LA GERMANIE I
Les guerres de Germanie Septentrionale sont connues dans leurs grandes lignes mais difficilement appréciables dans leur caractère comme dans leurs effets. Les textes des rares chroniqueurs de l’époque ne permettent pas d’apprécier l’importance des forces mises en oeuvre pas plus que les conditions tactiques d’engagement, seules quelques grandes batailles sont relatées par l’Histoire. En outre, toutes ces chroniques sont écrites par les vainqueurs et le point de vue est nécessairement partial.
Les multiples campagnes menées par les armées de Charlemagne, en Germanie, couvrent une période de 34 ans, soit de 772 à 806 et intéressent des régions de caractères divers ainsi, nous semble-t-il judicieux de les décomposer en deux parties la conquête du Bassin de la Weser de 772 à 787 et la marche vers l’Elbe de 797 à 806. Il y eut donc une interruption de dix années durant lesquelles la puissance de Charlemagne, comme le caractère de ses moyens militaires, ont considérablement évolué. Il faut en tenir compte. Enfin, nous tenterons, grâce à l’archéologie et à la socio-économie appliquée au monde rural, de cerner au plus près l’importance et le mode de vie des populations concernées.
LES PRETENTIONS FRANQUES
Après leur installation dans les anciens grands domaines gallo romains du Nord de la France, le couronnement de Clovis marque pour les Francs la naissance d’un état dont la politique sera naturellement expansive. La caste équestre a pris goût aux grands domaines et des groupes de cadets sans avoir partent, régulièrement, méthodiquement, à la recherche de nouvelles terres qu’ils entendent remembrer et gérer selon leur mode. C’est un phénomène qui touche également la Germanie et les régions concernées sont principalement les vallées de la Lahn et du Main. Les monarques mérovingiens approuvent et soutiennent cette expansion et vont considérer ces terres comme dépendantes de la couronne. C’est ainsi que nous voyons Dagobert 1er saccager la Thuringe dont les habitants s’en prennent aux émigrants Francs se dirigeant vers l’Est. C’est une politique de caractère “impérialiste” qui se poursuivra sur dix siècles; l’épisode carolingien ne fut qu’une phase plus violente que les autres dans cette longue et méthodique volonté d’expansion.
Les Francs considèrent toujours les terres d'Outre Rhin comme faisant partie de leur patrimoine mais les intéressés ne partagent pas cet avis. Leur jugement est plus subtile. Pour un voyageur austrasien, parlant couramment le Germain, l'accès aux terres de l'Est est sans problème. Cependant, s'il se dit chrétien il doit se faire discret par contre, toute troupe venue en armes avec l'intention d'imposer sa loi aux multiples pouvoirs locaux provoque une levée de boucliers. Utrecht a été conquise par les armes (A), le Rhin est un fleuve franc et les berges de l'Est (B) sont acquises aux Mérovingiens. De la dépression de Mayence les agriculteurs francs ont colonisé toute la vallée du Main (C) et Dagobert a conquis la Thuringe (D) afin de faciliter leur marche (E) vers les terres de l'Est (F). Cependant, l'expansion des Saxons (G) les oblige à choisir une autre voie (H). Au Sud, les Bavarois (J) ont prêté allégeance aux Carolingiens et Pépin d'Héristal intervient à Salzbourg afin d'arrêter l'infiltration des Avars par la vallée de la Mur (K) mais la vallée du Danube (L) reste ouverte. Le cours de l'Inn et de la Salzach devient frontière d'Occident, cependant la Bavière est alliée mais pas soumise.
D‘autre part si les chrétiens veulent, par principe, prêcher la bonne parole en tout lieu ils doivent le faire indépendamment des instances politiques. Cependant, le gouvernement du Saint-Siège, instauré par Grégoire le Grand ainsi que l’ordre bénédictin qui sera son instrument dévoué, ne refusent pas de s‘allier au pouvoir monarchique pour avancer leur pion sur l’échiquier européen. Le Saint-Siège espérant bien, l’heure venue, instaurer un super gouvernement de l’Eglise sur l’ensemble des peuples concernés.
