Ely - L'abbatiale

La grande abbaye d’Ely se trouve sur les rives de l’Ouse, la plus orientale des trois rivières qui drainent les terres basses et mal stabilisées de la région. Les chroniqueurs parlent de terre marécageuse mais il faut relativiser ce qualificatif. Sans carte, les voyageurs de cette haute époque marchent au soleil, en ligne droite, et se heurtent à tous les marais et cours d’eau rencontrés. Les Romains ont ils pénétré ces régions peu favorables? Certains le propose et s’ils ont construit une voie menant vers la côte, elle peut s’identifier avec le tracé du vieux chemin de Bedford dont la rectitude est surprenante mais, en tout état de cause, Ely a pour origine un site indigène, probablement une grande exploitation rurale ou une petite agglomération qui sera   ruinée dès le Bas Empire.

La première information historique nous est donné par Bede le Vénérable (673/735) qui, dans son Histoire Ecclésiastique nous dit que Etheldreda, épouse d’un roi de Northumbrie se retira en ce lieu en 673 et fonda deux monastères, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes. Comme il n’y avait selon toute vraisemblance aucun matériau dur en cet endroit, les ouvrages furent réalisés avec les moyens coutumiers en ces terres, soit des baliveaux de tête de saule en structure et des briques de tourbe pour les murs. La couverture était naturellement en roseaux, en vérité de bien modestes débuts pour cette fondation qui deviendra illustre.

Ce premier monastère qui s’était sans doute développé au cours des siècles suivant sa fondation, sera détruit par les Danois en 870 et les chroniques qui commentent leur méfait indiquent que la région environnante était déjà fortement peuplée. Trois quart de siècle plus tard, vers 940/950, la vie a repris dans ces régions et l’archevêque de Canterbury confie Ely aux Bénédictins, à charge pour eux de restaurer la vie monastique. La mission sera menée à bien et, en 970, une nouvelle abbatiale est consacrée. Pour son édification, les moines se sont inspirés de la célèbre église carolingienne de Cantula, en Ponthieu (Saint-Riquier), construite par Engelbert, gendre de Charlemagne de 795 à 814 et dont nous avons conservé une gravure très précise. Après de nombreuses hypothèses, les fouilles récemment menées par H. Bernard nous ont livré le plan exact de l’abbatiale. Elle comportait une abside rectangulaire, un transept oriental, une nef légère à collatéraux et un transept occidental précédé d’un porche voûté. C’était donc un plan carolingien typique.

La réplique réalisée par les Bénédictins d’Ely sera plus modeste nous disent les chroniques. Ont ils réduit les proportions tout en conservant le plan original ou ont ils supprimé quelques parties jugées inutiles à leurs yeux? Nous l’ignorons. L’ouvrage fut nécessairement réalisé en dur  avec une structure légère, des murs en petit et moyen appareil soigneusement surfacés au mortier de chaux et sans doute garnis de peintures murales édifiantes et couverture sur charpente. En ces régions où la majorité des édifices comportait toujours une structure en bois, cette abbatiale était une œuvre remarquable.

Sur le siècle qui suit, l’abbaye d’Ely se développe, devient riche et puissante grâce aux services de nombreuses paroisses qu’elle dessert et ceci lui permet de contrôler une vaste région. Cette période faste va durer jusqu’à l’arrivée des conquérants normands. Les forces de Guillaume le Conquérant se heurtent ici à une population d’origine danoise, nombreuse, et les combats sont féroces. Le paysage parsemé de cours d’eau et de canaux de drainage privent les Normands de leur force principale, la cavalerie. Les moines d’Ely négocient et tentent de préserver leur indépendance mais doivent finalement se plier à la volonté du conquérant et accepter un abbé normand, Siméon, prieur de Winchester venu la pour réaliser un nouveau et vaste programme. Siméon prend sa charge en 1081 et, dès 1083, jette les fondations de l’énorme abbatiale que nous voyons aujourd’hui mais ce travail implique la démolition de l’église existante. La nouvelle œuvre dont la réalisation commence naturellement par le chevet, sera construite en belles pierres de taille apportées par voie d’eau des carrières de Bernack et ses dimensions sont sans commune mesure avec l’ouvrage précédent.

Le chevet

Si Peterborough a conservé la plus grande part de son œuvre romane, Ely qui en fut le modèle, abbaye riche, trop riche sans doute, sera en partie reprise en gothique dès le XIII°s. Sur le chevet qui comporte aujourd’hui dix travées, les six établies à l’est constituent une prolongation réalisée par l’évêque Northwoold  de 1234 à 1252 afin d’assurer la translation du reliquaire de Sainte Etheldreda. Par contre, les trois premières travées en partant de la croisée constituent des reprises et des surcharges réalisées au XIV° s. dans l’ouvrage primitif, après l’écroulement de la tour lanterne romane. Ceci nous donne le volume du chevet du XI°s. Il comportait une abside flanquée d’absidioles et une partie droite longue de quatre travées dont la plus occidentale se trouvait liée au bas côté du transept. Nous avons là un ensemble identique au chevet de Peterborough qui en est la réplique.

