ses ordres monastiques. L'ascétisme pratiqué convient à une minorité et néglige les aspirations du plus grand nombre. La société occidentale attend des actes et des engagements plus concrets, c'est ce que vont lui proposer les Bénédictins. La meilleure illustration de l'esprit régnant alors à Solignac est la vie de Saint Théau. Ce Saxon, racheté par Saint Éloi, s'en alla en Auvergne où il vécut en ermite près de Mauriac et revint en Limousin pour se fixer en solitaire dans une cellule voisine de l'abbaye dont l'église de Le Vigen perpétue le souvenir.

L'ABBAYE

Selon les informations fournies par nos découvertes archéologiques, la vie des communautés d'obédience irlandaise se pratiquait en cellule dans un enclos fermé avec, au centre, trois églises. Celle des moines alors la principale, une seconde, beaucoup plus petite réservée aux veillées funéraires, et, enfin, une troisième dont la fonction va s'imposer au fil des ans, celle réservée aux paroissiens des environs. La communauté doit les prendre en charge religieusement puisqu'ils subviennent à son existence et ce phénomène ira croissant. Cependant, les accès à ce lieu de culte sont indépendants afin que la présence, la vue même des femmes, ne vienne tenter les reclus les plus sensibles. Ajoutons à ces trois lieux de culte les ateliers d'orfèvrerie et les bâtiments de diverses fonctions.

Comment se présente l'église destinée aux 150 moines? C'est naturellement la plus vaste et le plan basilical à trois vaisseaux semble peu pratiqué par la discipline irlandaise, l'hypothèse la plus satisfaisante est celle de la grande cella unique avec une petite abside en guise de sanctuaire mais le plan de la basilique d'Aquitaine n'est pas à exclure.

Cette période faste s'achève avec les incursions sarrasines mais les libéralités de Pépin le Bref permettent de restaurer rapidement les bâtiments à l'identique. Plus sérieux seront les ravages des invasions normandes qui saccagent et brûlent l'abbaye vers 860. Terrorisés, les religieux abandonnent les lieux et fuient en Gascogne dont ils reviendront avec les reliques de Sainte Fauste, jeune martyre du Bas Empire. Leur nouvelle installation commence en 866. Entre temps, Louis le Pieux a proscrit la discipline irlandaise, ce qui donne tout loisir aux Bénédictins dont la montée en puissance est inexorable pour s'imposer dans toutes les fondations qui leur étaient naguère hostile. La reconstruction de la fin du IX°s doit en tenir compte, Les cellules individuelles sont proscrites et l'abbatiale unique alors reconstruite jouxte un dortoir collectif lié au transept. L'ouvrage doit correspondre au parti basilical d'Aquitaine, la file de coupoles réalisée ultérieurement s'installe généralement dans un volume de ce genre. C'est cette basilique qui sera le noyau de l'abbatiale actuelle mais comme l'insécurité demeure, la communauté établit une défense périphérique et peut être la tour clocher dont les bases seront reprises en puissance sur la première moitié du XIII°s.

L'ABBATIALE

L'ouvrage actuel comporte une nef à deux travées, un transept avec deux chapelles orientées et une grande abside avec trois chapelles rayonnantes mais sans déambulatoire. A la croisée, ainsi que dans le plan médian de la nef, nous trouvons de très puissants arcs brisés, caractère du parti qui se développe alors en Saintonge et en Angoumois avec des nefs à file de coupoles sur pendentifs. Mais, celles que l'on trouve à Solignac sont particulières et très archaïques, la base n'atteint pas le plan circulaire et les angles du carré sont simplement arrondis. Enfin, les coupoles de profil variable, comme l'impose le plan de base, sont constituées de blocage. Avec ces remarques, la majorité des auteurs ayant abordé l'édifice ont jugé ces voûtes précoces, une opinion que nous prendrons avec réserve.

Les structures des travées de la nef, du sol à la base des coupoles, nous semblent dériver des deux premières travées de Notre Dame de la Cité, à Périgueux, aujourd'hui disparue. Nous proposons l'approche suivante : à l'origine, l'ouvrage était constitué comme à Souillac d'une vaste basilique d'Aquitaine et les aménagements commencent vers 1100 avec un projet de transept flanqué de deux chapelles orientées. Vers 1115, les travaux de Notre Dame de la Cité inspirent le maître de fabrique et un aménagement de la nef commence peu après vers 1118, et s'achèvera vers 1135. Des pendentifs ont remplacé les trompes réduites de tradition dans la région, et c'est là que se situe la dérive qui fera de Solignac une réalisation originale.

Pour conformité avec le nouveau programme, les aménagements du croisillon sud commencent vers 1125/1128 avec une restructuration du pignon sud et l'arc brisé irrationnel que nous y voyons aujourd'hui mais la surface rectangulaire ne permet pas l'installation d'une coupole et ce croisillon sera voûté en berceau. De 1130 à 1135, les quatre arcs de la croisée sont établis et les travaux d'aménagement du croisillon nord commencent, probablement dans des murs existants qui, ultérieurement, révéleront leur faiblesse. Vers 1145, la coupole de la croisée est réalisée et le traitement est toujours en blocage coffré. Achèvement de l'ensemble du transept avec la coupole elliptique du croisillon nord, vers 1155. A cette époque, l'ouvrage comporte toujours l'abside polygonale de la basilique d'Aquitaine.

Les voûtes en blocage se comportent bien et donnent confiance au maître d'œuvre. Vers 1160, il reprend l'abside mais en hémicycle avec trois chapelles rayonnantes et des murs de grande épaisseur. Ces caractères lui permettent d'ouvrir une couronne de fenêtres à la base de la voûte qui sera, elle aussi, traitée en blocage avec deux arrondis aux angles ouest, d'où l'apparence d'une fausse coupole. Achèvement du chevet, vers 1175. Peu après, le croisillon nord donne des inquiétudes, il sera repris en puissance mais en respectant la chapelle orientée. Enfin, vers 1200, le vieux clocher occidental est, lui aussi, repris avec un escalier à vis intégré. Achèvement des parties basses vers 1220. La qualité des pierres granitiques et leur excellent accrochage avec le mortier de chaux ont assuré à l'abbatiale de Solignac une parfaite tenue au cours des siècles.


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Le programme XIIos. commence par deux travées avec coupole sur pendentifs (A,B) de traitement archaïque (1118/1135) installé sur les bases d'une basilique d'Aquitaine, fin X°s. Parallèlement, l'aménagement du transept commence vers 1125/1128 et progresse en préservant deux chapelles orientées existantes (C,D). Coupole de la croisée (E) vers 1140. Voutement du croisillon nord (F) vers 1150. Enfin, construction du nouveau chevet (G) de 1160 à 1175. Nouveau clocher occidental (H) de 1200 à 1220


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Solignac. Détail des coupoles de la nef.


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Solignac. Le chevet. Vue d'ensemble.


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Solignac. Vue d'ensemble de l'Ouest.


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Solignac. La travée occidentale. Vue externe.


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Solignac. Elévation sud de la nef.


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Solignac. Vue d'ensemble en interne.


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Solignac. Détail d'une travée de la nef.