Cette marche vers l’Est est donc inscrite au programme de l’Histoire et les actions menées par l’Empire carolingien seront naturellement soutenues sinon motivées par les instances vaticanes.
LE COEUR FRANCONIEN
L’Europe occidentale sera profondément modelée par le réseau des voies romaines qui vont drainer les flux économiques puis orienter les expansions politiques. Par contre, sur l’autre rive du Rhin, ce sont les cheminements traditionnels des vallées qui demeurent les artères économiques, les massifs environnants formant une entité distincte mais complémentaire. Ainsi les notables du sanctuaire franconien, formé des vallées de la Lahn et du Main, entendent que les hautes terres voisines dépendent de leur domaine d’influence. Cette complémentarité s’imposa naturellement et fut appréciée de part et d’autre, les petits chefs politiques régnant dans le massif n’y voyant qu’avantage.
Les habitants des hautes terres à vocation pastorale ont un cadre de vie très rustique, souvent ils descendent dans la vallée et gagnent Mayence où les étals sont bien approvisionnés par les bateaux marchands empruntant le Rhin et la Moselle. Là ils peuvent trouver bien des produits et notamment des instruments de fer élaborés par la métallurgie franque la plus évoluée à cette époque. Certes la ville est chrétienne depuis le Bas Empire mais les instances bourgeoises très soucieuses de leurs intérêts ont, de longue date, infiltré leur progéniture dans le Chapitre et l’Evêque est naturellement choisi parmi les plus conciliants et c’est la volonté d’expansion des Bénédictins, menés par Saint-Boniface, qui menacera cet équilibre ancestral.
LE FERMENT RELIGIEUX
Celui que l’on appelle l’apôtre de Germanie était un prédicateur exalté et convaincant. C’est un Bénédictin de la première école. Il veut servir la chrétienté, obéir à Rome mais ne refuse pas l’aide des Princes chrétiens dans la mesure où cet appui ne le prive pas de sa liberté d’action. Après avoir reçu, afin de les réformer, les évêchés de Cologne et de Mayence, il envoie ses missionnaires en Germanie profonde. De Mayence, ville citadelle du Bas Empire située dans le coeur franconien, il part lui — même vers le Nord sur les hautes terres, atteint la vallée de la Fulda et fonde, en 744, un monastère qui gardera le nom de ce fleuve. Le sanctuaire primitif sera confié à l’abbé Sturm chargé d’édifier les bâtiments conventuels.
En 752, Boniface organise le sacre de Pépin le Bref et pense se servir de la puissance montante des Carolingiens pour parachever son oeuvre mais ses excès de zèle religieux font qu’il est assassiné en 754. Quelques années plus tard, l’abbaye de Fulda florissante installe une filiale à 40km en aval, ce sera Hersfeld fondée en 768. Ces deux monastères de la vallée de la Fulda seront à l’origine du conflit qui va opposer les Carolingiens aux peuples dits Saxons.
De 750 à 770, l’emprise des abbayes de Fulda et de Hersfeld se confortent dans la vallée. Dans de nombreux villages environnants, les petites communautés chrétiennes nouvellement formées font appel à des desservants venus de l’abbaye; c’est une pratique qui fait ses premiers pas et doit donner une plus large assise et d’avantage de reenus à la fondation. Cependant ces petites églises interfèrent avec le pouvoir séculier des chefs de village et indisposent l’aristocratie locale. Pour ces nobles et guerriers qui ont toujours gouverné en faisant référence à l’esprit germanique et aux croyances ancestrales, l’intrusion des chrétiens est vue comme une provocation. Vers 771, les notables de la région ont une réaction extrêmement violente, organisent de petites troupes armées et brûlent bon nombre d’églises ainsi que l’abbaye d’Hersfeld la plus septentrionale et Fulda subit le même sort en fin de saison. Des moines sont également massacrés mais en petit nombre, ils ont eu tout loisir de fuir.
