EDIFICES RELIGIEUX

De l’époque carolingienne nous avons conservé davantage de témoignages sur les édifices religieux que civils, la dévotion aux sanctuaires explique ce phénomène. Cependant nous sommes loin de pouvoir répondre à toutes les interrogations et nous allons résumer le parcours architectural du Bas-Empire jusqu ‘au seuil de l’art roman, les édifices carolingiens, connus ou reconnus, nous serviront de jalons pour confirmer cette évolution. Procéder de manière inverse, en mettant les découvertes à la base de notre réflexion, serait irrationnel.

EPOQUE BAS-EMPIRE

En Occident Septentrional, on ne peut contester la primauté du parti basilical venu de Rome mais les conditions difficiles imposées par la déchéance de l’Empire réduisent les moyens de 1 ‘Eglise, d’autre part, les Chrétiens ont reçu de Constantin la liberté de culte, pas encore l’exclusivité de la représentation religieuse. Ainsi, les grandes basiliques construites à Rome, au IVème siècle, dépassent de beaucoup les moyens des petites communautés religieuses d’Occident, d’autre part, les Chrétiens toujours accusés des désastres qui ont marqués la fin de l’Empire édifient leurs premières cathédrales dans les faubourgs populaires hors les murs de la cité. Ce sont les édits de Théodose (392/395) qui imposent le christianisme comme religion officielle mais l’Occident est à la veille du grand déferlement de 406, au seuil d’une nouvelle crise violente.

LES PREMIERS SANCTUAIRES

Dans leur hâte d’honorer les lieux sanctifiés par les premiers pasteurs, les premiers martyrs, les chrétiens vont construire vite, léger et souvent de médiocre facture. Rome qui a évité le pire en 250/275 a les moyens de construire majestueusement, pas les cités septentrionales. Les premières cathédrales seront sans doute à trois nefs avec élévation sur colonne de récupération avec transept et abside. Sur la nef, les portées ne dépassent pas 9 à 12m, ce qui donne une largeur totale inférieure à 20m et une longueur estimée de 30 à 40m. Le transept est rarement de même largeur que la nef et l’abside simple en hémicycle est la seule partie voilée. Il s’agit donc d’une petite basilique selon les règles qui offre une surface utile inférieure à 1.000m2.

Pour les communautés en difficulté, les portées seront réduites ainsi que le nombre des travées, 8m de largeur pour la nef et 14m pour l’intérieur caractériseront sans doute l’ouvrage basilical minimum. Ensuite, c’est le transept qui sera sacrifié et enfin les bas-côtés. Nous obtenons ainsi volume rectangulaire avec abside proche du primitif rural. Pour la facture, nous pouvons nous référer aux quelques petites basiliques préservées que nous connaissons, en Italie. Les archivoltes sont simples, les fenêtres sans aucune mouluration et le traitement des murs médiocre est sans parement.

A l’époque mérovingienne, aux V° et VIème siècles, les premiers signes de renouveau économique se manifestent chez les artisans dans les bourgs satellites établis hors les murs, là où se sont formés les premiers lieux de culte. Peu avant 500, la reine Clotilde aide Sainte-Geneviève â édifier une église pour sa communauté, c’est une très classique basilique à trois nefs avec transept et abside offrant une surface de 440 m2 environ, le transept débordant ne fait que 5m de large pour 8m 30 à l’axe, dans la nef. Cette construction ne semble pas avoir frappé l’esprit des chroniqueurs.

Plus grande, plus fastueuse est sans doute la basilique élevée à Tours sur la tombe de Saint-Martin, elle justifie les commentaires très élogieux, mais nous ignorons si cela s ‘adresse à 1 ‘importance de l’édifice ou au luxe de son décor. Il s’agit sans doute d’une basilique à trois nefs avec transept dont la surface doit dépasser 1000 m2. Son abside vaste et non voûtée comportait cinq petites chapelles rayonnantes, c’est la plus petite des trois fondations dégagées par les fouilles du XIX° siècle. Nous pensons que l’aménagement avec déambulatoire viendra ultérieurement avec la première tentative de voûtement qui impose la décomposition de l’espace interne.

L’époque mérovingienne s’achève sans innovation majeure pour le parti basilical. Les édifices sont fragiles mais ils sont pieusement préservés, maintes fois restaurés ou relevés à l’identique après un grave sinistre.

Dans les campagnes, le premier sanctuaire sera très proche de la grange consacrée. C’est un volume rectangulaire avec une petite abside en hémicycle, parfois l’édifice se décompose en deux cella, une grande en guise de nef et une plus petite comme sanctuaire. Un arc diaphragme séparant les deux cella se généralisera ultérieurement sur les édifices de bonne taille. Il s’agit là de constructions déjà abordées sous le vocable primitif rural. La nef unique flanquée d’un transept avec abside et absidioles orientées sera sans doute le programme le plus élaboré construit hors les villes. Il peut se justifier dans certains bourgs ou gros villages. Pour illustration nous pouvons citer l’église de Saint—Martial de Vitaterme (romane) située au Sud de Saintes. Ce plan constitue donc la jonction entre les réductions effectuées sur le parti basilical et les développements qui vont marquer le primitif rural.

LES ABBAYES RURALES

A l’époque mérovingienne (vers 600), la chrétienté occidentale entreprend la fondation d’abbayes au sein du monde rural. Ces communautés voient le jour sous l’effet d’une certaine conjoncture socio—économique. De grands propriétaires veulent doter ceux de leurs enfants enclins à la vie religieuse tandis que le peuple des campagnes entend, lui, fixer tous ces mendiants inspirés qui vagabondent sur les routes durant la belle saison. Les premiers Bénédictins arrivés d’Italie seront voués à cette mission mais la tàche est ardue. Les grands domaines concédés font, en moyenne, 100 à 300 ha et ne peuvent faire vivre la communauté en revenus fermiers, il faut donc que les candidats à la vie religieuse travaillent de leurs mains ainsi que la règle le dit expressément, mais bon nombre de recrues préfèrent se morfondre en prières que de prendre la pioche et la fourche, et les contraindre serait les faire fuir. La période critique est la belle saison, c’est le temps où la terre a le plus besoins de bras et c’est aussi l’époque où les recrues à vocation défaillante sont tentées de reprendre la route. Ces défections seraient pour les Bénédictins le signe d’un échec qui les priveraient de l’estime populaire.

Dans ces fondations, il arrive parfois qu’une majorité de moines peu recommandables nomme un abbé qui abonde en leur sens; c’est généralement l’origine d’une crise que les autorités ecclésiastiques doivent trancher.

Dans ces premières abbayes rurales, nous trouvons trois lieux de culte ce qui semble une tradition autant qu’une nécessité. Le sanctuaire le plus important est pour les moines, le second pour recevoir les paroissiens des environs et le troisième fait office de chapelle funéraire. Les rares témoignages mis à jour par l’archéologie nous montrent de petits édifices, un plan primitif rural pour la chapelle funéraire, deux cella axées pour les paroissiens et parfois un plan basilical avec nef à collatéraux pour les moines. Mais toutes ces églises sont de petite taille et sans doute de médiocre facture.

A Sainte-Gertrude de Nivelle, le plus grand des trois sanctuaires, fait 21m de long hors abside sur 11m de large, soit 240m2 de surface brute pour les trois nefs. Les bas—côtés ne font que 1m 30 de large et nous les avons proposés avec voûtes en berceau continu de facture archaïque et sans structure. Pour l’élévation, nous avons choisi des piles appareillées avec un volume à transformation en guise de chapiteaux. Ce sont des caractères romans bien avant la lettre et les progrès viendront sans aucun doute d’expériences réussies sur de très petits édifices.

Des fouilles récentes viennent de mettre à jour, non loin de Rouen, une abbatiale rurale de grande taille, environ 18m de large pour la nef et les collatéraux, dimensions maximum que nous avons admises pour les oeuvres mérovingiennes, mais il faut attendre confirmation.

A ce rapide tour d’horizon de l’architecture religieuse mérovingienne, il manque les abbatiales et cathédrales d’Aquitaine avec de très grandes nefs uniques et une abside profonde de plan polygonal (modèle de Saint- Bertrand de Comminges). II ne s’agit pas d’un plan imaginé par les chrétiens mais de la réplique de certaines basiliques civiles de l’époque impériale, telle la basilika de Trêves, mais en beaucoup plus léger et de moindre taille. Dans ces églises la portée interne de la nef unique n’excède pas 12 à 14m.

Comme le volume est considérable et la surface au sol relativement faible, les chrétiens ont eu l’idée de flanquer ces nefs de balcons latéraux, les poutres support pouvant venir en aide à une ferme trop grande ou rongée par le temps. Ce sont naturellement des ouvrages très fragiles où les boiseries peuvent transmettre rapidement jusqu’aux combles un feu né au sol. Pour parer à ce danger, les supports en bois seront remplacés par des piles de maçonnerie créant le parti à trois vaisseaux sous un même comble. Là, les balcons disparaîtront mais ils avaient porté très haut le niveau des fenêtres qui conserveront leur position.

C’est sur des édifices de ce type que l’on doit trouver les premières absides avec petites chapelles rayonnantes peu profondes. Ces sanctuaires seront ensuite transformés en chevet à grand développement avec déambulatoire et sanctuaire voûtés. C’est la mutation que nous avons envisagée pour l’abbatiale mérovingienne de Saint-Martin de Tours.

LES EDIFICES CAROLINGIENS

Si les églises mérovingiennes sont plus ou moins fidèles au tableau que nous venons de tracer, la mutation apportée par les Carolingiens sera considérable. Ce sont les abbatiales qui seront génératrices de transformation afin de répondre aux impératifs d’un vaste programme voulu par l’Empereur. Cependant, l’appel fait à de nombreux architectes Bénédictins venus d 'Italie va imposer un certain renouveau du parti basilical classique, en Germanie particulièrement. Pour suivre cette évolution relativement complexe, mieux vaut aborder de manière distincte les plans au sol et les traitements en élévation.

LES PLANS CAROLINGIENS

Ces nouvelles basiliques carolingiennes sont classiques et de très grandes tailles, 60 à 70m de long représentent une valeur moyenne. Le phénomène touche également les cathédrales. A Reims, l’oeuvre de Nicaise offrait une surface brute de 690 m2 pour la nef et 370 m2 pour le transept, soit plus de 1.000 m2. Le maître d’oeuvre de l’époque carolingienne se contente de reprendre l’ancienne nef, de l’aménager en puissance et de la prolonger, obtenant ainsi une surface proche de 1200 m2. Une seconde campagne doit porter sur une avant nef, d’une surface de 480 à 500 m2, ce qui donne un total de 1700 m2.

A Chartres, la première cathédrale était plus modeste avec une nef de 350 à 400 m2 et 250 m2 pour le transept, la surface totale offerte se situait entre 600 et 650 m2. La nouvelle oeuvre édifiée à l’époque carolingienne était beaucoup plus vaste, nous pouvons estimer la surface brute à 1750 m2. La nef comportait trois vaisseaux sur une largeur interne de 26m. Les élévations étaient disposées sur un entraxe de 14m 50 et nous doutons qu’elles aient été portées par des colonnes monolithiques, le constructeur a sans doute expérimenté la pile appareillée, procédé qui sera repris sur la grande cathédrale de Fulbert mais avec des proportions considérables.

Ces deux édifices donnent la mesure des nouveaux projets traités dans le cadre carolingien, les grands édifices se situent autour de 1500/2000 m2 pour les cathédrales et le plan au sol demeure classique: nef à trois vaisseaux, transept en continu plus ou moins débordant et abside en hémicycle régulier, les innovations majeures en plan vont s’imposer exclusivement sur les abbatiales.

LES ABBATIALES

Après les trois lieux de culte, satisfaisants pour la rigueur religieuse mais sans envergure, le pouvoir carolingien demande à ses abbés et aux maîtres d’oeuvre de privilégier l’abbatiale unique afin que les rapports entre les moines et les paroissiens des environs soient plus étroits. Ce ne fut sans doute pas de bon gré mais tous se plièrent à cette demande expresse cependant les problèmes d’exploitation furent nombreux.

Les moines pratiquent la prière plusieurs fois par jour tandis que les paroissiens des environs assistent à la messe une fois par semaine ainsi l’ancienne formule donnait satisfaction. Dans la nouvelle et grande église il va falloir que chacune des communautés s’accommode des us et coutumes de l’autre. Les 100 à 200 moines que compte une abbaye moyenne se sentaient à l’aise dans une petite abbatiale de 300 à 400 m2, mais sont perdus dans un vaste édifice comme la nouvelle église de Saint-Riquier où la nef de 790 m2 et le transept de 300 m2 offrent une surface utile de 1080 m2 environ et cela sans compter le transept occidental de 315 m2 qui viendra clôturer l’ouvrage.

Dans la majorité des nouvelles grandes abbatiales, le transept seul devrait suffire à l’exercice courant du culte; les moines vont donc s’y organiser et laisser la grande nef libre pour les occasions exceptionnelles. Pour l’heure le programme paraît démesuré, d’autant que de nombreux moines qui craignent toujours le contact avec la gente féminine exigent de conserver la vieille abbatiale où ils vont se replier sauf ordre express de leur supérieur. De ce fait, la nouvelle oeuvre prend généralement la place de l’ancienne église des paroissiens.

L’ABSIDE PROFONDE

Installer une communauté dans un cadre qui ne lui convient pas peut sembler une erreur mais l’élite bénédictine qui sert l’Empereur, et l’Ordre par la même occasion, a de grandes ambitions. Le patrimoine rural reçu par l’abbaye regroupe plusieurs centaines de foyers établis sur des terres qui, bien gérées, vont favoriser une poussée démographique et ce seront bientôt 1000 à 2000 paroissiens qui viendront dans la grande abbatiale les dimanches et les fêtes carillonnées. D’autre part, ce renouveau du monde rural doit motiver les autres paroisses environnantes et les abords de l’abbaye vont se garnir de commerçants et d’artisans formant une agglomération étroitement liée à l’économie environnante. Ce bourg va s ‘identifier avec l’abbaye. Pour les Bénédictins avertis, ce sont là les premières pierres du royaume de 1 ‘Eglise et la grande abbatiale est indispensable pour son futur développement, qu’importe la vie des moines.

D’autre part l’abbaye se transforme. Le nouvel abbé arrive avec ses fidèles et la communauté se décompose en anciens et nouveaux. Les traditionalistes plus préoccupés du salut de leur âme que de l’avenir de l’Eglise se complaisent dans une lecture stricte de la règle tandis que les novateurs veulent gérer une entreprise religieuse et servir l’intérêt de la chrétienté sur le long terme. Les premiers se mettent sous la houlette de l’un des leurs qui deviendra le prieur, les autres agissent directement sous les ordres de l’abbé devenu de par ses relations un grand personnage de la société carolingienne. Pour marquer leur rang, l’abbé et ses proches proposent d’allonger l’abside avec une partie droite où ils auront une place réservée. Ces religieux appliquent dans leur abbatiale l’étiquette qu’ils subissent dans les grandes réunions impériales.

Cette décomposition de la population monastique sera confortée par la réussite politico-économique de l’Ordre et l’abside profonde s’imposera définitivement.

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Le plan basilical de principe comporte une abside (Al), un transept (A2) avec parfois des tribunes aux extrémités des croisillons (A3). Ce vaisseau perpendiculaire est en "continu", sans arc de liaison. La nef (A4) a parfois un double bas-côté (A5-A6). Dans l'oeuvre basilicale, seule l'abside en hémicycle est voûtée, toutes les autres parties de l'édifice sont couvertes sur charpente . La façade occidentale est clôturée par un mur pignon (Jl) précédé d'un jardin avec portique périphérique: c'est l'atrium (J2). Les premières modifications apportées au parti seront une abside profonde (Bl), un second transept à l'occident (Kl) avec également une abside dite impériale (K2).

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Les absides profondes (Cl) sont parfois flanquées de deux tourelles d'escalier (C2) ou bien de deux absidioles, long couloir voûté terminé d'une petite abside formant chapelle (Dl). Si l'abbatiale est ouverte au public, les moines en prières se replient dans l'abside profonde et ces couloirs latéraux facilitent la circulation. A l'opposé, l'abside ouest (Ll) est parfois flanquée de deux tourelles d'escalier (Ml) qui permettent l'accès aux combles et leur entretien, mais leur volume conforte également les voûtes de l'abside et notamment le cul—de—four. Comme dans les conditions précédentes, la nef ne change pas et reste de structure basilicale.


L’ENSEMBLE OCCIDENTAL

Après le changement d’orientation survenu à Fulda et l’exploitation opportuniste qui en sera faite par les autorités impériales, le principe du transept et de l’abside occidentale s’impose en Germanie où il correspond bien aux besoins; on le trouve également sur les terres gallo — romaines dans les cathédrales des cités du Bas — Empire. Ici la fonction est beaucoup moins évidente mais l’Empereur sacré à Rome n‘est-il pas le second personnage de l’Eglise après le Souverain Pontife? Il est logique de lui rendre les honneurs dus à son rang, même si cela paraît présomptueux à certains. Le prestige et les avantages que peuvent apporter ces visites impériales valent bien un petit sacrifice aux grands principes d’humilité. Les abbés des anciennes fondations et les évêques eux—mêmes consentent à intégrer dans les oeuvres nouvelles ce massif occidental avec transept et abside, mais cette disposition coupe l’accès traditionnel à l’édifice et oblige les fidèles à entrer par l’un des croisillons du nouveau transept.

L’atrium est désormais sans objet, que devient-il? En s’installant sur de vastes domaines ruraux, loin des villes et des bourgades établies, les abbayes se doivent de prendre en charge pèlerins et voyageurs de passage qui le demandent. Parmi ces gens de plus en plus nombreux il y a des hommes mais aussi des femmes qu’il serait inconvenant d’accepter pour la nuit â l’intérieur de l’enceinte abbatiale, l’obscurité est propice à toutes les rencontres, à toutes les faiblesses du corps. Maintenant isolé de l’abbatiale, l’atrium peut convenir à l’hébergement, il suffit de l’aménager. Flanqué d’une ou de trois portes il devient gîte d’accueil puis sera conçu ou transformé avec deux niveaux, le rez de chaussée pour les hommes l’étage pour les femmes. Ces dernières seront ainsi protégées des convoitises comme des tentations, la disposition est religieusement correcte.

L’atrium hostellerie est une adaptation occasionnelle puis conjoncturelle mais elle doit finalement engendrer des débordements et dès que le village ou le bourg prennent une certaine importance, une hostellerie spécifique sera construite hors l’abbaye. Cependant, le rapide développement des chemins de Saint-Jacques de Compostelle et la multitude des pèlerins pauvres incitera certaines fondations de modeste importance à aménager un étage de nuit au dessus du cloître à leur intention. Là, également, ce ne fut qu’un bref aménagement en attendant la construction des hostelleries spécifiques.

Un siècle plus tard, avec la crise qui suit la grande époque carolingienne, l’atrium hostellerie disparaît laissant un espace entre l’abside occidentale et le mur de clôture. Enfin, vers l’an mille, les bourgades engendrées par l’abbaye étant formées, l’abside occidentale est parfois mise en cause et remplacée par une puissante construction perpendiculaire faisant office de porte fortifiée, c’est le narthex. L’abbaye, lieu de sauvegarde et de refuge, justifie cette transformation dans les périodes troublées. Par contre, dès que les agglomérations externes ont acquis suffisamment d’importance pour construire leur propre muraille la porte fortifiée perd sa raison d’être et le narthex se transforme en avant nef. Sur les terres du Saint—Empire, avec la nouvelle dynastie ottonienne, les évêques sont tentés de préserver l’ensemble occidental dans sa facture carolingienne afin d’accorder à l’Empereur les mêmes prérogatives que naguère à Charlemagne. C’est le cas des grandes cités rhénanes ainsi que de bon nombre d’abbayes de Lotharingie.