Pour quelle raison les absides romanes furent-elles démolies dès le XIII°s.? A ce sujet, nous remarquerons que la majorité des chevets romans établis en Grande Bretagne avant 1100, seront tout ou partie remaniés. S’agit-il d’un phénomène de mode qui touchait les réalisations les plus archaïques? C’est possible mais nous suggérons une explication plus technique. Tous ces chevets avaient sans doute comme leur modèle continentaux reçu une abside voûtée en cul de four et celle-ci donna rapidement des inquiétudes. Saint Etienne de Caen qui fut la première et le modèle connut cette remise en cause, et c’est à Cerisy-la-Forêt que le maître d’œuvre renoua avec le plafond en charpente, celui de Peterborough fit de même.

Le transept

Avec son double bas côté surmonté de tribunes et son traitement tout en puissance, mais d’une majestueuse harmonie, le transept d’Ely est une superbe réalisation. La composition jointe à des coursives de circulation sur les murs pignon, permet de lier les tribunes de la nef et celles des bas côtés et c’est le parti majeur  imaginé à Winchester. Ceci n’est pas réalisable avec les programmes à simple bas côté, de Durham et de Peterborough.

En élévation, nous retrouvons à Ely la traditionnelle composition normande avec trois niveaux, tribunes accessibles mais couverture sur charpente. Au premier niveau, les supports sont alternés : piles rondes sur le plan faible et cantonnées pour le plan fort. Les travées des  bas côtés sont coiffées de voûtes d’arêtes avec doubleau plein cintre. Au niveau des tribunes les supports sont également alternés et en conformité avec ceux du rez-de-chaussée. Sur le mur extérieur, de grandes fenêtres en plein cintre éclairent convenablement bas côtés et tribunes mais, en plusieurs endroits, elles seront masquées par les constructions annexes. Enfin, le troisième niveau est garni comme il se doit d’un registre de fenêtres hautes avec une galerie de circulation largement dimensionnée et ce fut, comme dans bien d’autres ouvrages, un choix lourd de conséquences.

La croisée primitive surmontée d’une tour lanterne n’existe plus. Elle s’écroula en 1322 sans doute sous la surcharge de plusieurs étages gothiques. Ceux ci imposèrent aux grands arcs des réactions excessives que ne supporta pas le niveau des fenêtres hautes privées de masse et d’inertie par la galerie de circulation. Nous avons vu que c’était un mal coutumier dans les grandes abbatiales normandes. Le maître d’œuvre chargé de la reconstruction d’Ely imagina une profonde transformation. Pour cela il fit démonter les croisées, abattre les angles et réalisa le superbe octogone que nous voyons aujourd’hui. C’est à la suite de ces travaux que les voûtes des trois premières travées du chevet furent refaites avec voutins multiples, liernes et tiercerons.

Pour l’abside et le transept, les dates d’édification que l’on peut dégager des textes sont aléatoires, seuls le commencement des travaux, en 1083, et la dédicace de 1106 sont assurés. Quelles sont alors les parties mises à disposition? Nous l’ignorons. L’édification de cette grande abbatiale avec de bonnes pierres importées par voie d’eau et sur un sol demandant de sérieux travaux préliminaires a, sans aucun doute, démarré lentement. Pour cette période de 23 années, nous proposons l’achèvement complet du chevet, la construction des quatre arcs de croisée ainsi qu’une partie des murs du premier niveau afin de recevoir une couverture provisoire, avec, également, quelques travées de la nef et des croisillons en traitement dégradé afin d’épauler les grands arcs. Dans ces conditions il était possible d’établir un bardage de chantier sous les arcs de croisée afin de fermer l’édifice et de le livrer au culte, c’est une option acceptable sur le plan technique.

En 1109, l’abbaye devient cathédrale et la fondation règne alors très officiellement sur une vaste région ce qui augmente ses moyens mais ne réduit pas les difficultés techniques. Dès 1110, les trois chantiers, celui des croisillons et celui de la nef seront menés simultanément et les fondations ainsi que le premier niveau prendront une sérieuse avance ce qui explique l’unité de l’œuvre.

La nef

De la croisée au transept occidental, la nef compte treize travées mais d’un pas relativement faible, 5,20m contre 6,20m pour la réplique de Peterborough. L’élévation qui fut fixée très tôt avec les premières travées assurant l’épaulement des arcs de la croisée, vers 1110, respecte scrupuleusement le parti initial, soit la composition normande avec trois niveaux et tribunes couvertes sur charpente.