A cette époque, que représentent ces deux abbayes bénédictines? Des fondations d’avant garde de bien modeste importance. L’ensemble des bâtiments est toujours articulé selon le modèle mérovingien avec trois lieux de culte disposés dans un certain désordre autour d’un ensemble de cellules individuelles, tandis que les bâtiments de fonction sont à proximité. A Fulda, quelques substructures de la première église ont été identifiées sous la grande abbatiale carolingienne reconstruite de 790 à 817. Elle était de petites dimensions, à nef unique et sans transept, la chapelle du cimetière se trouvait sous la rotonde voisine actuellement conservée. Enfin, l’église des fidèles pourrait se situer sous l’atrium oriental construit de 817 à 819. Pour Hersfeld nous n’avons pas d’information mais la disposition première devait être identique. Les plans découverts à Sainte-Gertrude de Nivelle et la restitution que nous avons proposée peut nous donner une idée assez juste de ces premières abbayes bénédictines, ensembles bien modestes en vérité.
L’INTERVENTION CAROLINGIENNE
Après le saccage, les moines qui veulent méconnaître les enseignements du Christ font un tapage d’enfer et demandent le soutien armé de Charlemagne, celui-ci qui a bien connu Saint-Boniface dans sa jeunesse se croit obligé d’intervenir et, dès la bonne saison, 772, une armée franque gagne la Germanie. A cette époque, c’est encore une force essentiellement traditionnelle formée d’une majorité de volontaires appelés pour la saison. La troupe partie de Mayence remonte le Main, puis le Kinzig, passe au pied du mont Vogel et atteint la haute vallée de la Fulda. La répression sera d’une extrême violence. Comme il n ‘est pas possible d’identifier les coupables, la majorité des domaines rencontrés sera brûlée. La marche se poursuit vers le nord et atteint sans doute le confluent de la Weser. Les peuples du massif indignés rêvent de vengeance.
Sans doute né â Verberie, Charlemagne passe sa jeunesse dans les palais d’Ile de France et du Val d’Oise et c’est là qu’il revient chaque hiver dans les premières années de son règne. Dès 772, sa campagne de Germanie lui impose de trouver une résidence sur place; il choisit les domaines d‘ Ingelheim et de Lorsch qui se trouvent tous deux dans le coeur franconien région naguère romanisée sous le nom de Champ Décumates. Leurs aménagements sont insuffisants, de grands travaux sont entrepris mais Charlemagne est absorbé par d’autres campagnes et le programme est mis en sommeil. Ce sera sans doute Louis le Germanique qui leur donnera leur aspect définitif.
En 773 et 774, Charlemagne répond à l’appel du pape Hadrien et va guerroyer en Italie. Le siège de Pavie commencé en 773 durera dix mois et l’été 774 verra l’armée franque s’engager sur Vérone. Durant ces deux années, les Germains de la haute vallée de la Weser pensent que la violente réaction de 772 n’était qu’un moment d’humeur; ils entreprennent d’isoler puis de repousser les rares contingents franconiens qui s’aventurent dans la vallée. Fin 774, Charlemagne apprend que ses troupes laissées sur place ont totalement perdu le contrôle des régions de Fulda et de Hersfeld. Les acquis de 772 sont à refaire.
LA MARCHE DE WESTPHALIE
Assuré de la situation en Italie où il a laissé des comtes francs, et de petites garnisons dont nous pouvons estimer le total à 4 ou 5.000 hommes, Charlemagne a rejoint ses domaines d’Ile de France et séjourne probablement à Verberie où des travaux d’aménagement ont commencé. Conscient de la situation en Germanie, il décide alors une action d’envergure pour 775
Les guerriers engagés par les peuplades du haut cours de la Weser ne constituent pas une force importante mais leur mode d’action déconcerte les Francs. Les petits contingents mènent une guerre de harcèlement puis se replient dans les grands massifs boisés qui couronnent les hauteurs et ce sont des lieux où la cavalerie franque rechigne à s’engager. De leur côté les fantassins qui acceptent de traverser en nombre ces forêts profondes en ressortent sans voir engagé l’adversaire. D‘autre part, il paraît évident que ces groupes se replient vers le Nord dès qu’ils sont mis en difficulté. Là ils trouvent refuge mais aussi des renforts qui les accompagnent dans leurs nouvelles incursions. Il faut donc isoler le massif avant de le réduire.