Cet ensemble occidental et ses importantes modifications avaient pour objet de régler les délicats rapports et contacts des moines avec le monarque et le monde extérieur, de concilier le désir d’isolement des plus rigoureux avec l’accueil que l’Eglise doit à ses fidèles. Ce fut de tout temps le grand dilemme des abbayes, et le sujet est toujours d’actualité.

L’ABSIDE ORIENTALE

Dans un premier temps, l’abside orientale dont l’hémicycle demeure voûté mais où la partie droite légèrement plus large est toujours couverte sur charpente donne satisfaction. Ensuite, les dignitaires qui s’y installent vont l’aménager plus confortablement: c’est la naissance des stalles, les premières sont provisoires, établies sur tréteaux et l’accès se fait par le centre, ce qui gêne les offices. Une étroite allée aménagée sur le revers résout momentanément les problèmes mais, comme les candidats à cette position privilégiée sont toujours plus nombreux, du moins dans la période faste des abbayes carolingiennes, les constructeurs proposent de flanquer cette partie droite de deux bas-côtés qui serviront d’accès, ensuite ils proposeront de prolonger ces bas-côtés en hémicycle autour de l’abside comme à Corvey. Ce sont deux développements que nous retrouverons dans les églises romanes entièrement voûtées.

A la fin de la grande période carolingienne, les abbayes qui n’ont plus rien à attendre du pouvoir impérial retrouvent une certaine indépendance d’esprit et tous les travers que peut engendrer la diversité d’opinion. Un courant monastique juge que les autels consacrés aux Saints furent les grands oubliés de l’évolution architecturale et demandent une nouvelle disposition. La grande abside avec chapelles rayonnantes réalisée en Aquitaine ne convient pas, elle interfère avec l’autel majeur, par contre, les deux couloirs de circulation qui flanquent la partie droite de l’abside peuvent très bien être clôturés chacun d’un petit sanctuaire voûté en cul de four, c’est la naissance des absidioles. Pour rompre leur isolement, les passages ouverts dans le mur de l’abside seront agrandis ou multipliés, c’est encore possible puisque cette partie droite n’est pas voûtée et les murs restent minces. Par contre, cet aménagement met en cause les tréteaux et fauteuils installés pour les dignitaires mais, à cette époque, les statuts privilégiés ne sont plus de mode.

Dans les chevets où la galerie de circulation fait le tour de l’abside, l’aménagement de ces absidioles n’est plus possible et les moines fervents d’autels auxiliaires proposent d’installer des chapelles rayonnantes sur ce couloir de circulation mais elles sont complètement isolées du sanctuaire. Est-ce le chemin qui mène au chevet à grand développement? Nous en doutons. Ceux qui désirent ces autels auxiliaires proposent alors d’installer des chapelles orientées sur le mur Est du transept. Cependant les croisillons sont trop peu débordants et cet emplacement est réclamé par les constructeurs désireux de placer là deux tourelles d’escalier donnant accès aux tribunes de fond de croisillon et à la visite des parties hautes de l’abbatiale. L’avis des constructeurs l’emportera dans la majorité des cas ce qui va servir le projet des chapelles rayonnantes.

A quelle époque ces aménagements non voûtés s’imposent-ils autour du chevet, nous l’ignorons mais sans doute à une date avancée du IX~ siècle, ensuite, avec la crise engendrée par le partage de l’Empire et l’insécurité due aux invasions Wikings, la plupart des grandes abbayes oublient leur projet, se contentent de sauvegarder l’existant ou relèvent leurs ruines au mieux de leurs moyens, mais ces mutations et projets s’imposeront d’emblée dans les nouveaux programmes à venir.

LES PREMIERES VOUTES

Si les nefs et les transepts du parti basilical ne se prêtent aucunement aux expériences de voûtement, les additifs réalisés dans l’ensemble occidental, comme dans l’abside orientale, incitent aux expériences.

Dans les abbayes qui se trouvent flanquées d’une petite agglomération généralement établie à cheval sur la voie d’accès, les responsables du programme préfèrent la porte monumentale à la seconde abside mais ils entendent préserver la place de l’Empereur et celle-ci sera réalisée comme une tribune donnant sur la nef par une vaste baie. Les hôtes de marque y accéderont par des escaliers établis dans les volumes latéraux ou par deux tourelles flanquant la tribune. Dans ce second cas nous obtenons un puissant volume rectangulaire qui peut se substituer au transept occidental; ce sera le cas à Corvey.

Pour la tribune, le plancher de bois ne saurait convenir à la dignité de l’hôte, il faut un dallage et par conséquent des voûtes au premier niveau. L’accès public sera donc décomposé en trois portes et le vestibule doté de neuf voûtes d’arêtes reposant sur quatre colonnes. Les portes d’accès, comme celles donnant sur la nef, sont en plein cintre maçonné sur des piles carrées.

Cet aménagement qui permet de transformer le niveau supérieur en réduit défensif à l’heure du danger se diffusera à la période trouble qui marque la charnière des IX° et X° siècles. L’idée de petites structures voûtées fait son chemin.

Sur l’abside orientale, où les cierges brûlent à profusion pour éclairer le cérémonial durant les offices du soir ou de l’hiver, les suies se déposent sur les poutres apparentes de la partie droite et le risque d’incendie est grand. Après de nombreux sinistres, l’idée d’un voûte s’impose là également mais les portées et les hauteurs sont plus grandes, les problèmes plus sérieux. L’une des solutions consiste à voûter la partie droite en berceaux mais également les deux volumes latéraux en les surélevant afin qu’ils puissent épauler à hauteur convenable les résultantes externes issues de la grande voûte. La composition paraît simple mais les murs des couloirs latéraux sont généralement trop faibles, il faut les refaire, passer d’une base de quatre pieds à un ouvrage de six pieds ou, éventuellement, réduire la portée du berceau central, autant dire tout reprendre à la base. Les premières tentatives de voûtement réalisées sur des murs existants feront illusion un temps mais les accidents seront nombreux.

L’abside orientale de l’abbatiale de Saint-Riquier nous offre une composition intéressante, la partie droite était flanquée de deux puissantes tourelles d’escaliers offrant un épaulement partiel mais suffisant pour permettre le voûtement. La composition va se révéler très satisfaisante à condition de réduire la partie droite afin que le doubleau mineur qui la sépare du cul-de-four soit proche de la tangente des tours comme ce fut fait sur l’abside occidentale de Paderborn.

Dans cette approche consacrée aux premières tentatives de voûtement, nous avons envisagé de nombreuses options mais seules les plus réussies vont parvenir jusqu’à nous. En outre, il faut admettre qu’une bonne majorité des réalisations carolingiennes va disparaître sans laisser de traces sous les grands programmes romans et gothiques ultérieurs. D’autre part, le voûtement ne fut sans doute pas considéré comme la panacée. Si l’ouvrage ainsi traité se trouvait protégé des incendies survenant dans le mobilier au sol, il impliquait des risques d’écroulement dont les raisons demeuraient obscures, d’autre part il réduisait considérablement le confort d’exploitation. Les espaces devenaient plus exigus et moins bien éclairés. Si cette évolution pouvait convenir à la psychologie religieuse régnant en certaines régions, telle la Bourgogne et l’Aquitaine où l’exercice du culte devenait plus intimiste, les régions septentrionales, coeur de la société carolingienne, demeuraient fidèles au faste et à la ferveur collective. Pour ces chrétiens mieux valait traiter les risques d’incendie à l’origine plutôt que de sacrifier ces grands chevets largement éclairés, richement décorés où la couleur et la lumière séduisaient les hommes plus que la pénombre et le mystère. Les caractères de l’architecture ottonienne et des grandes abbatiales anglo-normandes, ainsi que de très nombreux édifices de Francie aujourd’hui disparus montrent à l’évidence la pérennité de ces options. C’est également en Francie que va naître l’architecture gothique ou tout est lumière et couleur dans le sanctuaire comme dans la nef. Il ne faut pas nécessairement inscrire le roman et le gothique dans une évolution technique continue, les ouvrages sont nés dans des régions distinctes où la psychologie des chrétiens était différente à bien des égards.

LES NEFS

Dès 790/800, Charlemagne se voit comme le restaurateur de l’empire romain et, comme son illustre prédécesseur, Constantin le Grand, premier empereur chrétien, il veut construire et reconstruire des églises afin d’imposer sa marque à l’histoire et de mériter la gratitude de son peuple. Le modèle à respecter est naturellement la basilique du IV° siècle, ce n’est pas un ordre strict mais, pour tout promoteur de chantier, mieux vaut faire plaisir au monarque afin d’obtenir de lui subsides et avantages. Cependant, l’élément essentiel de l’élévation basilicale, la belle colonne monolithique en pierre dure se fait rare. Les plus appréciées sont celles de taille moyenne: 2 pieds de diamètre sur 18 â 20 pieds de 1011g. On ne les trouve guère dans les constructions courantes mais surtout dans les grands portiques liés aux somptueux monuments comme les Thermes.

Afin de les préserver, les Chrétiens ont toujours laissé entendre qu’elles furent les témoins de la vie des premiers martyrs et, à ce titre vénérables, mais il faut les dégager et surtout les transporter. D ‘autre part, la présence des Musulmans sur les rivages Sud de la Méditerranée interdit de prospecter sur ces terres où elles sont les plus nombreuses. Les fervents de Mahomet les recherchent également pour leurs mosquées, leurs palais. La grande mosquée de Cordoue n’utilise que des colonnes romaines de récupération. A la fin du IX° siècle, les chrétiens de Saint-Jacques de Compostelle transporteront au nez et à la barbe des Musulmans un petit nombre de ces précieux supports dégagés des ruines de Portus (Porto) afin de construire la seconde église du sanctuaire, celle d’Alphonse III, en 893. Pour les bâtisseurs de Charlemagne, les ruines de Lugdunum Convenarum (Saint-Bertrand de Comminges) fourniront bon nombre de gros fûts qui seront transportés dans le Nord. Cette manne préservée était due au parti d’Aquitaine avec nef unique où seuls les atriums et les cloîtres nécessitaient de petits fûts.

Dans le Nord, les ruines des très grandes villes comme Reims, Cologne, Metz et surtout Trêves, fastueusement reconstruites au début du IV°siècle peuvent encore fournir des fûts de bonne taille mais ces lieux de récupération vont bientôt se tarir, enfin, la manutention et surtout le transport posent problème. Un fût de 2 pieds de diamètre pèse environ 770 kg au mètre, soit plus de 3 tonnes pour un fût de 6 m. Leur déplacement sur les routes mal entretenues se révèle délicat et risqué, bon nombre d’entre eux vont se briser durant le transport, la voie fluviale sera donc privilégiée ce qui condamne pratiquement la prospection sur de nombreux sites, tels les conciliabule.

Comme les chantiers se multiplient, la demande s’accroît et bien vite il faut se résoudre à remettre en exploitation les anciennes carrières romaines et, dans le Nord, elles ne sont pas légion. Les plus grosses veines de pierre suffisamment dures se trouvent dans les monts du Hardt mais c’est un sujet mal connu. Les fronts de taille exploités au carolingien seront détruits dans les siècles à venir pour des pierres de petit module, l’usage des colonnes monolithiques disparaissant avec l’époque romane.

Pour les Carolingiens, cette remise en exploitation n’est pas facile. Les fronts de taille, de 6m et plus, dégagés à l’époque romaine ont été saccagés par de petits prélèvements. Il faut d’importants travaux préliminaires avant d’obtenir à nouveau des conditions d’exploitation optimum. Le travail sera mené à bien mais les nouvelles colonnes ne seront disponibles que vers le milieu du siècle, soit à l’heure où les grands programmes s’achèvent. Elles serviront également aux constructeurs ottoniens au début du XI°.

En résumé, nous dirons que sur la grosse centaine de cathédrales et d’abbatiales reprises, relevées ou reconstruites à neuf sur la brève période carolingienne il est peu probable que toutes aient disposé d’un ensemble de fûts monolithiques homogènes permettant de respecter intégralement le parti basilical. La plus forte activité architecturale se situe après un temps de mise en route sous le règne de Louis le Pieux, qui réside majoritairement à Aix-La-Chapelle. Souvent sollicité, Louis favorise les chantiers qu’il visite régulièrement et ceux-ci bénéficient du transport par voie d’eau sur le Rhin et la Moselle. Ainsi le renouveau du parti basilical connaît sa meilleure expression dans cette région où il est bien servi. Dans les bassins de la Seine et de la Loire, les constructeurs doivent composer avec les difficultés d’approvisionnement et rechercher des supports de substitution. Cette approche des choses se confirmera dès l’an Mille, où les abbayes de Francie et de Bourgogne ont pris une réelle avance dans les innovations romanes tandis que la vallée du Rhin demeure, pour un temps, fidèle au parti carolingien.

LES SUPPORTS DE SUBSTITUTION

Hors les courants privilégiés, et faute de colonnes monolithiques, les constructeurs doivent descendre dans l’échelle des procédés. Au premier échelon, ils vont récupérer des colonnes brisées, les découper en tambours et les assembler au mieux. Si ces éléments sont de même dureté et convenablement installés sur le délit, la composition est satisfaisante sinon les faiblesses vont se manifester au niveau du tambour le plus faible. La première parade consiste à grossir le support mais le constructeur sort du module courant et doit se résoudre à la pile appareillée. Dans ce cas, la meilleure composition est celle qui utilise des demi-tambours croisés avec un diamètre légèrement supérieur au fût monolithique. Il sera courant à l’époque romane, mais à l’époque carolingienne il est considéré comme inavouable et recouvert de stuc. Cet habillage permet ensuite quelques négligences sur l’appareillage mais il faut le compenser par une augmentation de section. Ainsi les constructeurs s’acheminent insensiblement vers la pile ronde, en petit appareil, déjà expérimentée dans des programmes pauvres de la période mérovingienne. Ces piles ne trouvent plus de chapiteaux à leur convenance, il faut alors aménager un volume de transformation très délicat à réaliser. Arrivée à ce point, la majorité des constructeurs va préférer la pile carrée ou rectangulaire qui les dispense de chapiteaux.

L’évolution est quelque peu différente dans les cathédrales. Là il faut traiter avec l’existant afin de préserver un lieu consacré mais aussi récupérer le maximum de matériaux nobles eux aussi consacrés. Les chantiers progressent plus lentement mais c’est généralement la nef qui sera reprise la première, le transept isolé par une cloison de bois servant aux offices. Comme la nouvelle oeuvre est généralement plus large et plus haute que l’ancienne le problème des supports se pose de manière cruciale. Le plus simple est de récupérer les meilleurs fûts de l’ancienne nef et de les utiliser en alternance avec de grosses piles carrées. Ces élévations deviennent plus lourdes et les colonnes anciennes peuvent en souffrir. Il est possible de les décharger par un arc inséré dans la maçonnerie entre deux piles fortes mais un appareillage interne savamment disposé en encorbellement donne les mêmes résultats. Si le maître d’oeuvre dispose d’un nombre suffisant de colonnes il adopte une alternance de deux pour une pile.

Comme la hauteur de la nouvelle nef est supérieure à l’ancienne, les colonnes de récupération paraissent menues, pour compenser les constructeurs ont recours à divers astuces. Un gros cube de pierre est inséré entre le chapiteau et le tailloir tandis que la base du fût est installée sur un puissant dé en maçonnerie. Enfin il est possible de surélever les arcs. Ces aménagements permettent de gagner jusqu ‘à 30% de la hauteur. Cependant, ces petites astuces se révèlent insuffisantes si la nouvelle nef est beaucoup plus haute que l’ancienne. Au mérovingien, la hauteur des élévations se situait entre 12 et 17m, les oeuvres carolingiennes elles, sont incluses entre 17 et 22m. Si le premier niveau demeure conditionné par les anciennes colonnes, l’espace médian entre archivoltes et fenêtres hautes s ‘accroît dans de sérieuses proportions. Cette évolution convient au nouveau programme où les pentes des combles des bas-côtés se sont accentuées, cependant, vu de l’intérieur ce vaste mur nu donne une impression de déséquilibre. Ultérieurement il sera garni d’oculi, puis de baies géminées et enfin d’un niveau de tribunes.

Ainsi, après avoir fait son entrée en guise de palliatif, la pile carrée acquiert ses titres et caractères et concurrence la pile ronde comme nous l’avons vu précédemment. Dans les programmes où elles s’imposent, ces piles appareillées prennent de la hauteur et réduisent l’espace médian à sa juste proportion, ce faisant elles deviennent fragiles et de nombreux tassements interviennent. Ces accidents vont justifier des interventions de sauvegarde. Généralement, il s’agit d’une arcade de liaison au niveau intermédiaire, ainsi se dessine la composition à deux niveaux d’arcades mais sans tribune.

Nous venons de résumer les problèmes techniques mais la question des supports adoptés dans les constructions de l’époque carolingienne demeure fort discutée. Comme les auteurs germaniques avaient pris au début du XX° siècle une sérieuse avance en ce domaine, ils avaient privilégié l’option basilicale, c’était logique sur leur terrain d’étude mais cette hypothèse fut généralisée, par convenance, et ce fut sans doute une erreur. De nombreux constructeurs de cette époque ont dû se résoudre à des supports appareillés.

LA CROISEE DES TRANSEPTS

Le plan carolingien avec transept oriental et occidental implique deux croisées tandis que les combles à forte pente condamnent les étagements qui permettaient au toit du vaste transept de coiffer celui de la nef. Les constructeurs vont donc opter pour une croisée régulière établie sur quatre arcs avec des murs se dégageant des combles. Cette tour de croisée permet de recevoir les quatre combles à forte pente avec un larmier de protection pour chacun. La composition se révèle excellente et permet de différencier les croisillons qui peuvent devenir plus modestes. Cependant l’aménagement des parties hautes de cette croisée va donner cours à des ouvrages de charpente qui ne seront pas toujours viables sur le long terme. Certains constructeurs vont choisir, comme à Saint-Riquier, le beffroi en charpente surmonté d’un lanternon. Est-il ouvert sur la croisée ou protège-t-il un plafond ou une fausse coupole? Nous l’ignorons. Cette dernière option aura notre préférence mais ces vastes compositions de bois sont fragiles au feu comme aux intempéries. L’option tour—lanterne doit se dégager peu à peu et les maîtres romans l’adopteront. C’est généralement ainsi par expérience et par petites touches que le progrès architectonique fait son chemin.

LES CHARPENTES

Si les Grecs construisaient de superbes temples, leur charpente avec pilettes supportant le faîtage et les arbalétriers était particulièrement archaïque. La pilette concentrait toute la charge sur la poutre maîtresse (entraît), ce qui limitait la portée à 9/10m même avec des poutres maîtresses de 40 à 50cm de côté, ce qui n’était pas facile à trouver. Les constructeurs helléniques se sont sans doute approvisionnés en gros troncs de sapin ramenés à grand frais d’Europe Centrale par le Danube.

Les Romains sont les inventeurs de la ferme traditionnelle où les arbalétriers s’emboîtent dans l’entraît et le font travailler en traction, non en flexion. Cette composition beaucoup plus astucieuse permet des portées de 12/14m avec des entraîts de 30 x 30. Une fois le procédé acquis, les Romains vont imaginer un entraît composé de plusieurs pièces de bois assemblées. Des chevilles furent utilisées dans les premiers montages mais le bois se fendait sous des contraintes trop fortes, la formule avec coin interne enserré dans des étriers métalliques se révèle de meilleure tenue. Pour des portées de 25m et plus, l’entraît est composé de trois fois plusieurs pièces de bois et ces réalisations demandent une parfaite maîtrise de la résistance des matériaux.