Comme sur le transept, les travées sont alternées mais dans une faible mesure, les piles dites fortes sont de plan cantonné et bardées de colonnes engagées, deux fois cinq sur le plan longitudinal ce qui donne des archivoltes à trois rouleaux. Elles disposent également de piles et colonnes engagées sur le plan perpendiculaire destinées à la grande ferme de charpente côté nef et aux doubleaux des bas côtés. Les supports dits faibles sont constitués d’un noyau de plan oblong simplement flanqué de piles et colonnes engagées sur le plan perpendiculaire. Nous avons beaucoup de peine à trouver une argumentation d’ordre architectonique pour justifier pareille composition sur une élévation destinée à porter un plafond à caissons. Sur le bas côté, la nef d’Ely comporte des voûtes d’arêtes classiques cloisonnées de doubleaux en plein cintre. Enfin, le mur extérieur se trouve, comme sur le transept, décomposé en deux registres avec arcature simple au premier niveau et grande fenêtre au second.

A l’étage des tribunes les piles reprennent scrupuleusement la composition du premier niveau mais la grande baie donnant sur la nef se trouve décomposée en deux arcades sur colonne médiane (baie géminée) Ici les piles faibles sont flanquées de colonnes engagées dans le plan longitudinal. Le mur extérieur, sans décoration, est percé d’une fenêtre de bonne taille et la tribune est couverte sur charpente selon le parti.

Enfin le niveau des fenêtres hautes est, lui aussi, traité selon la tradition avec galerie de circulation et grande arcade flanquée de deux arcatures côté nef  tandis que le mur de cloisonnement reçoit des fenêtres de bonne taille. La composition est harmonieuse et parfaitement compatible avec le plafond à caissons mais comme nous l’avons dit, peu satisfaisant à la croisée où ce niveau manque d’inertie face à la poussée des grands arcs     

Après 1110, les dates d’avancement du chantier sont très incertaines. Nous pouvons raisonnablement estimer que le maître d’œuvre va privilégier l’achèvement des croisillons afin de livrer le vaisseau perpendiculaire au culte, ce qui devrait se faire dès les années 1125/1130. Ensuite, tous les moyens seront consacrés à la nef qui sera également mise à disposition par groupe de trois ou quatre travées. Ce grand vaisseau doit être achevé vers 1145/1150 au plus tard. Il faut ensuite compléter l’abbatiale avec un ensemble occidental.

Le transept occidental

Les abbatiales normandes édifiées en Grande Bretagne ne semblent pas privilégier les façades à deux tours communément réalisées sur le continent et ceci peut s’expliquer par un contexte différent. Les édifices de référence construits à Caen le sont en milieu urbain, ceux de Grande Bretagne demeurent indépendants de l’agglomération, il leur faut donc un volume d’accueil et ce sera le transept occidental. Celui construit à Ely est remarquable mais bien difficile à dater et, de prime abord, deux campagnes se distinguent.

Vues de l’intérieur, les chapelles orientées et le fond du croisillon nous semblent précoces ce qui suggère  une première campagne menée de 1145 à 1155 et portant sur un transept simple à cinq travées mais sans tour centrale et c’est lui qui sera pris pour modèle à Peterborough. Il est couvert sur charpente comme l’ensemble de l’ouvrage. Ensuite, nous voyons une interruption des travaux suivie d’une seconde campagne. La travée centrale est démolie pour établir les fondations d’une puissante tour et l’étage supérieur du transept est également repris. Ces travaux préliminaires seront réalisés sur la période 1180/1190 et dans les vingt années qui suivent la tour centrale est élevée jusqu’au niveau des oculi tandis que les tourelles d’escalier, ainsi que la façade, sont surchargées de colonnettes et d‘arcatures. Sur la travée centrale, la grande arcade donnant sur la nef fut sans doute jugée trop faible et reprise en sous œuvre après 1220. Enfin, les siècles suivants apporteront également leurs lots de modifications et de surcharge.

 

 

Ely : la façade du narthex et la partie nord détruite

 

Ely : nef et croisillons romans dominés par la tour lanterne gothique

 

Ely : la nef, élévation sud à trois niveaux romans et tribunes

 

Ely : la nef et le chevet romans à trois niveaux romans et tribunes

 

Ely : la nef, élévation nord et son plafond en bois décoré

 

Ely : la nef, élévation nord avec trois niveaux et tribunes

 

Ely : la nef, le bas-côté sud avec ses voûtes d'arêtes romanes

 

Ely : le croisillon sud avec trois niveaux et tribunes

 

Ely : le grand polygone gothique aménagé à l'intérieur de la croisée romane