Les forces qui ont suivi Charlemagne à son retour d’Italie sont peu nombreuses, 5 à 6.000 hommes au mieux et cette longue absence de deux ans a fatigué bon nombre de cavaliers qui veulent à nouveau se consacrer à leur domaine, à leur famille. Ainsi l’appel de 775 ne fait pas recette. Le roi insiste. Des hommes se présentent mais bon nombre d’entre eux manquent d’entraînement et de motivation, l’armée qui gagne la Germanie au mois de mai doit compter 8 â 10.000 hommes. 2.000 d’entre eux, les moins aguerris sont dirigés vers Mayence afin de renforcer les contingents en place. Ils auront pour mission de construire des fortins de bois qui serviront de garnison; ce sont les premiers permanents de l’armée carolingienne. Les autres, soit 5 à 6.000 hommes gagnent Cologne puis franchissent le Rhin pour une opération en profondeur.
La troupe oblique vers le Nord et s ‘engage sur la rive sud de la Lippe. Ce sont les Piémonts du Sauerland qui formera ensuite le sud de la province de Westphalie. C’est une région légèrement “ondulée” où l’altitude moyenne est comprise entre 100 et 200 m. Le paysage est aujourd’hui défiguré par l’urbanisation à outrance du XIX°s. mais au temps carolingien c’était une riche région agricole où les exploitants avaient noué de bonnes relations économiques avec la vallée du Rhin (fleuve franc). Les populations ne sont pas hostiles et la majorité du chemin s’effectue sans difficulté, la colonne marche vers l’est et atteint les sources de la Lippe enserrées entre les monts du Rothaar et le Teutoburger Wald. Au-delà, commencent les hautes terres, majoritairement boisées qui demeurent hostiles aux Francs. La colonne s’arrête et fonde un grand camp (Champ de Mars) qui deviendra Paderborn. Charlemagne pense avoir ainsi encerclé le massif du haut bassin de la Weser qui lui donne tant de soucis.
L’année suivante, en 776, le roi est de nouveau appelé en Italie où il va guerroyer deux années de suite. Il sera de retour à Paderborn â la fin de l’été 777.
LE CAMP DE PADERBORN
En septembre 775, les premiers aménagements de Paderborn sont achevés; c’est encore une installation précaire que nous pouvons imaginer comme suit: au centre, nous trouvons un réduit rectangulaire d’une superficie inférieure à deux hectares entouré d’une palissade de bois et d’un profond fossé. C’est un refuge pour 1.500 à 2.000 hommes avec les chevaux. A l’extérieur se trouvent les cantonnements, les écuries, les granges, bâtiments rapidement réalisés avec ossature de bois et couverture de roseaux. Cet ensemble est également cerné d’une palissade rectangulaire mais plus légère. La surface ainsi fermée doit représenter 8 à 12 ha.
Le site connaît sa plus grande activité militaire au cours des dix années qui vont suivre, 775/785. Le réduit demeure inchangé mais les casernements et magasins se développent considérablement. En phase finale, vers 785,il doit servir de base à 6 ou 10.000 hommes et couvrir une superficie de 25 à 30 ha. Ensuite, sa fonction militaire décroît. Une petite abbaye se fixe à côté du réduit et la grande enceinte devient une cité pour les auxiliaires et les colons francs suivant l’armée. Au milieu du IX°s., c’est une agglomération ordinaire qui se développe de manière ouverte et c’est cette expansion qui sera comprimée par l’enceinte ovoïde du IX°s., établie face à la menace des Danois et des Wikings.