Les Carolingiens ont-ils parfaitement compris ces énormes fermes installées à Saint-Pierre et à Saint-Paul de Rome, nous pouvons en douter. A partir d’une certaine technicité, voir et refaire à l’identique ne suffit plus, il

faut maîtriser la composition mécanique et soigner les points de plus forte contrainte. D’une manière générale, les constructeurs carolingiens vont réduire leur portée afin de pallier aux difficultés rencontrées. Parmi les très grandes portées notons les 15m à l’axe de Fulda où l’élévation de 4 pieds impose un entraît de 16m 50 environ, mêmes contingences à Chartres avec 14m à l’axe. Dans ces deux cas, I ‘entrait d’une seule pièce était encore concevable mais uniquement avec des troncs de sapin de très grande taille, que les forêts de Germanie pouvaient fournir. De leur côté, celles des Carnutes étaient célèbres pour leurs fûts de chêne toujours très recherchés à l’époque romane. La portée la plus critique dans les ouvrages carolingiens se rencontre à l’aula regia d’Aix-la-Chapelle où les 16m d’écartement entre des murs de 7 à 8 pieds exigeaient des entraîts de 19m au minimum. Les forêts de Germanie étaient-elles en mesure de fournir des troncs de sapin satisfaisants? Si oui, il a fallu prospecter sur une très vaste étendue.

Pour les charpentes carolingiennes, nous trouvons à la fois des pentes à 45° et plus imposées par les couvertures en bardeau et celles beaucoup plus faibles communément utilisées par les architectes romains avec des tuiles plates à couvre joints. Nous dirons que les édifices de prestige issus du courant italien, comme Fulda, ont sans doute reçu des combles à faible pente, 15 à 20°, et des tuiles à couvre joints amenées d’Italie ou cuites sur place par des spécialistes venus de la péninsule mais ce fut vite perçu comme une contrainte. La majorité des maîtres d’oeuvre travaillant sur les grands édifices vont demeurer fidèles aux combles à forte pente en espérant disposer de feuilles de plomb pour leur couverture, le grand luxe à l’époque.

Dans ce cas, la composition de la ferme doit se différencier des techniques romaines et privilégier les entre­toises et les fiches (jambettes), à l’encontre des pièces obliques de contreventements dites contre-fiches. Sur le plan mécanique, c’est un retour à l’archaïsme qui va se perpétuer durant le Haut Moyen Age. Si le poinçon ne poinçonne plus dans une ferme bien conçue, la fiche, elle, peut poinçonner l’entraît en cas de flexion de l’arbalétrier mais seulement si l’entretoise ne s’y oppose pas. Le bon traitement des montages à bois devient primordial.

Au-delà de ces considérations très techniques, nous dirons que les charpentiers carolingiens ont, par coutume autant que par volonté, tourné le dos aux techniques traditionnelles romaines préparant ainsi les oeuvres du Moyen Age. Cette démarche est logique maïs quelle fut leur part dans les innovations qui vont caractériser les époques à venir? Ceci reste l’inconnu. Cette fois encore nous serons tentés par une option maximaliste et nous dirons que c’est aux maîtres carolingiens que nous devons les procédés de charpente des XI° et XIIème siècles.

LES COUVERTURES

Charpentes et couvertures se conditionnent mutuellement. Il est impossible de les dissocier dans le cheminement du progrès technique, cependant mieux vaut les aborder séparément pour ne pas se perdre dans les dédales de l’analyse. De prime abord, résumons le cadre du problème.

Les grandes charpentes romaines à faible pente engendraient des contraintes considérables au point d’emboîtement, entraît-arbalétrier. Les constructeurs avaient donc tout intérêt à exploiter des couvertures légères. La tuile plate “tegula” en superposition avec couvre-joints “imbrices” représentait avec une épaisseur moyenne de l5mm un poids de 30 à 35kg au m2, contre 80 à 120 kg au m2 pour les plaques de marbre utilisées sur les temples grecs. Le progrès était considérable. Par contre, les difficultés rencontrées dans le séchage et la cuisson de ces grandes plaques d’argile limitent leur diffusion. Pour les couvertures ordinaires, les fabricants vont proposer des tuiles demi-rondes qu’il faut composer en lignes d’écoulement et de couvre-joints. Avec ce système le poids augmente considérablement, 70 à 90 kg au m2 pour des tuiles d’épaisseur moyenne. Ces deux modes de couverture ne disposant pas d’accrochage, il faut réduire la pente pour éviter le glissement.

De leur côté, les régions septentrionales, peu ou non touchées par les techniques romaines, continueront d’utiliser la couverture de chaume ou de roseau en région agricole et de bardeau en milieu urbain. Cette planchette de bois fendu, réalisée en chêne ou en sapin, trempée dans un mélange de graisse, de résine et de soude (le savon), a une grande longévité, un siècle et plus. Il suffit de brosser régulièrement ces couvertures afin d’éviter l’accumulation de poussière amorce de petite végétation.

Les meilleures conditions sont donc obtenues avec des combles à forte pente, 45 à 50°, ce qui implique de fixer ces planchettes. Elles seront pincées entre deux lattes maintenues par des ligatures, ou bien fixées avec des chevillettes de bois dans des trous percés au fer chaud. Le poids d’une telle couverture est variable selon l’épaisseur des planchettes et leur degré d’humidité, mais la charge est relativement faible, entre 25 et 30 kg au m2, d’autre part, la forte pente diminue les contraintes au point d’emboîtement de l’arbalétrier et de l’entraît.

A l’époque mérovingienne, la couverture considérée comme parfaitement étanche, durable et de poids modéré, idéale en un mot, c’est la feuille de plomb. Ce métal issu en résiduel de l’exploitation des mines d’argent d ‘Espagne et du Poitou fut très abondant à l’époque romaine. Il trouva son application dans les conduites d’eau mais peu dans les couvertures où les faibles pentes ne convenaient guère. Au Carolingien, l’intérêt qu’il suscite justifie une chasse à la récupération dans les ruines romaines ainsi que dans les siphons des aqueducs, les quantités obtenues sont suffisantes pour les grands édifices mais il disparaît dans les incendies où les gouttelettes fondues se mêlent aux cendres et aux gravats, leur récupération représente alors un travail fastidieux. D ‘autre part, la fusion de ces couvertures en plomb gêne l’approche des combattants du feu en cas de sinistre, ce fut le cas à Chartres quand l’incendie ravagea la grande cathédrale de Fulbert.

Avec une densité de 11,37, une couverture de plomb de 3mm en moyenne représente une charge de 35kg au~ m2 à laquelle il faut ajouter le revêtement en volige, soit 10 à 12 kg. C’est donc une couverture relativement légère. La disposition en rectangulaire avec bords roulés sera rapidement abandonnée pour un montage en diagonale ~ù les plaques sont fixées avec des clous sur deux côtés. Cette disposition est nécessaire pour absorber les dilatations en cas de fortes chaleurs. Comme cette couverture devient vite totalement étanche avec les poussières qui garnissent les joints, elle fixe les condensations internes, il convient d’ouvrir de petites aérations triangulaires, ou mieux de petites lucarnes qui permettent le passage du couvreur et de son échelle pour l’entretien.

Enfin, ce sont les infinies possibilités des feuilles de plomb qui vont inciter les charpentiers à couronner tours et clochers de beffroi en bois, avec forme et étagement décoratif. Des poutres de bois disposées verticalement et recouvertes de feuilles de plomb constituent de fausses colonnes avec chapiteaux. Ce mode de décoration qui disparaît à l’époque romane revient en force dès les XIII et XIV° siècles sur les cathédrales où il permet, notamment, de réaliser de superbes flèches surmontant la croisée.

Ces mutations architectoniques de l’époque carolingienne constituent un vaste sujet que nous avons abordé à grands traits sans bien sûr l’épuiser. Il faut le considérer comme un mouvement novateur dont l’impact sera variable, déterminant pour l’avenir en certaines régions comme la Germanie, seulement innovateur entre Loire et Rhin et sans grand effet en Provence et en Aquitaine. La grande architecture septentrionale de l’An Mille, sera fortement conditionnée par les expériences carolingiennes, particulièrement celles menées hors le courant académique et basilical voulu par l’Empereur.

LE PROGRAMME OPTIMUM

Etablies sur la sépulture d’un saint personnage dont l’existence fut reconnue comme exemplaire, les abbayes hors les murs seront ensuite conditionnées par la vie du faubourg où elles sont implantées. Autour du lieu de culte, la fondation doit proposer tous les services de bienfaisance dont les pauvres ont besoin : table ouverte avec soupe chaude, une paillasse pour les voyageurs démunis et enfin un lit d’hôpital pour ceux qui ne peuvent aller plus loin. Dans cet ensemble de bons secours, les premiers serviteurs seront des bénévoles puis vinrent les permanents qu’il fallut encadrer à l’aide de règlements. Ces textes rédigés à l’usage des fondations furent nombreux mais seuls les plus équilibrés dans la rigueur vont s ‘imposer.

Sur le terrain les premiers plans de ces fondations sont donc improvisés au fur et à mesure des besoins et parfois dans le désordre. Il faut aménager les abords de la fondation primitive puis exploiter les diverses donations reçues. Nous ne pouvons donc faire référence aux ensembles bien ordonnés des époques carolingiennes et romanes. Enfin, parmi ces fondations hors les murs, seules les plus illustres et les mieux gérées s’imposent, les autres vont se décomposer, perdre leurs moyens et devenir de simples églises paroissiales.

Ces considérations logiques sont également applicables aux fondations du monde rural. A l’origine c’est un grand domaine agricole où le propriétaire touché par la grâce accueille les mendiants et les routards durant la période hivernale. Ils reçoivent le gîte et le couvert mais avec obligation de prières et de bonne conduite. Si la gestion de la maison est rigoureuse et les revenus fermiers importants, le fondateur peut faire construire un lieu de culte destiné aux offices et un autre à usage de chapelle funéraire. Les quelques desservants instruits dans les Evangiles et la liturgie naissante gèrent la vie spirituelle. Si leur action est digne d’éloge, les habitants du voisinage viendront là afin de confirmer leur croyance, d’obtenir les sacrements essentiels mais également pour assurer une éducation religieuse à leurs enfants. Parmi ces premiers paroissiens, les femmes sont nombreuses mais leur présence effraie les plus rigoureux, il faut donc construire un troisième lieu de culte pour ces gens du voisinage.

Edifiées hors la cour d ‘exploitation, ces trois églises seront ensuite reliées par des murs garnis de petites cellules en appentis formant ainsi la première enceinte religieuse. C’est une articulation de ce genre que nous trouvons sur le plan de l’abbatiale de Saint-Riquier.

La cellule individuelle représente l’option des moines de la règle de Saint Colomban (discipline irlandaise) mais Saint-Benoît parle de douze petits monastères de douze moines chacun. Ces chiffres très symboliques sont difficiles à respecter avec une population de fidèles variable et changeante mais cette idée, antithèse de la cellule, porte à la discipline, à la rigueur communautaire et à une organisation de plus grande ampleur qui caractérisera la refonte bénédictine de l’époque carolingienne.

Ultérieurement, les Chartreux de Saint-Bruno, reviendront au petit ensemble d’une douzaine de moines qui, selon eux, permet une meilleure vie spirituelle et intellectuelle. Ce fut possible dans cet ordre grâce à un filtrage, inavoué mais certain, pratiqué à l’égard des postulants.

A la fin de l’époque mérovingienne, l’organisation en cellule doit dominer dans toutes les régions où l’esprit irlandais s’est imposé. Ailleurs, c’est le règne des petits ensembles disséminés dans l’enclos monastique mais cette disposition gène l’application d’une règle commune et les premiers regroupements doivent précéder la refonte carolingienne. Cependant, la bonne discipline obtenue lors des regroupements où l’on trouve dortoirs et réfectoires communs engendre une certaine sélection parmi la population monastique admise. Cette organisation convient aux plus rigoureux mais contraint les esprits plus ouverts qui doivent assurer la bonne gestion du patrimoine foncier. D’où la décomposition de la communauté entre les fidèles du Prieur et ceux qui ont à charge la gestion des domaines sous la férule de l’Abbé.

Dans ce contexte, les humeurs vont se mêler, se heurter d’où l’intérêt d’une disposition (d’un plan de masse) bien conçue. Ce sera semble-t-il l’obsession des grands abbés de l’époque carolingienne et nous avons conservé un précieux témoignage des organisations proposées, c’est le plan dit de Saint-Gall.

Ce document fut tracé par un scribe adroit mais docile qui tenta de faire la synthèse des multiples options émanant de ses autorités. A son sujet nous ferons différentes remarques primo, il est très difficile de l’exploiter comme tel, c’est un dessin apparemment rigoureux mais qui ne permet pas de distinguer clairement murs porteurs, murs de cloisonnements et murs de clôtures, d’autre part, certaines dispositions nous semblent symboliques. Les trois bâtiments principaux entourant le cloître, dortoir, réfectoire et cellier, sont dessinés en rectangles indépendants et des annexes ajoutées dans les angles comme si les constructeurs carolingiens ne savaient pas lier deux combles à angle droit. Cette décomposition des volumes impose au dessinateur de tracer des couloirs de liaison fonctionnels (tracé réalisé après coup, sans doute) afin de répondre aux impératifs du programme.

L’oeuvre nous fait penser davantage à une laborieuse mise en place au sein d’un carré arbitrairement tracé qu’à une composition rationnellement imaginée. Les inconvenances sont légion. Voyons l’entrée principale. Le visiteur doit d’abord parcourir une longue allée de plus de 50m entre des bâtiments clos de murs dont la fonction est incertaine, hostellerie pour les voyageurs ou bien étable pour le bétail. Cet accès n’a rien de majestueux. Après avoir parcouru cette longue allée, l’arrivant accède par une petite porte dans une galerie en appentis établie autour de l’abside occidentale. A l’intérieur de cette galerie, les supports sont irréalistes. Là, le maître dit au scribe qu’il lui faut placer deux tours et le dessinateur qui n’a aucune notion de construction les situe hors l’oeuvre et les relie à l’abbatiale avec de petits couloirs de circulation.

Arrivé à ce point le visiteur doit pénétrer dans l’abbatiale par une petite porte donnant sur le bas-côté, pas de transept caractérisé si l’on en juge par les supports cependant nous pouvons imaginer que cette erreur de dessin fut à l’origine des grandes arcades encadrant la fausse croisée comme à la cathédrale de Nevers.

Une fois dans l’abbatiale, le visiteur se trouve devant un véritable labyrinthe de cloisons et de grilles qui décomposent la grande nef en une multitude d’espaces avec un grand nombre d’autels auxiliaires. Il s’agit là sans doute d’une improvisation afin d’occuper une nef trop grande pour les activités religieuses courantes. Côté sanctuaire, nous trouvons un transept et une croisée bien figurés mais là encore l’espace est isolé de la nef par des cloisons ou des grilles et la disposition montre à l’évidence que nous sommes dans un espace réservé aux moines venant directement du dortoir.

Le cloître nous semble isolé de l’ensemble et seulement accessible de la zone réservée comprenant transept et abside. Enfin le flanc nord de l’abbatiale voit son bas-côté flanqué d’un volume en appentis où nous distinguons des lits de couchage. Il s’agit là sans doute des espaces de repos destinés aux moines en prières perpétuelles. De ces petits dortoirs ils peuvent en silence gagner les autels de la nef 24h sur 24, selon leur programme. Ce volume est doublé d’un long corridor avec de petites communications, des guichets destinés à procurer de la nourriture à ces moines particulièrement isolés.

La décomposition de la nef convient bien à des contemplatifs qui entendent consacrer l’essentiel de leur vie au salut de leur âme. Avant la refonte de l’abbaye ils s’étaient fort bien satisfaits de leur petite cellule, de leur pauvreté et de la modeste nourriture, tout était conforme à leur éthique de vie mais ils comprennent qu’ils ne peuvent échapper au courant réformateur voulu par les Bénédictins du temps. Projetés dans une vaste abbatiale dont ils ne savent que faire, ils vont décomposer la grande nef en différents espaces clos, y installer de nombreux autels mineurs et imaginer la prière perpétuelle sans doute pour les plus âgés d’entre eux qui doivent achever leur vie par un parcours particulièrement édifiant.

Pour les moines les plus actifs, le transept et I ‘abside constituent un espace que nous dirons essentiel. Ils vont l’isoler, l’aménager afin d’y prier comme ils le faisaient naguère dans leur petite église. D’autre part, les directives nouvelles leur imposent un vaste dortoir collectif au lieu des cellules propices â la méditation, ils vont décomposer cet espace avec des cloisons, seul le volume unique du réfectoire paraît leur convenir.

Nous ignorons l’échelle du plan de Saint Gail, mais avec pour les piles de la nef une largeur à l’axe de 11 à 12m nous obtenons, pour l’abbatiale, plus de 1500 m2 de surface utile, non comptées les deux absides, c’est beaucoup trop pour les dévotions de 250 à 300 moines, les 400m carrés du transept (33 x 12) que nous avons vus particulièrement isolés et directement reliés au dortoir et au réfectoire suffisaient amplement à leurs besoins.

En résumé nous dirons que ces aménagements nous semblent une laborieuse synthèse entre les courants novateurs et conservateurs. Réalisés par les abbés de Saint-Gail et de Reicheneau, ils pouvaient convenir aux fondations de l’ancienne Réthie, terre gallo-romaine christianisée de longue date avec un important réseau de paroisses. Là les fondations pouvaient, sans grand préjudice pour la société chrétienne, se fermer au monde extérieur, comme le veut la discipline de Saint — Colomban, apportée par son compagnon Saint GaIl. Cependant les grands abbés de l’époque impériale vont souvent se heurter à de forts courants conservateurs qu’il faudra concilier avec les nouvelles directives. Les premières abbayes mérovingiennes s ‘étaient développées dans le plus grand désordre en intégrant les donations successives et parfois la communauté doit composer avec la petite agglomération voisine. Ainsi, lorsque l’ordre bénédictin leur demande de rationaliser les divers constituants de la fondation, les problèmes sont nombreux et toutes les habitudes se trouvent bousculées. Un fort mécontentement se manifeste parmi les moines. Que veulent ces gens qui se disent délégués de Rome et dépendants du pouvoir impérial? Tout transformer au risque de briser des années de coutume. Autant dire que ces directives sont mal vues, cependant il faut bien faire un effort et pour le moins proposer un projet, un plan susceptible de donner satisfaction aux responsables de l’Ordre. Dans un carré arbitrairement tracé, le scribe de Saint-Gall va intégrer au mieux tous les constituants d’une abbaye dont le développement fut empirique et les articuler autour de la grande abbatiale, c’est ainsi que nous verrons ce document.

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Au temps de Louis le Pieux, certains grands programmes s'achèvent, d'autres sont mis en chantier mais les besoins divergent et les problèmes d'articulation se posent dans les monastères. En Germanie, les fondations nouvelles doivent assurer l'évangélisation de vastes territoires, accueillir les foules lors de fêtes carillonnées, créer des paroisses, former des desservants et enfin admettre le développement d'une ville autour de l'abbaye qui prend ainsi les caractères d'une cathédrale. Tout différent est le problème sur les terres naguère romanisées. Là, les évêques se sont établis à l'intérieur des cités fortes du Bas-Empire avec un droit de regard sur la province épiscopale. Ici l'abbaye peut se désintéresser des paroissses, se fermer au monde c'içi bas et accueillir des religieux portés à l'isolement. Le plan de Saint-Gall semble illustrer un difficile compromis. Au sein d'une multitude d'aménagements proposés, et qui ne seront sans doute pas tous retenus, nous distinguons l'essentiel. Le cloître (A), le dortoir (B), le réfectoire (C), les cuisines (D), le cellier (E). C'est l'ensemble fermé, l'esprit de casernement. Ce quadrilatère se trouve sur le flanc sud de la grande abbatiale avec abside (F), transept (G), et une très vaste nef (H) qui excède les besoins d'une communauté de 200 à 300 moines. Elle sera décomposée en un labyrinthe de petits autels (J) avec, sur le flanc nord, un dortoir isolé (K) pour les moines pratiquant la prière perpétuelle. Pour accéder, pas d'atrium, pas de porte monumentale, une simple allée (L) sans grand débouché. Rien pour l'accueil des foules. Tout est conçu pour un isolement rigoureux et stérile; c'est l'antithèse du programme bénédictin imaginé sous l'Empire Carolingien.


PADERBORN

En fondant les abbayes de Fulda, en 744, et d‘Hersfeld en 768, Saint-Boniface et ses disciples perturbent l’articulation traditionnelle de la société germanique et suscitent de violentes réactions, Charlemagne doit intervenir. La campagne ponctuelle de 772 surprend l’adversaire et semble donner de bons résultats, mais les peuples de la région s’insurgent et engagent une guerre de harcèlement. En 775, Charlemagne comprend que les Saxons des basses terres du Nord s’engagent délibérément dans le conflit. Il faut imaginer une autre stratégie et des actions de plus grande envergure.

Vers 775/777, les forces carolingiennes franchissent le Rhin à la hauteur de Cologne, marchent vers le Nord puis se déploient le long de la Lipe en installant des postes fortifiés. Cette ligne d’investissement se termine à Paderborn, (les sources de la Pader) et coupent la plupart des liaisons entre le bas pays saxon et le haut bassin de la Weser. Cette action bien pensée justifie en 778 une violente réaction des Germaniques qui passent à la contre offensive, détruisant la plupart des installations carolingiennes et menaçant même Cologne. Charlemagne doit envoyer d’importants renforts et reconstituer son dispositif. Paderborn devient une puissante forteresse de terre et de bois mais des carrières sont rapidement ouvertes à proximité. La première petite église consacrée en 777 et ruinée lors de la contre offensive saxonne sera reconstruite. C’est un modeste édifice de plan primitif rural formé d’une cella unique de 23m x 10m et clôturée à l’est par une abside et deux absidioles de plan rectangulaire, un ouvrage trop pauvre pour le nouveau statut de Paderborn.

Sur les dernières décennies du siècle, le théâtre des opérations se déplace sur l’Elbe et la Westphalie pacifiée s‘intègre dans l’Occident chrétien, le rôle militaire de Paderborn s’efface et les Bénédictins s’installent en force. Dans le prolongement du premier ensemble défensif d’une surface approximative de 150 x 250m se développe le domaine abbatial d’un dessin irrégulier, couvrant 7 ha. Là les Bénédictins de Paderborn entreprennent la construction d’une nouvelle abbatiale à trois nefs mais sans transept. L’ouvrage est clôturé à l’est par une abside en hémicycle flanquée de deux absidioles de même dessin. L’ouvrage fait 22 m 50 de large par 50 m de long en interne et sera consacré en 799 par le Pape Léon III. L’autel majeur est dédié à la Vierge, ceux des absidioles à Saint-Etienne et Saint-Kilian. Les carrières de la région ne sont pas encore en exploitation optimum et l’ouvrage doit comporter une majorité de blocage, grand appareil et parements soignés étant réservés aux parties à contraintes. Ce type de construction explique sans doute l’enduit à la chaux recouvrant l’ensemble et les flatteuses peintures murales dont des fragments ont été retrouvés. Cette consécration intervenue lors du passage du Souverain Pontife ne correspond pas nécessairement à l’achèvement complet.

Sous Louis le Pieux, Paderborn devient un siège épiscopal et l’évêque Badurade demande et reçoit des reliques de Saint-Liboire, évêque du Mans au IVème siècle. A cette occasion, un vaste transept de 10m x 34m en interne, flanqué d’une abside en hémicycle vient clôturer l’abbaye cathédrale à l’ouest. Sous l’abside le constructeur a réservé une petite crypte dont l’accès se trouve face à la fenêtre axiale de l’ouest. Cette disposition inversée impose un accès par deux couloirs en quart de cercle formant déambulatoire. La translation des reliques eut lieu en 836 et justifiât une grande réunion de Saxons christianisés.

Dès cette époque, le site de Paderborn a acquis ses caractères. Au flanc du camp militaire et à l’aboutissement des cheminements traditionnels venant du Rhin, de Cologne et de Xanten, commerçants et artisans s’installent autour d’une place de marché. C’est l’origine d’une agglomération qui va croître rapidement.

Sur le dernier tiers du X°s., la situation de la crypte aux reliques apparaît religieusement non conforme, il faut la déplacer sous le sanctuaire oriental et la vieille abside des années 795 est démolie pour laisser place à un nouveau sanctuaire profond établi sur une crypte traditionnelle où le voûtement à trois vaisseaux repose sur deux files de trois supports. C’est un ouvrage puissant qui laisse présager un ensemble supérieur voûté ou programmé pour l’être. A l’Occident, au-delà du transept préservé, l’évêque Rethar fait également édifier une avant-nef de 17m 50 de large par 22m de long dont le premier niveau de la partie centrale se trouve coiffé de 5x 3 = 15 voûtes d’arêtes dont l’extra dos formera tribune. Les trois vaisseaux ainsi constitués ouvrent sur l’ancien transept par trois portes. Enfin, deux tours rectangulaires d’environ 6m 50 x 7m 50, à la base, viennent encadrer la façade occidentale. Cet édifice disparate sera très gravement endommagé par un incendie survenu peu après l’an 1000 et une campagne de reconstruction (Ottonienne) sera entreprise en 1009 par l’évêque Meinwerk.

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Menée de 785 à 799, la première campagne de Paderborn illustre la naissance de la grande architecture religieuse en Germanie. Le plan choisi est celui de la basilique de deuxième classe sans transept. Sur l'abside, en hémicycle légèrement prolongé (A), le voutement en cul de four a sans doute été envisagé mais pas réalisé. Ce sanctuaire est flanqué de deux absidioles (B,C) probablement voûtées. En tout état de cause, cet ensemble se trouve clôturé par des arcs caractérisés( D,E,F). La nef est de bonne taille et les valeurs nominales choisies pour les murs sont sans doute de 4 pieds pour les élévations et de 3 pieds pour les murs extérieurs. Les supports monolithiques amenés à grands frais de la vallée du Rhin sont de taille moyenne et le pas choisi pour les travées est inférieur à 5m (G), soit 9 travées pour 43m. Piles et colonnes doivent alterner (H). Au cours d'une deuxième campagne, 830/850, le maître d'oeuvre construit un vaste transept (J) sans aucune structuration (K) avec là encore une élévation nominale de 4 pieds, comme pour la nef (L). La largeur interne est de 10m environ ce qui implique des entrées de 12m faciles à trouver. L'abside occidentale (M) légèrement plus large que le sanctuaire comporte une crypte (N) orientée à l'ouest et desservie par des couloirs semi-circulaires (P) dont les escaliers d'accès (Q) sont dérivés. Cette crypte est semi enterrée et des degrés (R) donnent accès au niveau de l'abside. Nous sommes toujours dans le cadre du parti basilical et l'ouvrage est entièrement couvert sur charpente.


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Sur les bases précédemment admises, voyons les caractères d'une composition basilicale classique. Sur un sol légèrement surélevé (A), le sanctuaire est formé d'une abside en hémicycle (B) couvert sur charpente (C). L'ouvrage est clôturé par un arc (D) destiné à supporter le mur pignon (E). Sur la nef (F) a 9 travées (G), le pas moyen est proche de 4m 70 (H). Nous admettons une hauteur sous archivolte de 7m 50 (J) la composition permet d'utiliser des fûts monolithiques de 3m à 3m 50 sur un diamètre voisin de 40cm, mais pour cela il faut intercaler un cube de pierre (K) entre le chapiteau (L) et le tailloir (M) et placer le fût sur un dé (N). Comme les colonnes disponibles sont en nombre insuffisants, le constructeur doit intercaler des piles appareillées. Nous pouvons les imaginer avec base et tailloir (P) ou bien archaïques (Q). Le maître d'oeuvre adopte également des toitures à forte pente (R) qui se sont imposées en région septentrionale, ce qui implique un niveau intermédiaire important (S). Enfin, nous avons un niveau de fenêtres hautes (T). Faut-il les imaginer grndes ou petites? Les rapports admis dans le parti basilical se situent entre 30 et 40% des pas de la travée. Nous avons choisi 35%. Cette composition nous donne une hauteur sous comble de 17 à 18m. Sur le transept, d'une portée de 10m avec une base nominale de 4 pieds, l'ouvrage est sans problème, mais nous devons choisir entre combles intégrés et combles dominants, dans cette dernière option les murs du transept atteindraient 24m et nous choisirons la formule combles intégrés (U). Dans ce cas les liaisons charpente sont délicates à réaliser et les constructeurs adopteront bientôt la tour de croisée qui donne des larmiers de pierre et des arcs de structuration au transept. Pour la crypte, nous choisirons une base de berceau à lm 80 (V) ce qui donne 3m sous voûte. L'abside occidentale (W) est, elle aussi, couverte sur charpente (X).


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Avec la mort de Louis le Pieux et la fin des relations privilégiées entre les Bénédictins et le pouvoir carolingien, certaines abbayes cathédrales vont mettre en cause le massif occidental dans sa fonction première. Là s'étaient tenues les réunions socio-religieuses voulues par l'Empereur, et Tordre bénédictin avait tiré grand profit de ces compromissions. Mais le pouvoir carolingien était maintenant déconsidéré et les abbés évêques avaient acquis les moyens de gouverner la vaste province ecclésiastique qui s'était constituée autour de la première fondation. Paderborn nous semble dans ce cas. Mais que faire de cet ensemble occidental déjà bien intégré dans le paysage architectural? Il deviendra Eglise du Christ, Eglise du Sauveur et l'ouvrage doit répondre à ses besoins nouveaux. Dès 950, à Paderborn, la châsse de Saint-Liboire, naguère placée dans la crypte occidentale afin de sanctifier les serments solennels clôturant les réunions, doit être installée en un lieu religieusement plus correct. Une nouvelle et grande abside (A) élevée à Test lui sera consacrée. Les reliques sont déposées dans une crypte voûtée en trois berceaux longitudinaux portés sur des files d'arcades (B,C). La composition demande de la hauteur d'où les rampes d'escaliers (D,E), les accès étant placés latéralement (F,G). La puissance des fondations suggère une abside supérieure voûtée. A l'ouest, l'abside de la seconde campagne consacrée à Saint-Liboire dès 836 sera également démolie pour laisser place à une avant-nef de cinq travées (H) doublées de collatéraux (J,K) ces derniers étant précédés de deux tourelles d'escaliers (L,M). Le premier niveau de Tavant-nef se trouve décomposé en trois vaisseaux coiffés de 15 voûtes d'arêtes (N), l'extrados formant tribune. Cet ensemble est franchement désaxé par rapport à l'ouvrage précédent. Sur la coupe nous proposons un étagement probable avec porche (P) collatéraux (Q) tribunes (R). La liaison des combles peut se faire en pénétration (S) ou bien avec beffroi de charpente (T) préfigurant la tour lanterne. L'ensemble de ces travaux couvre la période 960/1000. Nef et transept des premières campagnes resteront en place.


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Fondée par Saint-Boniface en 744, et bien vite confiée à l'abbé Sturm, Fulda connaît des débuts difficiles. Jugée subversive par la noblesse saxonne, la communauté verra son abbaye plusieurs fois saccagée et brûlée. Vers 800, Charlemagne ordonne à des maîtres d'oeuvre venus d'Italie de reconstruire l'abbatiale selon le parti de Saint-Pierre de Rome. Le plan est identique: grande abside (A), vaste transept (B), avec tribunes (C) mais les dimensions sont plus modestes et surtout la nef (D) ne comporte que trois vaisseaux au lieu de cinq bien que l'envergure du transept permettait cette composition. Trop marqué par le modèle le maître d'oeuvre a même orienté le chevet vers le couchant (E), ce qui ne se pratique plus depuis le Bas-Empire. Après une première consécration vers 820/825, les travaux reprennent. Un second transept plus modeste est édifié à l'est (F), il reçoit une abside voûtée flanquée de deux tourelles d'escaliers (G). La disposition est peu pratique. L'ancien atrium (H) est lui aussi repris sans doute avec deux niveaux tandis qu'un vaste bâtiment d'accueil (J) ferme l'espace à l'est. A l'ouest, l'ancienne abside maintenant dévolue à l'Empereur est desservie par des couloirs extérieurs (K,L). L'ensemble de ces travaux doit se terminer avant la fin du IX°s.


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(A) première abside (occidentale)
(B) crypte où fut inhumé Saint—Boniface
(C) transept primitif (occidental)
(D) tribune du grand transept
(E) additif de la seconde campagne
(F) grande nef basilicale avec bas -côtés
(G) élévation basilicale classique
(H) second transept (oriental)
(J) seconde abside (orientale)
(K) voûte en cul-de-four sur l'abside
(L) tour de flanquement pour la voûte
(M) aménagement de l'atrium (deuxième campagne)
(N) bâtiment d'accueil (deuxième campagne)
(P) grande nef (vue en coupe)
(Q) bas—côtés (vue en coupe)
(R) grand transept (première campagne)


Vers 812, Charlemagne âgé et résidant en son palais d’Aix—la-Chapelle, se trouve entouré d’une foule de conseillers, hommes d ‘église et Bénédictins pour la plupart. L’un d ‘entre eux, Adalhard, abbé de Corbie en Picardie, lui propose de fonder une filiale en Germanie sur le haut bassin de la Weser, province dont son frère Wala a la charge comtale. Tous deux sont de vagues cousins de 1 ‘Empereur et leur mère est d’origine noble saxonne, gages de réussite. Charlemagne accepte mais il meurt avant d’avoir confirmé sa volonté. Son fils Louis, qui lui succède, dispose de sa propre cour et bannit certains proches de son père. Adalhard et Wala qui sont du nombre se replient à Corbie, cependant le projet est maintenu et une petite communauté de Bénédictins part pour les terres de la Weser. Ce sont sans doute des rigoureux, ceux que Charlemagne avait naguère écartés. Le site choisi nous est inconnu mais des textes du Moyen Age le situent dans le Massif du Solling, à l’est de la Weser et dont le sommet culmine à 526m. C’est sans doute davantage un lieu de retraite et de méditation qu’un centre de rayonnement. Trop isolée, la communauté souffre bientôt de la famine et les recrues s ‘en vont. C’est un échec. Louis le Pieux réagit violemment comme de coutume. Il bannit certains de ses nouveaux conseillers et rappelle Adalhard et Wala.

Tous deux partent en Germanie pour rétablir la fondation, mais dès leur arrivée leur jugement est sans appel, le site choisi est inconvenant, les moines doivent rejoindre la vallée. Un nouvel emplacement est acquis dans une boucle de la Weser, non loin d’un ancien camp militaire devenu bourgade, aujourd’hui la petite ville d‘Hoxter. L’Empereur achète le terrain revendiqué et le 25 août 822, Badurad évêque de Paderborn, vient ériger une croix sur le lieu où sera élevé le sanctuaire de la nouvelle abbatiale. L’année suivante, en 823, un acte de fondation solennel est signé par Louis le Pieux, en son palais d’Ingelheim. Un important patrimoine foncier et bientôt les reliques de Saint Guy (ou Vit) amenées solennellement de Saint — Denis où elles reposaient depuis 756, donnent de sérieux atouts à la nouvelle fondation. Le 13 juin 836, ces saintes reliques arrivent à la nouvelle Corbie (Corvey) en fervente procession, une grande foule de chrétiens et de dignitaires saxons participent à la cérémonie.

La première église abbatiale dont les plans ont été tracés en 823, sera consacrée en 844. C’est un édifice de caractère basilical à trois vaisseaux relativement modeste, 28m de long sur 16m de large en interne, décomposés en sept travées. Les élévations doivent marier fûts monolithiques de récupération et piles rectangulaires. La nef centrale faisait environ 9m de large et les bas—côtés moins de 3m, c’est un ouvrage sans doute basé en valeur nominale de trois pieds. A l’est, le sanctuaire est constitué d’une grande cella rectangulaire de 8m de long par 9m50 de large, elle est donc alignée sur la nef. L’ouvrage est déjà sérieusement avancé, en 836, quand arivent les reliques de Saint— Guy et le maître d’oeuvre n ‘ose ouvrir le sol de l’abside pour construire une crypte. Il édifie une très modeste chapelle axiale de 2m50 par 5m50 clôturée d ‘une petite absidiole. Là seront déposées les reliques du Saint Patron. L’autel est placé sur une éminence de quelques marches ce qui dégage un couloir de circulation pour atteindre la nouvelle chapelle axiale.

A l’Occident, cette église sera doublée d’une construction de même largeur et de 35m de long. S’agit—il d’un atrium comme certains le pensent ou bien des bases d’une avant nef’? L’alignement des élévations milite pour cette seconde interprétation. Ou bien encore s ‘agit—il d’un projet d’avant nef transformé en atrium faute de moyens? L’incendie survenu en 867 fut peut —être à l’origine de ce revirement. A cette époque, les raids Wikings engendrent une insécurité chronique et l’abbaye connaît des heures difficiles. En 873, commence la construction d’un puissant narthex heureusement conservé et consacré en 885, c’est un témoignage majeur sur l’architecture carolingienne. Malgré son homogénéité apparente, l’ensemble peut être décomposé en trois parties. En son centre un volume rectangulaire haut de 23m dont le premier niveau repose sur 15 voûtes d’arêtes portant une tribune centrale flanquée de collatéraux. Il est précédé de deux tours alignées sur le mur externe et le volume situé entre ces dernières se trouve garni d’un porche surmonté de plusieurs niveaux aménagés. Enfin, cet ensemble est lié à l’ancienne nef par une puissante travée nouvelle et de même largeur. Ce narthex dont l’implantation au sol est de 20 par 22m s’est substitué à l’ouvrage Ouest précédent, atrium ou avant—nef, ce qui accrédite 1 ‘hypothèse d’un changement de programme après l’incendie de 867.

Cet incendie qui semble avoir particulièrement sévi dans les parties orientales impose également la reprise fondamentale du sanctuaire. Un transept est construit dans le plan de l’ancienne abside rectangulaire et une nouvelle abside en hémicycle profond clôture l’ensemble. Ultérieurement, les travaux se poursuivent avec l’édification d’un déambulatoire permettant d’accéder à deux chapelles orientées profondes et à un additif axial de plan cruciforme où seront déposées les reliques de Saint Guy. L’ensemble de ces reprises orientales doit être achevé avant la fin du IXème siècle.

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Sur la vue en plan figure l'abside rectangulaire (A) entreprise en 824. Les travaux se poursuivent par la nef (B) avec bas-côtés (C,D). L'ouvrage est bien avancé le 13 juin 836 quand arrivent les reliques de Saint Guy. Elles sont installées dans la chapelle axiale (E) et le sanctuaire élevé sur un podium (F) pour dégager les accès (G). Cette première abbatiale est consacrée en 844, façade occidentale (H). Au-delà, un vaste ouvrage (J) qui peut être considéré comme un atrium mais ses élévations (K,L) s'alignent trop parfaitement sur celles de la nef. La présence d'un puissant massif (M) suggère un autel et nous proposons de voir là une avant nef destinée aux paroissiens du voisinage. L'incendie de 867 fut sans doute déterminant dans les changements de programme. En élévation, nous avons restitué une composition basilicale pauvre avec supports alternés (N), oculi de décharge (P), classique registre de fenêtres hautes (Q) et couverture sur charpente (R). Pour l'avant nef envisagée, nous proposons une élévation à trois niveaux (S,T,U) se substituant à un atrium rustique (V).


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L'incendie de 867 doit toucher en particulier les parties orientales de la première église et cet accident remet en cause l'ordre des priorités. Les travaux reprennent côté sanctuaire et ceux de l'avant nef sont provisoirement suspendus. Le nouveau programme oriental comporte un vaste transept (A) et une abside profonde en hémicycle (B) établie sur l'ancienne chapelle axiale (C). Ce programme s'implante peut être sur un ancien projet de modification en cours (D,E) qui ne condamnait pas l'ouvrage antérieur. Pour dissocier la vie religieuse de l'abbaye, du culte des reliques qui se développe les moines construisent un couloir de circulation extérieur (F) donnant sur deux chapelles orientées (G,H) et sur un édifice cruciforme (J) réservé au culte de Saint Guy. A l'ouest, l'atrium ou l'avant nef en chantier ne correspond plus aux besoins de l'époque. Les paroisses environnantes ont construit leurs propres églises desservies par des religieux de l'abbaye, l'accueil des fidèles n'est plus une priorité. Par contre, les invasions Wikings ont engendré une insécurité chronique et l'accès de l'abbatiale se transforme en porte fortifiée, c'est le puissant narthex (K) édifié de 873 à 885. Le petit acccès (L) est facile à obstruer, les deux portes latérales (M,M') mènent aux tours (N,N'). Au-delà se trouve l'ensemble voûté (P) supportant la tribune et (Q) la travée de liaison qui joint la nouvelle oeuvre à la vieille nef.


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Vers 850/885 l'abbatiale de Corvey a trouvé sa physionomie carolingienne achevée. L'abside profonde (A) a reçu un couloir de circulation périphérique (B) ouvrant sur les aménagements destinés au culte de Saint Guy (C). Vont suivre quelques ouvertures (D) percées pour faciliter les liaisons fonctionnelles. Ce sanctuaire demeure couvert sur charpente (E), le transept (F) également. L'incendie de 867 a sans doute endommagé les travées orientales de la nef imposant le remplacement des colonnes monolithiques par des piles rectangulaires (G) les oculi de décharge (H) ont été préservés et le registre de fenêtres hautes (J) n'a pas changé. L'ouvrage demeure couvert sur charpente (K). A l'Ouest les travées de la nef (L) avaient bénéficié de l'épaulement des travées de l'avant nef. La disposition sera maintenue jusqu'à l'établissement d'une travée de liaison (M). Le narthex, seul élément subsistant aujourd'hui, fut maintes fois restauré au cours de son histoire et nous avons représenté une élévation d'origine communément admise avec accès (N), porche voûté (P), tribune (Q), étagement inséré entre les deux tours (R), et collatéraux de la tribune (S), grand comble (T).


COLOGNE

Avant l’arrivée des Romains, le site de Cologne était déjà un accostage aménagé. Au pied d’une légère éminence habitée, une langue de terre artificiellement stabilisée formait un bras secondaire de moindre courant, favorable aux accostages. Le transport fluvial assurait l’essentiel du trafic et la voie sur berge amenait son complément de transit. D’autre part, les importants mouvements économiques des provinces septentrionales contournant le massif ardennais par le nord, recherchaient un point de franchissement sur le Rhin. Le pont romain établi très tôt va drainer ce flux tout en le conjuguant avec celui de la voie sur berge maintenant aménagée. Enfin, la Chaussée d’Agrippa venant du bassin Rhodanien offrait à Cologne un riche avenir.

Sur les 50 années qui suivent la conquête des Gaules, la présence militaire romaine sur le Rhin demeure discrète et l’ordre apporté par les conquérants justifie un premier essor économique dont Cologne tire profit. Les légions ont franchi le fleuve pour s’installer en Germanie où leur présence semble bien acceptée. Tout va changer avec l’arrivée d’un général romain venu de Syrie: Varus. Désireux de s’affirmer, il lance des opérations de conquête vers l’est et applique des méthodes si brutales que la révolte gronde. Un légionnaire d’origine germanique, Arminus (Hermann), quitte les rangs romains et se met au service de ses compatriotes. En quelques années, il a rassemblé une force de plusieurs milliers d’hommes à qui il inculque les rudiments de discipline et de tactique qui leur faisaient défaut mais n’ose affronter Varus en rase campagne; il va donc harceler son adversaire et ce dernier chez qui la vanité l’emporte sur les capacités militaires se lance à la poursuite des Germains qui reculent méthodiquement. Varus commence à croire à sa victoire et s’engage toujours plus avant jusqu ‘au sombre massif du Teutoburger Wald où ses forces seront encerclées et anéanties. C’était en l’an 9 de notre ère. A Rome, les autorités impériales ne cherchent pas à comprendre. Le sort de la lointaine Germanie n ‘intéresse guère, ordre est donné aux légions de se replier derrière le Rhin et cette funeste décision va peser lourd sur l’avenir de l’Occident.

Cologne et Xanten deviennent villes de garnison et, vers le milieu du premier siècle, la situation s’est stabilisée. Le site de Cologne reçoit une fondation de caractère augustéen, Colonia— Claudia—Ara—Agrippinensium (C.C.A.A), une ville rationnellement urbanisée, axée sur la voie menant au pont et couvrant 45 ha environ (600 x 700). L’agglomération est cernée de murailles Haut Empire, comme à Xanten, qui seront bientôt bousculées par l’essor économique. Les Germains indépendants voient avec envie la prospérité de leurs voisins romanisés, ils franchissent le Rhin pour s’approvisionner et même pour travailler. Leurs services sont appréciés. D’autre part, le fleuve devenu frontière n’en demeure pas moins voie économique, les Scandinaves qui le remontent viennent là échanger marchandises et technologies contre leur production excédentaire. Ils apportent notamment d’importantes quantités de poissons salés ou séchés qui constituent alors la nourriture de base des petites gens. Vers 200/240 Cologne couvre une superficie de 200 ha et doit compter plus de 100.000 habitants avec les faubourgs. Ce développement a sans doute engendré le démantèlement partiel de la muraille Haut Empire.

Les troubles et les invasions de 250/275 porteront un rude coup â cette grande ville ouverte et, dès la restauration constantinienne, la population se rétablit sur un périmètre plus modeste d’une surface de 90 ha environ, cerné d’une nouvelle muraille Bas—Empire. Dès 300, les échanges avec la Germanie reprennent pour quelques temps et le pont de Cologne, l’un des rares subsistant sur le Rhin, voit son môle oriental protégé d’un vaste ensemble fortifié de 154 x 154m2, garni de deux portes et de 14 tours, la Divitia, ou citadelle de Deutz. Elevée vers 310, elle assure également le filtrage des émigrants.

Les Chrétiens sont présents à Cologne depuis longtemps. A la fin du 111° siècle, Géréon, soldat romain christianisé fut martyrisé dans la cité. Avec Constantin, la foi nouvelle s’installe dans la ville qui devient évêché, la cathédrale est construite contre la muraille nord, à proximité du port et sur les ruines d’un vaste ensemble public (mosaïque). Nous ignorons tout de ce premier édifice, c’était sans doute une construction de type basilcal et nous proposerons une hypothèse à ce sujet. La patronne de la ville sera Saint—Ursule, fille d’un roi des 11es Britanniques, massacrée avec ses compagnes par les Huns en revenant d’un pèlerinage à Rome. Il s’agit sans doute des saccages et meurtres perpétrés par ces barbares dans leur retraite après leur défaite des Champs Cataloniques. Nous savons qu’ils ont suivi le cours de la Moselle, territoire contrôlé par Aetius.

Au temps mérovingien, plusieurs faubourgs se développent autour de la ville forte, ceux de Sainte—Ursule, de Saint—Géréon et de Saint—Séverin sont les plus importants, aux 40 â 50.000 habitants établis intra muros, il faut ajouter 10 à 15.000 personnes vivant hors les murs, Cologne est â nouveau une ville importante. A l’époque carolingienne et avec la conquête franque de Germanie, la cité devient archevêché. Hildebold, chapelain de Charlemagne, occupe le siège archiépiscopal et fait reconstruire la cathédrale mais ce premier programme parait trop modeste et l’édifice à trois nefs est rapidement flanqué de deux bas—côtés supplémentaires et d’une abside occidentale rectangulaire. Une nouvelle consécration eut lieu en 870. Au siècle suivant les travaux reprennent et l’abside occidentale laisse place à un transept flanqué d’une abside en hémicycle surmontant une crypte. L’édifice reçoit également de nombreuses annexes. Cette troisième campagne doit s’achever vers 950. Ces fondations carolingiennes ont été mises à jour sous le dallage de la grande cathédrale gothique commencée en 1248.

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La première cathédrale de Cologne se trouvait non loin de la muraille Gallo—Romaine (A) mais les substructures découvertes après les dommages de 39/45 ne permettent guère d'imaginer l'édifice du Bas-Empire. Cependant, nous pouvons proposer une nef basilicale limitée par les angles (B,C,D,E) avec une grande crypte (F) aménagée ultérieurement au Mérovingien. Par contre, l'oeuvre carolingienne se dessine très distinctement sous la cathédrale gothique, nous lui consacrerons une planche particulière.


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A l'origine, la dynamique du fleuve érodait la berge est (A) et les habitants abandonnèrent 200m aux caprices du fleuve, ensuite, une longue île stabilisée par la végétation protégea un chenal (B) aménagé en accostage. Le coeur de l'agglomération se trouvait sur la hauteur (C). En traçant le plan de la cité nouvelle, les ingénieurs romains définissent un rectangle régulièrement maillé (D) à 300m en retrait de la berge. Au centre, un forum (E). A la fin du siècle des Antonins, l'agglomération maillée (F,G,H,J) couvre plus de 240ha et compte 140.000 habitants. Le pont (K) reçoit un important trafic. En 250/260, les envahisseurs francs empruntent l'ouvrage et sans doute protègent la ville à leur usage. Dès 300, une vaste muraille cerne une portion réduite de la cité (L,M,N,P) et une citadelle, la Divita, (Q) filtre les accès au pont. Sur le IV°s, la population s'accroît à nouveau et les Chrétiens fixent leur lieu de culte sur le site primitif (R).


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Si nous admettons l'hypothèse précédente, la première campagne carolingienne porte sur une abside profonde (A), établie à l'est de l'ancienne (B) puis sur une reprise de la nef avec des structures plus puissantes où des piles carrées (C) se substituent aux colonnes manquantes. C'est l'oeuvre d'Hildebold 800/820. La population de Cologne s'accroît et les travaux reprennent vers 830/840. La nef est flanquée de bas-côtés supplémentaires (D) et d'une abside occidentale rectangulaire (E). Nouvelle consécration en 870. Vers 900, cette abside carrée est démolie pour faire place à un transept occidental (F) avec une abside en hémicycle (G) flanquée de deux tourelles d'escalier rondes (H,J). Les constructions en appendice (K,L,M) clôturent cette ultime campagne achevée vers 950


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Vers le milieu du X°s, à l'orée de la période ottonienne, la cathédrale de Cologne est devenue, avec ses diverses modifications, un édifice majeur de 96m de long hors oeuvre, 22m de haut sous combles, llm de large pour la nef centrale et 38m pour l'ensemble des cinq vaisseaux. C'est maintenant un édifice de grande taille. Curieusement, la composition est inversée, les parties les plus récentes, les plus évoluées ainsi que l'unique transept se trouvent à l'ouest. C'est un plan que nous retrouverons ultérieurement à la cathédrale Saint-Guy de Prague et à Saint -Emerand de Ratisbonne. L'alternance des piles rectangulaires (A) et des colonnes monolithiques (B) avec un niveau de tailloir (C) aligné à plus de 8m, donne ses lettres de noblesse à la formule. Ce n'est plus un aménagement de sauvegarde mais un parti de référence. Pour avoir une meilleure source d'inspiration il faut attendre le dôme de Burchard à Worms commencé en 998/1000 et consacré en 1018. Sur la coupe de Cologne, nous proposons un étagement satisfaisant de la nef (D), des bas-côtés (E,F) et du transept (G). Il est peu probable que les murs du transept s'alignent à 28m de haut et nous proposons un volume central proche de la tour lanterne (H).


TREVES

La ville romaine de Trèves s’est développée sur un maillage urbain très régulier établi selon le decumanus, la voie sur berge, et nous pouvons nous demander pourquoi une muraille de tracé polygonal enserre une agglomération si bien peignée. En analyse archéologique, les questions pertinentes doivent prendre le pas sur l’exploitation des textes. A Trèves, une seule explication, la ville s’est développée comme Reims dans un enclos gaulois fait d’une levée de terre et d’une palissade. Deux siècles plus tard, à l’heure de construire une défense en dur, la ville avait si bien pris la forme gauloise que les nouveaux murs suivirent le tracé ancien. L’agglomération devait donc se trouver sur les hauteurs de l’amphithéâtre et les installations artisanales sur la rive du fleuve aux abords du futur pont romain, l’espace intermédiaire servant au parcage du bétail ce qui suppose une forte composante agricole. Les 270 ha de l’ensemble pouvaient compter 15 à 20.000 habitants avec 6 à 8.000 dans la cité bourgeoise fermée de murs gaulois (murus galicus). La défense romaine sera faite d’une puissante courtine maçonnée de 3m d’épaisseur sur plus de 10m de hauteur, soit 40 à 45m3 au mètre linéaire, l’ouvrage date de la fin du 11°s., vers 180/200 la porte Nigra qui ferme la ville au nord est datée de 180. A cette époque, l’implantation romaine, ville bourgeoise, était surtout développée sur la portion nord et les travaux de la nouvelle défense sans doute limités à cette partie de l’agglomération, la petite basilique découverte sous la construction constantinienne confirmerait cette hypothèse.

La seconde époque de Trèves correspond à la restauration constantinienne où la ville devient capitale impériale. Le pouvoir fait aménager un vaste ensemble monumental sur le tracé du cardeau avec un nouveau forum et un pont de pierres. C’est sans doute à cette époque que la moitié sud de la ville est régulièrement urbanisée et les travaux de la nouvelle enceinte menés à leur fin. De ce côté, les sections sont droites ce qui semble indiquer un tracé volontariste négligeant l’ouvrage gaulois. Le nouveau mur et les aménagements de prestige du début du IV°s. font de Trèves une place stratégique de premier plan. A cette époque, la grande menace vient de la Germanie et la frontière militaire suit le cours du Rhin. Trèves se trouve alors en bonne position pour contrôler l’ensemble du système défensif protégeant l’Occident. La voie fluviale (la Moselle) aide aux communications et la ville maintient son statut de capitale jusqu’à la fin du siècle. Le déferlement de 406 lui porte un nouveau coup mais elle bénéficie d’un certain renouveau, les généraux romains venus de Bizance, Aethius et Syagrius, lui accordent une certaine attention. La ville est prise par les Francs en 455 et la ruine économique succède aux destructions engendrées par les guerres et les invasions.

Les Chrétiens étaient sans doute présents de longue date à Trèves mais leurs activités religieuses se maintenaient dans le quartier des artisans proche du port. Avec la Paix de l’Eglise, en 313, les notables qui se sont rassemblés dans la moitié nord de l’agglomération se découvrent chrétiens à leur tour et demandent à l’Empereur de construire deux grandes basiliques chrétiennes que nous connaissons par les fouilles. Elles se situent à peu de distance de la résidence impériale centrée autour de la basilika et de nombreux fonctionnaires chrétiens fréquentent la cathédrale. Gratien fait construire un nouveau choeur monumental à la place de l’ancienne abside basilicale. Le caractère religieux de Trèves s’accentue encore lorsque Théodose accorde l’exclusivité du culte aux Chrétiens.

Avec la montée des périls, les notables comprennent que la ville dépeuplée ne peut défendre le grand mur et la cité chrétienne s’entoure d’une protection légère sans doute moins de 10 à 12 m3 au mètre linéaire. Dès cet instant, Trêves se décompose en quartiers spécifiques comme le feront Autun ou Rome. Artisans et commerçants se concentrent autour de l’accès au pont, grand lieu de transit, et différentes petites agglomérations se fixent autour des principaux sanctuaires chrétiens. Cette nouvelle configuration s ‘accommode mal des voies maillées et de nouveaux axes de circulation vont s’imposer; le gros trafic demeure celui lié au decumanus qui longe la Moselle tandis que le centre économique majeur se trouve au môle du pont. Une voie oblique va donc relier la cite épiscopale à la bourgade des artisans mais l’ancien decumanus est sauvegardé et la patte d’oie où les deux itinéraires se séparent devient un lieu d’échange privilégié, il se situe hors l’enceinte religieuse pour éviter toute gêne de circulation comme les éventuelles taxes.

Vers 500, un comte s’installe en ville, dégage un vaste espace et se fait construire une résidence dominée par une tour dite “tour franque” ses caractères en font l’ancêtre des donjons. Pouvoir religieux et pouvoir comtal entendent tirer profit des transactions de la patte d’oie et les commerçants négocient au mieux avec chacun des pouvoirs, un édit carolingien fera de ce lieu un marché libre (franc); c’est la naissance de l’état bourgeois.

 Dans la très modeste cité religieuse, l’encombrement impose la réduction des surfaces. La cathédrale elle-même se trouve réduite au choeur de Gratien et à la première nef constantinienne mais cette dernière est en très mauvais état. Un accident ou un incendie commande une restauration et les quatre premières travées sont démolies pour laisser place à une puissante avant-nef rustique. La hauteur et la pauvreté des moyens imposent une élévation à quatre niveaux dont l’inertie est suffisante pour maintenir l’effet de fond des quatre travées constantiniennes restantes. Le choeur de Gratien, lui, est robuste et bien équilibré; pour l’heure il ne pose pas problème. Ce renouveau carolingien permet un agrandissement du domaine religieux puis au cours des siècles la ville récupèrera peu à peu la totalité de l’espace nord mais la moitié sud qui n’avait jamais reçu d’installations de prestige sera totalement abandonnée.

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De la porte Nigra (A) l'itinéraire Bas-Empire rejoint un point du maillage antique (B) puis, une chaussée oblique (C), coupe court vers le pont romain (D). Pont médiéval (E). L'ancienne muraille romaine se trouve désaffectée et l'essentiel de l'agglomération se concentre autour de la cathédrale (F). La défense (G) englobe la basilika (H) mais pas le carrefour (J) qui devient marché libre au carolingien. La tour franque (K), le grenier (L), les thermes (M), l'hippodrome (N).


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A l'époque carolingienne, le choeur construit par Gratien (A) demeure, son élévation (B) toujours portée par les quatre colonnes monolithiques (C) doit sans doulc justifier quelques inquiétudes. De la grande nef basilicale primitive (D) il ne subsiste que quatre travées et, là également, des mouvements inquiétants doivent se manifester. Les autres travées des deux nefs Bas-Empire, ont été progressivement démolies avec la réduction de la population mais le renouveau carolingien voit l'édification d'une avant-nef (E) de cinq travées courtes dont nous pouvons imaginer l'élévation. Nous proposons un double niveau d'archivoltes (F,G) sur piles carrées (H), un niveau d'oculi face aux combles (J) enfin un niveau de fenêtres hautes (K). Semblable étagement nous semble nécessaire pour concilier le pas (L) de 4m 20 avec la hauteur de 26m nécessaire pour épauler convenablement les quatre travées de l'ancienne nef. La coupe perpendiculaire montre le volume requis pour cet édifice. L'ensemble des couvertures demeure sur charpente avec, sans doute, une garniture à caissons sur le choeur de Gratien.


Le vaste fossé dit celtique ceinturant l’oppidum de Chartres nous donne la mesure de son importance au second et au premier millénaire avant notre ère. C’était le lieu d’hivernage de 5 à 8.000 personnes avec autant de têtes de bétail. Le lieu de repli, la citadelle, devait se trouver à la pointe de l’éperon. C’est un lieu privilégié, là les Romains construiront le temple de la cité et les Chrétiens édifieront leur cathédrale quelque peu en retrait.

Pour qu’un réduit sur éperon soit viable et défendable, il lui faut de l’eau, l’oppidum de Chartres disposait sans doute de plusieurs puits profonds et l’un d’eux nous est parvenu, c’est le puits des Lieux Forts devenu les Saints Forts vers le XI°s. Sa profondeur est de 34/35m et si sa section supérieure est cylindrique, la partie inférieure est rectangulaire comme il convient au cuvelage de bois de l’époque gauloise fait de quatre madriers emboîtés. Ce réduit chartrain jugé peu propice à une urbanisation rationnelle par les Romains sera maintenu en l’état et la nouvelle cité gallo-romaine soigneusement maillée se développe en retrait sur le plateau. Elle reçoit une alimentation en eau potable fournie par l’aqueduc haut (captation de plateau). Les artisans et commerçants demeurent dans la vallée sur les rives de l’Eure où ils trouvent l’eau à usage industriel qui leur est nécessaire, pour leur consommation ils seront servis par l’aqueduc bas (captation en amont). La pointe de l’éperon sera semble-t-il urbanisée tardivement avec un mur de soutènement qui servira ensuite d’assise à la défense Bas-Empire.

Chartres, comme tant d’autres cités, sera détruite lors des invasions et troubles internes qui marquent la période 250/275 et les survivants se “barricadent” tout naturellement sur l’extrémité de l’éperon, le réduit de leurs ancêtres. Les puits retrouvent alors toute leur importance stratégique. Pour le tracé de l’enceinte Bas—Empire, nous adopterons l’hypothèse J.L Vatinel imaginée par notre ami il y a 25 ans, c’est la plus satisfaisante. La première cathédrale construite vers 330/340 par l’évêque Adventus se trouve à l’extrémité de la cité, appuyée sur le mur de soutènement, en retrait du temple. Elle était naturellement de plan basilical et nous l’avons abordée avec son époque. Ce premier sanctuaire, sans doute maintes fois restauré, sera détruit en 743 par une action du duc d’Aquitaine, Hunald, et provisoirement restaurée une fois encore. L’église que nous dirons carolingienne doit s’élever vers la fin du siècle en un temps où la cité remise de ses saccages est à même d’assurer un nouveau et vaste programme.

Nous n’avons que très peu d’informations sur cet ouvrage carolingien. Les fragments de la grande abside de 14m d’envergure ont été identifiés par René Merlet. Elle ouvre sur un vaste transept de ~ à 46m d’envergure interne dont les croisillons vont justifier les annexes de la crypte de Fulbert. Quant à la nef, elle est très incertaine, les bases de son élévation ont été absorbées par les fondations de Fulbert et les murs des bas-côtés totalement détruits par la crypte du même programme, seules des fouilles menées sous le terre plein central permettraient de retrouver les façades des deux premières cathédrales de Chartres. Cette prospection avait déjà été proposée par R. Merlet en son temps. Pour cette nef carolingienne, nous donnerons un volume en rapport avec le transept et l’abside, soit trois vaisseaux de 26/27m de largeur interne sur une longueur de plus de 45m. L’entraxe des piles de la nef sera estimée à 12m et la hauteur sous charpente à 20m environ.

Entre le raid des Aquitains et ceux des Normands, la ville de Chartres connaît un bon siècle de calme et de prospérité mais le renouveau économique impose ses contraintes. L’essentiel des activités se concentre dans la vallée, sur les berges de l’Eure, ainsi que le long des deux voies rayonnantes menant de la vieille cité vers le plateau. Chacune d’elles s ‘articule en faubourg, fonde sa paroisse et construit sa propre église qu’il faut entretenir et développer. Au cours de cette période, la cité refuge perd ses habitants et manque de moyens, l’évêque doit sans doute motiver tous les chartrains à l’oeuvre de la nouvelle cathédrale mais il n ‘est pas toujours entendu. C’est un phénomène qui se retrouve dans de nombreuses villes d’Occident, et le vaste programme carolingien de Chartres a sans doute traîné en longueur.

A cette époque, les édifices religieux se modifient lentement. En plan, le dessin basilical qui a régné en maître depuis le Bas —Empire connaît certaines mutations. Côté chevet, le sanctuaire profond s’impose et, à l’ouest, les devoirs dus à l’Empereur justifient un emplacement de prestige sous forme d’une abside occidentale parfois doublée d’un transept. Mais ce renouveau touche surtout les abbatiales et les cathédrales semblent épargnées par cette mutation. Par contre, en élévation, tous les édifices, notamment ceux qui sont reconstruits en plus vaste, se heurtent au manque de colonnes monolithiques. Il faut imaginer des supports de substitution et deux écoles se distinguent: les Mossans et les Rhénans intercalent les rares colonnes encore disponibles avec des piles carrées appareillées. En Francie, en Val de Loire, et à Chartres notamment, les constructeurs semblent s’orienter vers des piles rondes appareillées. La cathédrale carolingienne des Carnutes doit expérimenter ce procédé qui sera consacré avec l’énorme cathédrale de Fulbert élevée peu après l’an 1000. Nous verrons ultérieurement les étapes de cette mutation et les difficultés techniques rencontrées.

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Le site de Chartres est formé d'un éperon (A) dominant la vallée de l'Eure (B) et une vallée sèche (C). En première occupation, nous verrons un hivernage pastoral large (D) fermé d'une haie vive (E) qui coupe le plateau (F) et suit les crêtes (G). Là sont rassemblées 1000 à 2000 bêtes à cornes et les hommes s'installent dans un réduit (H) à l'extrémité de l'éperon. Les premiers artisans vont très vite se porter vers la vallée pour en exploiter l'eau courante, et aménager les rives de l'Eure (J) ainsi qu'une partie de la vallée sèche (C). Avec une occupation permanente soit plus d'artisans et moins de bêtes à cornes, l'acropole des Carnutes se dote d'une nouvelle défense (K) le fossé dit celtique. II englobe la vallée sèche (C). En (L), un hivernage indépendant. Les Romains acceptent le site et construisent un aqueduc bas (M) et un autre sur le plateau (N), ce dernier va engendrer une urbanisation bourgeoise.


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L'articulation romaine de Chartres est très mal connue mais un suivi historique de l'évolution de la cité, joint à des informations acquises, nous permet quelques hypothèses satisfaisantes. Dès la Conquête, la vie reprend ses droits et les artisans chartrains profitent de la nouvelle conjoncture, très favorable, pour développer leurs activités. L'aqueduc bas (A) atteste d'une occupation articulée sur les rives de l'Eure (B). Dans la vallée sèche (C) l'occupation naguère protégée par le fossé celtique (D) s'articule également en ilôts (E) disposés de manière à faciliter l'adduction d'eau ainsi que l'assainissement (F). Reste la partie haute. Les bourgeois qui gèrent les destinés de la cité décident de construire une ville nouvelle sur le plateau (G), elle sera alimentée par un aqueduc haut (H), le programme se déroule en retrait du refuge gaulois (J) toujours fortement occupé et constituant une éminence artificielle qui ne facilite pas l'aménagement. Cette nouvelle installation rigoureusement maillée est modeste, 35ha environ. Au début du siècle des Antonins, la métropole des Carnutes, doit compter 12 à 15.000 habitants sur le plateau auxquels il faut ajouter 15 à 20.000 personnes s'activant dans la vallée et directement liées à la communauté urbaine. Ce n'est pas une très grande ville mais le commerce des céréales a enrichi les notables qui décident de construire un amphithéâtre. Les fondations découvertes par M. Couturier se situent en (K) mais les substructures mises à jour ne permettent pas de dire s'il s'agit d'un théâtre, d'un amphithéâtre ou d'un théâtre-amphithéâtre, ouvrage polyvalent très prisé en Gaule. En tout état de cause, murs de scène ou vomitoires, se trouvaient sur l'axe (L) nord/sud. Enfin, tardivement, la vieille cité gauloise du promontoire sera rationnellement urbanisée (M) avec sans doute un nouveau forum dans l'axe du temple (N). Ce sont ces lourdes structures qui serviront de refuge provisoire lors des troubles de 250/275 avant d'être intégrées dans la muraille Bas-Empire.


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(A) la cité. (B) cathédrale carolingienne. (C) muraille bas-empire selon J.L Vatinel. (D) théâtre ou amphithéâtre. (E) Ile des artisans. (F) voie sur berge. (G,H) rampe tangenticlle. (J) route de plateau vers le Val de Loire. (K) route de plateau vers le Perche. (L) échappée est. (M) échappée sud. (N) église Sainte-Foy. (P) Saint-Saturnin. (Q) réduit comtal. (R) Saint-Martin. (S) Saint-Aignant. (T) Saint-Pierre. (U) Saint-Nicolas.


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Les éléments permettant une restitution de la cathédrale carolingienne de Chartres sont bien minces. Nous avons dabord les bases en hémicycle (A) qui doublent en interne le mur (B) de la crypte de Fulbert. Nous verrons là une partie des bases d'une grande abside qui se situe nécessairement entre l'église d'Adventus et la campagne de l'an 1.000. Trop vaste pour être attribuée aux Mérovingiens, il est logique de l'inclure dans le grand programme du IX°s. Nous avons ensuite les annexes de la crypte de Fulbert (C,D) mal disposées pour porter des croisillons romans, mais correspondant bien au volume d'un transept carolingien (E,F). Ces cryptes sont une bonne manière de récupérer les espaces naguère consacrés. La nef doit suivre et nous lui accorderons une largeur inférieure à celle de l'ouvrage de l'an 1000, soit 14m pour le vaisseau central (G) et 26m avec les bas-côtés (H). Enfin, le mur de façade inconnu à ce jour sera estimé en rapport avec l'ouvrage soit 45m de long environ. Le pas des travées doit nécessairement franchir les enfoncements (K,L) et nous proposerons une valeur incluse entre 5 et 6m, soit sept ou huit travées.


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Sur la vue en plan, nous avons choisi, en option, un pas inférieur à 6m (A) et huit travées. Le transept (B) intègre le puits des Lieux-Forts (C) avec crypte particulière (D) accessible par des escaliers (E) disposés le long du mur (F) pour ne pas gêner les mouvements de foule. La crypte formée d'un petit ensemble voûté d'arêtes (G) établi sur le volume de l'abside d'Adventus, sera ceinturée par un couloir de circulation (H). Il est d'une largeur variable puisque les deux absides sont excentrées. L'accès à ce couloir périphérique peut se faire par des escaliers (J) situés dans un espace réservé aux offices (K). En élévation, ce plan donne des rapports satisfaisants et bien conformes à un vaste programme basilical dont les ambitions ne seront pas démenties par l'ouvrage de l'an 1000. Les fondations de la nouvelle abside (L) doivent plonger profondément dans le dévers (M) et imposer des fondations élargies. Sur ces bases, la vaste abside (N) est nécessairement couverte sur charpente (P). Le transept (Q) conçu très vaste doit coiffer le grand comble de la nef (R) et disposer de trois registres de fenêtres (S) sur ses pignons. Sur la nef, une hauteur sous archivolte de 9m environ (T) permet d'exploiter des fûts de colonnes de taille moyenne, environ 4m 50 (U) en alternance avec les premières piles appareillées (V).


SAINT RIQUIER

Après la période pauvre du Mérovingien, où les moines vivent dans des cellules disposées autour d’un enclos intégrant les trois lieux de culte, l’abbaye de Saint Riquier est confiée, vers 790, à Angilbert, brillant personnage de la cour carolingienne. Marié à Berthe, l’une des filles de l’empereur, il dispose de moyens considérables et les travaux commencent dès 792/795.A cette époque, l’église des moines est sans doute bien modeste, constituée d’une nef unique selon le parti primitif rural ou, au mieux, d’une basilique rustique à trois nefs comme celle qui fut observée à Saint Gertrude de Nivelles. Pour le nouvel abbé, un bénédictin bon teint, c’est inacceptable; l’abbatiale qu’il se doit de faire construire sera de grande taille: 20m de large sur 60/70m de long sont, lui semble-t-il des dimensions convenables. Les travaux avancent rapidement et, à la mort d’Angilbert, survenue en 814, il peut être inhumé sous le dallage du porche occidental de son église. L’ouvrage était donc achevé à cette époque. Cette grande abbatiale, souvent citée dans les textes a totalement disparu sous l’oeuvre gothique actuelle mais nous avons conservé une gravure datée de 1612, copie d’une enluminure de la fin du XI°s. figurant dans la chronique d’Hariulphe qui sera malheureusement détruite dans l’incendie survenu en 1719

Le dessin représente une grande abbatiale a deux transepts avec tours lanternes aux croisées, absides profondes et quatre tourelles d’escaliers de gros diamètre établies hors oeuvre. C’est une composition qui préfigure les édifices ottoniens du XI°s. et diverge quelque peu du courant architectural proposé par Charlemagne pour qui l’ultime référence étaient les basiliques Saint Pierre au Vatican et Saint Paul hors les murs, de Rome. Sur la miniature, l’abbatiale s’intègre dans un enclos à cellules probablement de l’époque mérovingienne et c’est une vue que l’on pouvait avoir du haut de la tour flanquant le chevet de l’église Notre Dame vers les années 810/815. Une décennie plus tard, Louis le Pieux interdira la liturgie et la discipline irlandaises et imposera l’articulation en quadrilatère autour d’un cloître (plan de Saint Gail). La miniature d’Hariulphe était donc bien la copie d’un original carolingien.

Les spécialistes ne vont pas manquer de s’intéresser à l’édifice. Au début du XX°s., G. Durand, étudie consciencieusement l’oeuvre gothique pour les petites monographies (H. Laurens) et propose un plan de l’abbatiale carolingienne qui ne tient pas compte des curieuses proportions longitudinales données par la miniature. De son côté, et sensiblement à la même époque, W. Effmann un auteur allemand, propose une très belle restitution en élévation respectant cette fois le rapport nef-transept de la miniature soit 56-i 00. Sur le plan architectonique, l’ouvrage proposé est parfaitement viable mais au sommet des croisées le plan naturellement carré est transformé par l’auteur en ouvrage circulaire; cette mutation nécessite quatre pendentifs ce qui est peu conforme à l’idée que l’on peut se faire de la technologie carolingienne, sauf si les pendentifs sont en charpente. Pour W. Effmann, le couronnement des croisées et les lanternons sont intégralement en charpente sans doute recouverts de plaques de plomb et c’est logique. Cette restitution est convaincante et, de surcroît, conforme à la miniature. Elle va donc s’imposer à tous.

LE RESULTAT DES FOUILLES

En l’an 2001, je reçus aimablement communiqué par H. Bernard le résultat de ses fouilles et prospections réalisées à Saint Riquier et les structures mises au jour confirment en bien des points les hypothèses déjà émises. Sous l’édifice actuel, datant des XIII° et XV°s., se dessine un ouvrage à double transept conforme à la miniature, seule l’abside est rectangulaire et non en hémicycle prolongé. Par contre, nous ne retrouvons pas les quatre tourelles rondes destinées aux escaliers. D’autre part, nous voyons de nombreuses tribunes basses sur l’extrémité des croisillons orientaux et d’autres par groupe de trois flanquant la croisée, ce qui est peu conforme aux services du culte bénédictin à la grande époque impériale où la vue devait être parfaitement dégagée pour que les offices soient suivis par l’empereur siégeant dans sa tribune. Ces réserves établies, nous retrouvons parfaitement les caractères de l’ouvrage d’Angilbert. Les travaux commencent vers 795 et la progression est méthodique, soit d’est en ouest. Après l’abside rectangulaire et l’établissement du transept, il se poursuivent avec une nef légère établie sur des colonnes monolithiques de récupération avec archivoltes en plein cintre et de grandes fenêtres hautes. Sa longueur est de six travées. L’ouvrage est achevé vers 808/810 par l’édification de l’ensemble occidental avec transept et tour de croisée où l’abbé aménage une tribune d’honneur pour son impérial beau-père. Nous en trouvons une seconde dirigée vers l’atrium extérieur afin que le monarque puisse retrouver, là, ses habitudes d’Aix la Chapelle.

Les fouilles réalisées n’ont pas permis de dégager les fondations des grosses tourelles d’escaliers destinées à recevoir des degrés de bois et qui figuraient en bonne place sur la miniature; nous verrons que leur démolition complète s’explique aisément avec les aménagements effectués. Celles de la façade ouest seront totalement démolies, fondations comprises, pour laisser place aux puissantes assises de la grosse tour de façade édifiée au XV°s., celles de l’ouest seront également démolies pour permettre l’édification d’un corridor autour du sanctuaire donnant accès aux cryptes construites par I ‘abbé Gervin I de 1045 à 1071.

Après l’incendie de 881, la communauté tente de renouer avec la vie religieuse mais les conditions sont devenues difficiles. La province du Ponthieu qui a beaucoup souffert des invasions scandinaves n’est plus à même de fournir les subsides nécessaires à la reconstruction et la communauté a perdu ses rapports privilégiés avec l’empire. Les moines vont donc se réinstaller dans les ruines sommairement dégagées. D’autre part, les édits de Louis le Pieux qui condamnaient la discipline irlandaise ne sont plus appliqués et celle-ci va reconquérir la place avec les conceptions liturgiques qui lui sont propres: ces moines refusent d’être inféodés à Rome et si leur vie chrétienne, souvent très rigoureuse, passe pour exemplaire, leur comportement est fortement introverti. Ils prient à leur usage et se soucient fort peu des chrétiens qui dépendaient naguère de la communauté, au mieux leur accordent-ils les sacrements essentiels. Ce comportement se traduit par une liturgie intimiste qui sera abritée dans un ouvrage centré de petite dimension et de plan polygonal comportant un bas côté. Cette nouvelle construction coiffe la croisée orientale. Les espaces utiles sont donc considérablement réduits, mais ceci correspond au voeu des nouveaux desservants de Ricarius. L’ouvrage est réalisé en médiocre appareil mais avec des enduits soignés et recouverts de peintures murales qui font la fierté de la communauté. Côté nef, le polygone sera flanqué d’une tribune reposant sur trois petites voûtes d’arêtes, elles mêmes intégrées dans une travée de plan carré environ 9m 60 x 9m 60.

Sur les décennies qui suivent, une seconde tour polygonale sera construite sur la croisée occidentale du transept. Toutes deux sont réalisées à la fin du X°s ou au tout début du XI°s. Cette nouvelle construction prend la place de l’ancienne tribune impériale ce qui change sa dénomination: elle devient l’église du Christ et ses superstructures la tour du Sauveur, elle est également flanquée d’une travée droite mais beaucoup plus courte que celle de l’est. Les moines ont un grand respect pour les espaces consacrés et toutes les parties ruinées de l’abbatiale carolingienne qui ne gênaient pas les nouvelles constructions demeurent en place.

Ces deux édifices réalisés sur des fondations sommaires et avec une bonne part de matériau récupéré sur le site, vont rapidement se lézarder et menacer ruine. C’est l’abbé Gervin 11, 107 1/1097, qui va entamer une démolition partielle sur la tour du Sauveur, mais l’opération tourne au désastre et la presque totalité des parties occidentales s’écroule. Les deux tours carolingiennes restaurées pour accéder aux étages du polygone s’écroulent également et participent à la ruine. Les lamentations des moines mettent la province du Ponthieu en émoi et de modestes subsides arrivent. Pour activer les dons, l’abbé Gervin affirme qu’il faut tout reconstruire. Quels seront les travaux? Nous l’ignorons, mais les fouilles récentes ne révèlent aucune trace de structures puissantes à dater de la première moitié du Xll°s. Par contre, les paroissiens, maintenant nombreux, et qui ont financé une partie des travaux réclament une nef traditionnelle pour assister aux offices du dimanche ainsi qu’à ceux des fêtes carillonnées. Cela n’est pas du goût des moines mais la communauté doit s’exécuter. Comme l’espace restant entre les deux travées droites liées aux structures polygonales n’est que de 20m, il sera couvert d’une toiture en charpente portée par deux élévations constituées de six travées courtes réalisées avec des colonnes de récupération. Cette charpente porte également sur les murs latéraux de l’ancienne nef carolingienne relevés à cet effet. L’abbatiale a pratiquement retrouvé son volume d’antan mais le faîtage de la nouvelle nef doit être de faible hauteur: 15 à 17m environ.

Cet enclenchement des travaux nous suggère une hypothèse. Gervin II n’a sans doute pas la même origine que son prédécesseur dont il a repris le nom pour ne pas heurter un certain nombre de ses moines. C’est un réformateur selon l’esprit de Cluny, venu là pour combattre cette dérive irlandaise qui a notamment pour effet de plonger les communautés dans le dénuement financier. Ainsi n’est-il pas mécontent de voir la ruine de la tour du Sauveur, cet additif incongru dénaturant le plan carolingien. Comment va-t-il réparer le désastre? Le plus simple est de relever les murs d’origine qui subsistent sur plusieurs pieds de haut et constituent la clôture de l’espace consacré. Ce faisant, il retrouve un accès direct à la nef nouvellement réalisée, mais il doit préserver les tribunes déjà en place qui renforcent les fondations primitives. Ainsi la tour du Sauveur devient l’église du Sauveur.

Nous sommes alors au début du Xll°s., vers 1120, et de multiples aménagements mineurs seront encore effectués sur le courant du siècle. A cette époque, les quatre tourelles d’escaliers qui flanquaient l’édifice carolingien ont été détruites par accident ou démolies par souci de sécurité, il ne reste que les degrés de bois établis çà et là dans la structure et leur usage, la nuit venue, avec des lampes à huile individuelles représente une sérieux danger. Certes les degrés des tours carolingiennes étaient de même nature mais un début d’incendie est plus facile à circonscrire dans un ouvrage hors oeuvre. C’est vers le milieu du Xll°s. que les murs du transept oriental seront ouverts et repris en double épaisseur pour contenir un escalier à vis en maçonnerie. Cet aménagement sera réalisé à proximité des anciennes tours détruites pour préserver les cheminements d’accès. Vers la fin du XH°s. la même intervention se fera sur le transept occidental mais avec un meilleur savoir faire et une échancrure moindre dans le mur.

L’ ABBATIALE GOTHIQUE

L’édifice carolingien, ou ce qu’il en reste, disparaît totalement à partir de 1257, date à laquelle l’illustre abbé Gilles de Machemont prend la direction de la communauté. Il a de l’ambition et sait trouver les financements nécessaires mais c’est aussi la période la plus faste de l’époque gothique. Il entreprend la construction d’une vaste abbatiale nouvelle comportant un chevet avec déambulatoire et cinq chapelles rayonnantes, prolongé, côté occidental, par deux travées d’inégales longueurs. Les voûtes du XII°s. ont disparu mais la distribution des supports ne permettait pas une réalisation exemplaire comme au chevet d’Amiens. Suit un transept non débordant et une nef à cinq travées clôturée par un narthex comportant deux tours de façade dont il reste des éléments extérieurs dans le gros clocher reconstruit au XV°s. Ce grand bâtisseur meurt en 1292 et les ruines, puis les restaurations de la fin du Moyen Age furent telles que certains auteurs pensent qu’il laissa un ouvrage inachevé. Nous ne partageons pas cette opinion.

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1 - Tombe de Saint -Riquier
2 — Première église
3 — Abbatiale carolingienne
4 — Narthex
5 — Porche occidentale
6 — Cour de l'atrium
7 — Galerie de l'atrium
8 - Porte Saint-Michel
9 - Porte Saint-Gabriel
10- Porte Saint-Raphaël
11- Eglise Saint-Benoît
12- Eglise Sainte-Marie
13- Cellule bénédictine
14- Galeries carolingiennes
15- Constructions AV- 800
16- Chevet XV siècle
17-Porche XV "siècle


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Un examen attentif de la gravure de 1612 permet diverses remarques. Les rapports longitudinaux sont inhabituels, les croisillons (A) font 56% de la longueur de la nef (B) la croisée est donc, à priori, rectangulaire. W. Effmann admet ses rapports dans sa restitution mais ne tire pas toutes les conclusions de cette observation. Il admet un sommet circulaire des tours de croisées incompatible avec la base rectangulaire. D'autre part, sur une vue légèrement plongeante, les lignes C,D sont horizontales (construction rectangulaire) et c'est la base de la couverture (E) qui est représentée en incurvé, d'où l'illusion d'optique.


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Ce dessin fait la synthèse des éléments communiqués par H. Bernard. A l'est, nous avons une croisée (A) formée d'un transept avec croisillons à tribunes (B,C) et par une abside rectangulaire (D). Suit un volume établi sur la nef (E). A 1 'ouest nous retrouvons la même croisée avec transept et croisillons à tribunes (G,H) et le même volume sur la nef ainsi qu'un porche (J). Ces deux ensembles sont reliés par une courte nef à six travées (K). Enfin, à l'est nous trouvons deux additifs un appentis (L) et une crypte (M). Nous avons là, incontestablement, l'enveloppe extérieure de la basilique construite par Angilbert plus les reprises et additifs aménagés durant les quatre siècles de son existence et parmi ces modifications importantes, citons les deux structures polygonales (N,P) flanquées de leurs bas côtés (Q,R).


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A la fin du XII°s., après la démolition des deux polygones, une restauration complète s'impose mais l'ouvrage conserve son enveloppe carolingienne (A). A l'ouest, les croisillons du transept seront repris en puissance (B) et de facture romane, la croisée carolingienne est rétablie mais seuls les arcs latéraux (C ) sont refaits à l'ancienne, ceux de l'est (D) et de l'ouest (E) ont été repris en puissance. Celui de l'est reçoit deux tourelles d'escalier à vis intégrés dans les murs (F). La courte nef (G) qui flanquait le polygone a été préservée (H) et un passage sur voûte (J) relie sa tribune à celle du porche. Le transept oriental (K) sera restauré de la même manière en traitement roman et c'est le mur est, (L) porté à 2m 30, qui reçoit les deux escaliers (M). La courte nef (N) avec ses tribunes sera, elle aussi, préservée. L'abside rectangulaire (P) conservera ses caractères carolingiens. Il en sera de même pour les murs extérieurs de la nef, par contre, à l'intérieur, six travées de 3m 20 seront établies entre les ouvrages préservés des polygones. Ainsi analysée, l'ouvrage apparaît comme roman à 75%


LE CHEMIN DE SAINT-JACQUES

L’abbaye Saint-Martin de Tours va s’impliquer très tôt dans un chemin des sanctuaires menant de la Loire aux Pyrénées qui deviendra, quelques décennies plus tard, le premier chemin de Saint-Jacques. Quelles furent les raisons de cet intérêt pour les marches d’Espagne? Malgré la forte implantation de la règle de Saint-Benoît en Occident, la discipline irlandaise demeure bien vivante et Louis le Pieux interviendra énergiquement à son encontre. Nous pouvons alors imaginer un profond courant de cette obédience dans la communauté de Saint-Martin où naissent de vives inquiétudes à l’égard des chrétiens d’Espagne. Le long des côtes atlantiques, les liens affectifs demeurent étroits au sein de ces populations qui se référent à leur origine celtique et les chrétiens pensent que Charlemagne, poussé par les Bénédictins, en fait trop pour la Germanie et pas assez pour les terres ibériques où la foi chrétienne est davantage menacée. Il faut donc intéresser l’Empereur à l’Espagne et l’impliquer en tant que croyant.

Charlemagne est invité à parcourir ce chemin des sanctuaires menant de la Loire aux Pyrénées, puis à franchir les montagnes pour porter secours à ses frères chrétiens. Si l’affaire réussit, chevaliers et pèlerins s’engageront à leur tour et une guerre religieuse (une croisade), s’ensuivra. Le plan était judicieux mais il fallait pour cela un haut lieu religieux en Espagne et Saint-Jacques le Majeur fut sollicité. Le flou qui entourait alors la vie historique des Apôtres permettait cette hypothèse. Une première ville va se réclamer de lui, Saragosse où il serait arrivé par bateau; c’est l’origine du culte de la Vierge au Pilier. Lors de sa première campagne ibérique, Charlemagne va bien choisir Saragosse comme objectif mais pour des raisons davantage stratégiques que religieuses. L’expédition se révèlera désastreuse et les moines de Saint-Martin proposent de vénérer Saint-Jacques à Compostelle (Campo Stella). Une étoile miraculeuse tombée à une date indéterminée sur un petit cimetière antique de Galice sera le révélateur du culte. Certes Charlemagne déçu par le comportement des Espagnols ne s’y rendra pas, ses successeurs non plus mais la seconde partie du programme, la convergence des foules chrétiennes vers le tombeau de l’Apôtre se réalisera pleinement dans les siècles à venir.

Vers 800/810, à l’heure où la présence du tombeau de Saint-Jacques en Galice s ‘impose dans la communauté chrétienne, la papauté s’insurge, Rome affirme que les deux seuls apôtres venus en Occident sont les Saints Pierre et Paul, les textes en témoignent. Ainsi le Saint-Siège a de bons arguments, mais la règle vox populi, vox Dei est déjà présente dans l’esprit des chrétiens et la ferveur populaire l’emporte sur les arguments historiques.

Pour tout voyageur venant des provinces de l’Ouest, la meilleure route vers l’Espagne est la voie romaine menant de Tours au col de Roncevaux par Poitiers, Saintes, Bordeaux, Dax et Saint-Jean Pied de Port, au-delà, c’est le noeud routier de Pampelune qui donne accès à toutes les voies romaines d’Espagne. Cependant, ces villes sont de vieilles cités du Bas-Empire où les évêchés sont inféodés à la société bourgeoise et donc réfractaires au courant monastique comme à l’afflux de pèlerins. Ce contexte politico religieux fera le succès du chemin des sanctuaires situé très nettement plus à l’est. D’emblée, les lieux intéressés sont nombreux, trop nombreux. L’abbaye Saint-Martin de Tours doit faire son choix au mieux de ses objectifs. La première étape correspond au croisement du chemin nord/sud avec la voie antique menant de Poitiers à Bourges, ce sera Saint-Savin sur Gartempe. Le second sanctuaire choisi sera Saint-Martial de Limoges où le bourg est toujours distinct de la cité et du pouvoir épiscopal. Le troisième sera l’abbaye de Moissac récemment acquise par la communauté de Saint--Martin de Tours mais le lieu n’est guère chargé d’histoire et les pèlerins iront vers Conques déjà visité par Charlemagne, puis vers Saint-Sernin de Toulouse petite abbaye également distincte de la cité épiscopale. De là, plusieurs voies mèneront les pèlerins au col de Roncevaux mais certains préféreront franchir les Pyrénées au col du Portalet, rejoindre Jaca puis longer le rio Aragon.

Les premiers moines venus de France et de Saint-Martin s’installent à Saint-Jacques de Compostelle, vers 813/818. Ils vont construire un sanctuaire sur le parti primitif rural puis une seconde église avec nef à collatéraux sera édifiée en 890 sous Alphonse III. Les fondations de ces ouvrages ont été retrouvées sous le dallage de la grande abbatiale romane.

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Les travaux du sanctuaire primitif (A) doivent correspondre à l'arrivée des premiers Bénédictins, vers 813/818, En 890/892, sous Alphonse III, le sarcophage du Saint (B) est installé dans une crypte (C) qui reprend les fondations de la première église. Une seconde abside (D) l'enveloppe. Elle sera prolongée d'une nef à trois vaisseaux dont les élévations (E) reprennent les fondations de la première nef. Cette seconde église sera flanquée d'une vaste chapelle latérale (F) qui englobe le baptistère extérieur (G). Vers 1070, l'évêque Diego Pelaez décide de reconstruire l'édifice sur le modèle de Saint-Martin de Tours et confie les travaux à Maître Bernant : qui établit les fondations d'un vaste chevet à chapelles rayonnantes (H)- (J) nécropole des VI° et VIII° s. (K) tombe du VF s. (L) baptistère (M) tombe du IX° s. (N) tombes de 1047 à 1080 (P) tombe d'Aroaldus de 885 (Q)tombe du IX°s.


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Selon les fondations découvertes, la première église commencée vers 815/820, est typique du parti primitif rural avec deux cella axées la petite (A) en guise de sanctuaire et la seconde (B) beaucoup plus grande, destinée aux fidèles. La sépulture du Saint est alors aménagée à même le sol (C). Vers 893, le roi Alphonse III fait araser l'ancien sanctuaire qui devient crypte (D) et une nouvelle cella, plus vaste (E) l'entoure. Elle sera prolongée d'une nef avec bas-côtés (F) de caractère basilical rustique. Les fidèles ramèneront de Portus (Porto) au nez et à la barbe des Musulmans, des colonnes disparates (G) destinées à porter l'élévation basilicale.


SAINT-SAVIN SUR GARTEMPE

De Poitiers antique, une voie romaine se dirige vers le Berry, franchit la Vienne à Chauvigny puis atteint la Gartempe. Cette rencontre d’une voie fluviale et d’une route justifie la formation d’une agglomération qui s’installe au pied des pentes de la berge ouest où elle bénéficie des résurgences assurant son alimentation en eau potable; ce sera Saint-Savin sur Gartempe. Les troubles du Bas-Empire ruinent cette petite agglomération de 1.000 à 2.000 habitants mais le transit économique aidant, elle se reconstruit vite, sans toutefois retrouver son importance d’antan. A la fin du V°s., le Poitou est inclus dans le royaume Visigoth mais contigu aux terres de la Loire toujours contrôlé par les généraux romains. Cette condition permet à la province de vivre sans trop de contraintes politiques. Les évêques dirigent la ville mais doivent tolérer une structure comtale dont le titulaire est un certain Eulinius, chrétien romain. Pour assurer l’éducation de son fils, il fait venir de Barcelone un parent éloigné connu pour sa piété et son érudition, Savin ou Savinien. Son élève devenu grand, et sa mission achevée, le maître gagne pour quelques années le monastère de Ligugé mais le lieu lui semble trop fréquenté et il entreprend de regagner l’Espagne. Sur son chemin, il fait halte en Bigorre où il s’installe en ermite et meurt en odeur de sainteté vers la fin du siècle. Ce sera l’origine de l’abbaye Saint- Savin de Lavedan. Saint-Savin a-t- il fait un séjour sur les bords de la Gartempe ou bien Savin et Savinien sont-ils deux personnages distincts? L’un reprenant la route d’Espagne l’autre se fixant en Poitou où l’on trouve également son culte à Melle? Nous l’ignorons. Au temps de la légende dorée, chaque abbaye rédige l’histoire de ses origines à sa guise.

Aujourd’hui l’abbatiale de Saint-Savin se révèle complexe. Les cinq chapelles rayonnantes ne sont pas en harmonie avec l’abside profonde, il s’agit sans doute d’un additif des années 1060/1080 réalisé autour d’un sanctuaire plus ancien. D’autre part, ce premier chevet devait être aveugle, la couronne de fenêtres hautes sur plan polygonal est postérieure, malheureusement, les reprises du XVIIème masquent toute observation. Au-delà nous trouvons un vaste transept léger dont il ne subsiste que le croisillon nord, c’est le point d’articulation des diverses campagnes. La nef formée de trois vaisseaux sous un même comble se poursuit en avant-nef franchement désaxée afin de s’aligner sur la grosse tour occidentale. L’ensemble est aujourd’hui voûté en berceaux plein cintre et voûtes d’arêtes archaïques. Ce rapide examen nous permet l’hypothèse suivante: de l’abside profonde à la tour occidentale, nous avons le volume probable de l’édifice carolingien mais il s’agit du fruit de plusieurs campagnes couvrant la période 790/850. Voyons les enclenchements les plus satisfaisants sinon les plus probables.

A la fin du mérovingien, les grands édifices de l’ouest demeurent fidèles au volume basilical unique avec grande abside polygonale, c’est une abbatiale de ce type que les moines élèvent en toute hâte à la fin du VIII °s., légère et peu coûteuse, elle répond bien à l’urgence du moment. Vers 800/820, l’abbatiale se modifie, la grande abside polygonale laisse place à un transept avec sanctuaire en hémicycle et partie droite, peut-être flanqué de deux tourelles d’escaliers. A l’ouest, au -delà de l’atrium, le constructeur élève un puissant narthex sur l’alignement du mur de clôture, d’où le gauchissement, enfin, narthex et nef sont liés par une avant-nef sans doute avec élévation sur grosses piles carrées. Dans la nef, des supports de maçonnerie remplacent également les poutres portant les balcons latéraux, aménagement qui permet de soulager la charpente et de stabiliser l’édifice sur le plan longitudinal.

A partir de ce vaste ensemble carolingien, il est aisé d’imaginer les modifications qui vont aboutir au superbe édifice roman d’aujourd’hui. La couronne de chapelles rayonnantes maladroitement disposée impose la démolition du sanctuaire carolingien mais ses fondations demeurent en place et supporteront les piles du choeur. Sur la nef, les belles piles rondes appareillées que nous voyons aujourd’hui se substituent au support précédent, cette modification jointe au renforcement des murs permet d’installer des voûtes d’arêtes sur les bas-côtés et le berceau plein cintre sur la nef. Le parti à trois vaisseaux sous un même comble subsiste. L’avant-nef que nous voyons plus basse sera refaite selon le même principe, enfin, la tour de façade, mise en danger par le temps, sera reprise en puissance tout en sauvegardant le porche d’accès carolingien. Nous reprendrons cette étude avec 1 époque romane.

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En opposition à l'état actuel (campagne romane), nous proposons un plan de l'édifice carolingien. L'oeuvre basilicale (parti d'Aquitaine) réalisée de 780/800 sera reprise avec une abside profonde (A) flanquée de deux chapelles axiales (B) ou de deux tours. L'ensemble ouvre sur un vaste transept (C) postérieur. Le mur (D) de l'ancien édifice demeure en place. Les invasions Scandinaves imposent la construction d'une puissante tour (E) alignée sur le mur de clôture (F) donc gauchi par rapport à l'axe de l'église (G). A une date indéterminée (X°s.?), une avant-nef (H) relie la tour occidentale à l'église. Enfin, des piles de maçonnerie (J) qui ont remplacé les supports de bois des balcons de la formule d'Aquitaine sont reliées par des arcs (K). Nef et avant-nef sont alors avec trois vaisseaux sous un même comble. Nous pouvons également envisager un autre enclenchement quelque peu différent où l'enveloppe de la nef (D) et les piles (J) sont édifiées fin IX° pour remplacer l'ouvrage primitif détruit dans un incendie consécutif aux invasions wikings. Dans ce cas, la nouvelle nef serait plus large que l'ancienne mais toujours antérieure à l'avant-nef (désaxement oblige).


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Sur cette élévation figure l'état de l'édifice carolingien à la fin du X°s. Abside voûtée (A) partie droite couverte sur charpente (B) transept (C) dont les combles (D) coiffent ceux de la nef (E). Nef primitive (F) où les piles de maçonnerie (G) ont remplacé les supports de bois. Les balcons (H) peuvent subsister. Cette nef sera reprise avec des arcs (J) reliant les piles (K). La tour occidentale (L) formant défense sur le mur extérieur. Saint-Martin de Tours devait posséder une construction semblable et c'est là sans doute que les responsables de l'abbaye vont se réfugier pour échapper aux prétentions des comtes d'Anjou et de Blois. Cette tour occidentale fera école. Nous la retrouvons à Saint-Porchaire de Poitiers, à Saint-Aignan, à la cathédrale et à Saint-Martial de Limoges (chemin de Tours à Saint-Jacques). En ultime campagne, l'avant-nef (M) a deux niveaux (N,P) donne à l'édifice sa physionomie finale. L'ensemble est toujours à trois vaisseaux sous un même comble


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Energiquement restauré au XIX° s., Saint-Généraux est délicat à analyser. A l'est nous trouvons une belle abside en hémicycle (A) flanquée de deux absidioles (B,C), l'ensemble se poursuit sur une courte travée droite (D) puis une plus grande (E) et l'ouvrage bute sur un transept existant (F). Son alignement est est négligé par le programme (G) mais le mur ouest (H) est pris en compte dans le pas des fenêtres (J,K). Les piles (M), comme les arcatures hautes ouvrant sur le transept (N), ne sont pas centrées avec la nouvelle nef. Celle-ci se poursuit ensuite sur quatre travées (P) primitivement en volume unique. Au XII° ou XIH° s., une élévation (Q) viendra soutenir les fermes de charpente. Nous n'avons pas de date précise sur l'ouvrage mais tout se passe comme si une nef basilicale, légère de la première époque carolingienne, 800/840, fut reprise après les destructions dûes aux Wikings. Achèvement vers 880/900. (R) Reprise romane


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A l'orée des temps Carolingiens, vers 780, l'abbaye Sainte-Gertrude de Nivelle demeure bien modeste. L'édifice majeur, où la Sainte est inhumée, est toujours à nef unique de llm x 32m. Ce sont les caractères du primitif rural avec, à l'est, une petite cella de 7m x 7m. Vers 800 les travaux reprennent. Une nouvelle abside de plan rectangulaire (A) avec un petit hémicycle (B) englobe l'ancien sanctuaire, mais le maître d'oeuvre semble manquer de moyens. Une décennie plus tard, ce premier ouvrage sera prolongé d'une grande nef à trois vaisseaux (C) de structure basilicale sans doute clôturée par une façade (D) la surface est maintenant de 36m x 21m 50. L'achèvement doit se situer sur le premier tiers du IX°s. Cette abbatiale souffrira des invasions Wikings et les réfections vont suivre. Les supports monilithiques manquent et la nef basilicale, reprise se trouve limitée à six travées qui englobent le sanctuaire précédent. La partie occidentale est reprise également (E) mais avec de grosses piles carrées (F). Cette avant-nef est achevée vers 950 et les travaux se poursuivent par l'édification d'un puissant narthex (G) de 960 à 980. Enfin, l'oeuvre carolingienne laissera place à l'ouvrage roman commencé vers 1010 et consacré en 1040. L'ancien narthex subsiste.


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La nef orientale de Sainte Gertrude réalisée de 820 à 840 est de parti basilical mais l'imaginer semblable aux oeuvres du Bas Empire serait une erreur. L'esprit demeure mais les conditions de réalisation ont changé. La charpente du grand comble (A) pose souvent problème. Il faut réduire la portée (B) et le travail de l'entrait (C). Sur le bas-côté, l'adoption d'une couverture à forte pente augmente la hauteur sous comble, le rapport hauteur-largeur de la nef se modifie. Sur l'élévation, la pénurie de colonnes monolithiques suggère au maître d'oeuvre d'augmenter le pas (D) mais la charge devient grande pour les colonnes de récupération et le responsable de chantier va sans doute s'orienter vers des supports à tambour de plus grand diamètre. Enfin, ce sont les piles maçonnées (E) qui s'imposent sans que le rapport des niveaux ne change (F,G,H). L'avant nef commencée au début du X° siècle est achevée vers 950, puis vient le narthex terminé avant la fin du siècle. Il est constitué d'une puissante travée (J) flanquée d'une abside en hémicycle encadrée de deux tours (K,L) avec bas-côtés (M) et sans doute un niveau de tribunes non voûtées (N).


JUMIEGES

Située sur les bords de Seine, en aval de Rouen, l’abbaye de Jumièges fut fondée vers 650, par Saint-Philibert. C’est le fils d’un comte d’Aquitaine appelé par Saint-Ouen évêque de Rouen de 641 à 664. Saint-Philibert a une certaine inclinaison pour la rigoureuse et austère discipline irlandaise, ses premiers fidèles sont plus enclins à la méditation solitaire qu’à l’action évangélique et l’abbaye connaît des débuts difficiles. Saint-Philibert persiste dans sa démarche et fonde deux autres maisons en Normandie à Pavilly et à Montivilliers en Caux. Cependant, vers 675, il quitte la province, gagne les côtes atlantiques et fonde l’abbaye de Noirmoutier.

A Jumièges, la première installation dut se faire dans les murs d’une exploitation rurale établie à mi-pente, cette disposition sans conséquence sur les petits édifices du VII°s. se révélera gênante pour les grands programmes ultérieurs. Selon la coutume, les lieux de culte devaient être au nombre de trois:l’église des moines, celle des fidèles et une petite chapelle contiguë au cimetière. Avec le départ de Saint-Philibert, la communauté connaît quelques dérives et les Bénédictins interviennent vers 700/740; à cette époque, la règle de Saint-Colomban s’efface et la communauté se rétablit mais aucun grand programme ne vient marquer ce renouveau, sans doute les cellules particulières chères aux Irlandais disparaissent au profit des réfectoires et dortoirs collectifs. Cette reprise en mains porte ses fruits. En 788, le monastère reçoit deux prisonniers de marque:

Tassillon duc de Bavière et son fils Théodon. Ils seront à l’origine de l’histoire des “énervés de Jumièges”. C’est à cette époque que les travaux reprennent avec l’édification d’une nouvelle abbatiale Saint-Pierre. Il s’agit d’un édifice basilical classique, ouvrage léger et fragile que les Bénédictins privilégient. La nef a trois vaisseaux de 30m de long sur 17m de large comporte des élévations internes distantes de 9m50 à l’axe et la hauteur du vaisseau central peut être estimée à 15m. Certes les fûts monolithiques sont rares mais l’administration impériale organisait une récupération systématique de ces pièces et le transport par eau était privilégié.

Avec les invasions normandes, Jumièges se trouve confronté à mille périls. L’abbaye est brûlée en 841 et quelques décennies plus tard, les derniers moines quittent les rives de la Seine pour se réfugier dans le Cambrésis à Aspres. Vers 940, sous Guillaume Longue Epée, second duc de Normandie, la communauté rejoint la Basse-Seine et reçoit du duc les moyens suffisants pour reconstruire l’abbaye. C’est de cette époque que date la seconde abbatiale Saint-Pierre dont il subsiste des fragments du narthex et un morceau de l’élévation Nord. L’église carolingienne est alors totalement ruinée mais les moines entendent préserver l’ensemble de l’espace consacré et la reconstruction se fera dans le même volume. Les pierres à récupérer sont nombreuses et les carrières de la région sont à nouveau en exploitation, les matériaux ne manquent pas mais les moines et les compagnons laïcs qui les secondent sont encore maladroits, ce sera une grande église faite de petites structures rustiques. Le nombre des travées passe de huit à dix et le pas de 3,60 à 2,75, les piles du premier niveau sont de section carrée et bien appareillées. Sur un modeste tailloir, les archivoltes en plein cintre culminent à 3m40. Cette élévation ouvre sur un très modeste bas-côté de 1m20 de large voûté en berceau plein cintre. Au second niveau les tribunes ouvrent sur la nef par une baie géminée avec tailloirs, chapiteaux et courtes colonnettes. Ce couloir haut de 3m, et large de 1m20, est, lui aussi, voûté en berceau plein cintre et les tuiles sont, semble-t-il, maçonnées sur l’extra-dos des voûtes. Le troisième niveau reçoit un registre de fenêtres hautes et nous pouvons estimer la hauteur totale à 12m.

Le volume de maçonnerie séparant bas-côtés et tribunes fait 2m de hauteur et pour faciliter le séchage, le maître d’oeuvre l’a percé de cavités circulaires de 75cm de diamètre (deux par travées) qui seront obturées après coup. Cette nouvelle nef de 8m70 x 30m recouvre pratiquement le volume de l’ancienne mais conserve l’abside de l’ouvrage précédent. A une époque indéterminée, des croisillons bas sont aménagés sur les deuxième et troisième travées, côté abside. Cette construction très rustique sera précédée d’un narthex. Son volume perpendiculaire à la nef est constitué d’un passage voûté au centre surmonté d’une tribune et encadré de deux tours. Sa surface au sol est de 17m40 par 5m60 et les tours doivent culminer à 20m de haut. Ces dernières semblent porter ombrage à Raoul Torta, seigneur du lieu, qui les fera éraser à la mort du duc.

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Sur la moitié inférieure de la vue en plan (campagne 945/960) nous voyons les piles carrées (A) portant l'élévation. Le pas des travées (B) est voisin de 2m 80, soit dix pas plus une petite absidiole (C) pour atteindre la ligne (D) qui marque la liaison avec l'abside disparue. Abside du XIV°s. (E). Les croisillons (F) adaptés ultérieurement occuperont l'espace de deux travées (G,H). A l'Occident, la base de la tour (J) est massive et l'escalier (K) se loge dans le blocage interne. Dès le second niveau, l'ouvrage devient plus léger et se décompose en tribunes centrales (L) flanquées de deux tours (M,N). Sur le volume de cette nef pré-romane, nous pouvons imaginer un édifice basilical élevé vers 790/800 et dont l'oeuvre pré-romane reprendra l'abside (P). L'arrivée de Tassilon et de son fils, prisonniers de marque, a sans doute apporté les moyens de cette nouvelle campagne et le parti basilical demeure la référence, il a même les faveurs de l'Empereur qui fut frappé par Saint-Pierre et Saint-Paul de Rome découverts en Italie. S'agissait—il de l'abbatiale majeure ou bien un ouvrage plus important fut-il réalisé à l'emplacement de l'église Notre Dame? Les travaux de la grande abbatiale romane commencés par les tours occidentales sous entendent la présence d'un édifice antérieur.


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Sur l'élévation de la coupe A, A' nous voyons le bas-côté (B), la tribune (C) et le volume intermédiaire percé d'une réservation (D) facilitant le séchage. Cette disposition est curieuse. Elle peut s'expliquer par un changement de programme destiné à gagner de la hauteur sous combles afin d'intégrer l'ancienne abside, condition non prévue à l'origine. La hauteur estimée sur la coupe longitudinale (E) est de 12m 50. Le choix d'un narthex permet d'établir une tribune (F) au-dessus de la voûte d'entrée. Accessible par les escaliers (G,H) elle donnait également accès aux tribunes de la nef, avec quelques difficultés semble-t-il. Les deux tours carrées (J,K) devaient culminer à plus de 20m et constituaient un bon refuge pour les moines, d'où la colère de Raoul Torta.


LA GRANDE BRETAGNE

En débarquant sur les 11es Britanniques, une première fois en 55 Av.J-C, avec quatre légions et une seconde fois en 54 avec six légions, soit 60.000 hommes environ, César fait rentrer ce pays dans l’histoire. Lors de la première campagne, ses troupes ont essentiellement manoeuvré dans le Kent, au sud de la Tamise mais, en 54, elles franchiront le fleuve à la hauteur de Chertsey pour pousser quelques incursions au nord. De ces opérations César tire diverses conclusions. Il nous dit notamment que les populations rencontrées au sud de la Tamise sont de même caractère que les Belges du continent et ce jugement se confirmera ultérieurement. César ne reviendra pas sur la grande île, et c’est Claude qui va conquérir le pays en 43 après J-C, soit un bon siècle plus tard. Maintenus sous les armes depuis trois ans, en attente d’une action projetée par Caligula, les Britons ont négligé leur garde et les forces romaines (4 légions) s’implantent sans difficulté au sud de la Tamise, ensuite Rome passe des alliances avec les peuples établis au-delà du fleuve tout en leur imposant certaines garnisons.

Le comportement des légionnaires et auxiliaires romains n’est pas exemplaire. En 61, les tribus de l’est Anglie prennent la tête d’une révolte menée par leur reine Boudicca dont les filles ont été déshonorées par la soldatesque romaine. Ces forces nombreuses mais mal organisées chassent tous les Romains établis au nord de la Tamise et attaquent Londres (Londinum, le fort du lac). Là se concentrent déjà une forte population commerçante et une installation portuaire très fréquentée. Dans leur marche sauvage, les insurgés ont massacré plus de Belges que de Romains et les peuples du sud leur font barrage. L’Empire rétablit vite la situation et, dans les 20 années qui vont suivre, les légions romaines occupent la quasi totalité de la Grande -Bretagne “blanche”. En 75, arrive dans l’île un administrateur remarquable, Julius Agricola; Il lance un vaste plan d’aménagement comme celui naguère réalisé en Gaule sous l’égide d’Agrippa. Des routes sont tracées, des camps militaires installés aux carrefours, mais le gouvernement civil est laissé à des sénats locaux pris en mains par une bourgeoisie brito-romaine désireuse de profiter de l’ordre romain. L’île entre dans une période faste mais elle a pris un bon siècle de retard sur le Continent et cela marquera sans doute son histoire. Cependant, les terres situées au nord/ouest d’une ligne Exeter, Bath et York, resteront sous juridiction militaire.

Les camps légionnaires installés aux carrefours routiers vont drainer un important flux économique et la composante civile va bientôt l’emporter sur la présence militaire. Les agglomérations de la Pax Romana débordent souvent l’enceinte mais cette dernière subsiste avec ses coins arrondis, disposition typique des installations militaires primitives cernées d’une levée de terre et flanquées de palissade. Trois siècles plus tard, le repli du Bas-Empire se fera également sur le coeur de la cité derrière le tracé d’origine militaire. Ce phénomène a frappé les archéologues d ‘Outre Manche et l’existence de villes à caractère augustéen, régulièrement maillées mais fondées et développées par l’administration civile, fut longtemps mise en doute. Cependant la région sud, et notamment les terres dites Belges où les populations vont très tôt prendre fait et cause pour l’ordre romain, ont sans doute développé des agglomérations de ce caractère et Winchester a de bons arguments pour figurer à ce titre.

Etablie sur la rive occidentale de l’Aire, Winchester (Venta Belgarum) se situe au coeur d’une riche région à vocation céréalière et la cité romaine s’articule sur un vaste ensemble de voies maillées qui ne semblent pas issues d’une implantation militaire. Au siècle des Antonins, elle couvre 80 à 100 ha, ce qui représente en urbanisation ouverte plus de 35.000 personnes. D ‘autre part, les prospections aériennes ont identifié dans la région la plus forte concentration de villas romaines (exploitation céréalière de plateau) connue dans les 11es Britanniques, 43 dans un rayon de 20 miles. Les notables de Venta Belgarum devaient donc gérer un très important marché au grain et peut être exporté par le port de Noviomagus (Chichester).

A la fin du IV°s., le repli des légions se fait par étape du nord au sud et, vers 430, Winchester défend toujours son intégrité face à la poussée des Angles et des Saxons. La ville a confié sa sécurité à des unités de cavalerie sous contrat et l’une d’entre elles est commandée par un certain Arthur (le roi Arthur) qui va s’illustrer dans la défense de la Cornouailles. La ville tombe aux mains des Saxons vers 450 et les conquérants délimitent sur l’agglomération ruinée un périmètre de défense (700 x 800m) cerné d’une levée de terre flanquée d’une palissade qui respecte bien le maillage antique. Dans cet espace civil, les Germaniques se réservent un enclos d’une dizaine d’hectares où ils établissent palais et casernements, la ville devient capitale du royaume saxon. Les Bénédictins, amenés par Saint-Augustin de Canterbury arrivent bientôt à Winchester et, en 648, le roi Cenwealh entreprend la construction d’une première cathédrale 1’Old Minster. Lorsque Guillaume le Conquérant arrive quatre siècles plus tard, Winchester demeure capitale administrative des provinces saxonnes.

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Avec les tronçons de voies romaines identifiés (A) nous pouvons restituer le maillage urbain de la ville soit une couverture de 80 à 100 ha environ mais si nous appliquons le rapport moyen entre surface urbanisée à la Pax Romana et les réduits du Bas-Empire, la ville ouverte était beaucoup plus vaste. La Grande Bretagne ne subit pas les grandes invasions de 250/275 mais lors des troubles consécutifs qui vont se prolonger jusqu'à la fin du siècle, les marins pirates saccagent les ports de la Manche et le déclin économique s'amorce. Cependant Winchester ne doit pas en souffrir outre mesure. En 419, la ville passe sous la coupe d'un roitelet du Wessex. Le périmètre de repli (B) date-t-il de cette époque ou bien faut-il l'attribuer aux Germaniques qui occupent la cité dès 450? Cette seconde hypothèse prévaut. Primitivement c'est une levée de terre et de déblais surmontée d'une palissade et peut—être d'un mur léger. Dès leur conquête, les Saxons établissent un réduit distinct (C) lui aussi ceinturé d'une défense (D). Là se situe l'ensemble monumental (E) civil et religieux de la ville devenue capitale des royaumes saxons. Les voies du Moyen-Age (F) préservent les coordonnées antiques, certaines se superposent (G) d'autres reprennent la desserte médiane (H) et les trois portes de l'enceinte correspondent à des voies romaines (J,K,L). En sortie ouest, une patte d'oie (M,N) s'impose sur le maillage antique.


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Après la Conquête Normande, les travaux reprennent dans l'enclos des rois saxons. La grande abbatiale romane (A) entreprise par l'abbé (évêque) Vauquelin, chapelain de Guillaume, en 1079 ainsi que le palais édifié par le Conquérant font disparaître la quasi totalité des ouvrages antérieurs. Des fouilles menées de 1961 à 1969 ont mis à jour les fondations de la vieille cathédrale (B) ou Old Minster. L'ouvrage comprend un noyau primitif (C) des additifs latéraux (D,E,F) ainsi qu'un puissant narthex occidental (G) démoli pour laisser place à une oeuvre normande aujourd'hui disparue (H). Ces fouilles ont également mis à jour la nouvelle église New Minster (J) construite par Alfred le Grand pour lui servir de sépulture. C'est un ouvrage de bonne taille et de parti basilical classique qui sera achevé par son fils Edouard l'Ancien et consacré en 903. La vieille cathédrale, maintes fois reprises et aménagée sur la période qui s'étend de 648 à l'an 1000, figure donc parmi les oeuvres carolingiennes.


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Les fondations découvertes de la vieille cathédrale sont complexes. Nous y venons un noyau primitif (A) de plan basilical aquitain ainsi nommé en référence à celui découvert à Lucdunum Convenarum (Saint—Bertrand de Comminges). Cependant, ces petites basiliques romaines furent sans doute nombreuses dans les camps militaires de Grande Bretagne pour le traitement des affaires civiles (indigènes). A ce noyau se trouvent accolés divers additifs: une chapelle axiale (B) deux absides en hémicycle (C,D) et deux chapelles rectangulaires (E,F) enfin, très à l'ouest, deux croisillons bas (G,H) comportant chacun des chapelles orientées (J). Pour clôturer l'ouvrage, à l'ouest, nous trouvons le puissant narthex (K) avec un vaisseau central (L) flanqué de deux collatéraux (M,N) ouvrant chacun sur une abside. A l'avant, un porche (P) encadré de deux tours (Q,R). La puissance des fondations sous entend un ouvrage tout ou partie voûté. Les datations sont incertaines. Le noyau (aquitain) peut dater des années 648/670 (Cenwealh) ce n'est pas incompatible, les additifs viendront ultérieurement de 700 à 800, quant au narthex nous pouvons l'attribuer au règne d'Alfred le Grand 871/899 ou bien aux travaux de reconstruction menés de 971/974 et qui nous sont donnés comme conséquents. Mais une campagne de quelque envergure aurait sans doute modifié, rationnalisé un plan aussi disparate. Dans cette seconde hypothèse, ce narthex aurait remplacé une avant-nef dont il resterait un témoignage en (S). En élévation nous proposons une restitution complète de l'ouvrage qui peut être datée des années 900 (ouvrage d'Alfred) ou de l'an 1000 (reconstruction de 971/994).