LE MASSIF CONCERNE
L’ensemble des terres concernées par ces premières campagnes carolingiennes en Germanie est vaste mais inégal. Nous le dirons limité à l’ouest par le cours du Rhin, au sud par celui du Main, à l’est par les terres dites de Haute Saxe qui se développent autour de Leipzig et de Magdebourg enfin, au nord, il donne sur la Westphalie et les plaines septentrionales. Là le massif se trouve prolongé par le Teutoburger Wald, ensemble montagneux et boisé de faible hauteur mais bien caractérisé qui avance, tel un coin, dans les plaines du nord. De ce massif partent de nombreux petits cours d’eau mais, pour l’essentiel, il s’agit du haut bassin de la Weser et de son affluent, la Fulda. La majorité des terres se situe entre 200 et 500m avec quelques gros massifs dans la tranche des 500 à 1.000m. Au sud, la chaîne du Taunus (sommet 880m) au centre les monts du Rothaar (sommet 814m) et, à l’est, l’Oberharz (sommet 1142m). Vallonné et drainé de multiples petits cours d’eau, ce massif était abondamment boisé sur ses crêtes mais chacune des vallées était favorable à l’exploitation pastorale et l’habitat s’était donc concentré dans ces dépressions où se trouvaient bon nombre de petites fermes et de hameaux, tandis que quelques bourgades marquaient les lieux de convergence économiques. Ces espaces n’étaient pas fermés par principe mais, à cette époque, les péripéties de l’histoire ne les avait pas encore concernés et leur existence se déroulait dans un isolement relatif.
A l’époque romaine, les forces stationnées à Mayence se méfiaient des mauvaises surprises pouvant déboucher du Taunus et la frontière marquée par des camps de cohorte et des tours de guet fut portée sur les hauteurs et doublée d’une vaste étendue déboisée, là se trouvait le camp de Saalburg. Enfoui sous la végétation il sera dégagé puis reconstruit au siècle dernier. Au nord, les forces romaines avaient occupé une vaste frange de la Westphalie mais les manières brutales d’un général venu d’Orient, Varus, avaient engendré un grave mécontentement et une révolte larvée. Arminus, un ancien légionnaire déserteur rassemble les insurgés pour en faire des combattants bien entraînés. Avec ses faibles forces il va harceler l’armée romaine mais sans pouvoir la vaincre. Finalement Arminus décide de simuler un repli général et entraîne ainsi une légion de Varus dans le sombre massif du Teutoburger Wald où le terrain lui est favorable et les Romains en mauvaises conditions tactiques sont écrasés: c’était en l’an IX après J-C. Les rares survivants racontent le cauchemar et Rome décide d’abandonner définitivement la rive orientale du Rhin. Les habitants du massif ont donc une illustre renommée guerrière.
LES POPULATIONS
Les superficies concernées représentent 25.000 km2, soit 2.500.000 d’hectares dont une forte partie demeure couverte de forêts, 1.000.000 d’hectares de pâturages semble une bonne proportion pour cette époque, ce qui peut faire vivre 150.000 à 180.000 individus compte tenu des bonnes densités d’occupation que l’on peut trouver dans les vallées. Cette population doit, logiquement, dégager 30.000 hommes de 18 à 40 ans susceptibles de combattre mais les jeunes guerriers qui mènent l’action ne dépassent pas le chiffre de 5 à 7.000 combattants. mais ils sont sans organisation tactique, sans discipline d’ensemble et leurs chances de vaincre sont pratiquement inexistantes d’autant que Charlemagne est capable d’un acharnement sans limite.
Cette population est-elle saxonne comme les chroniqueurs nous l’affirment? C’est peu probable. Ce fut pour eux comme une appellation générique admise en pratique. Ces gens étaient-ils hostiles aux Francs? Par principe, non et le mode d’agriculture de ces derniers avait largement pénétré le massif par la vallée de la Lahn notamment. Les notables craignaient surtout l’action bénédictine et toute la population va se mobiliser face à la brutalité dont fait preuve l’armée fanque. Dans leur action ils seront soutenus par les populations essentiellement saxonnes du littoral comme ces dernières le seront par les Danois lorsqu’ils se trouveront à leur tour en première ligne, directement concernés par la poussée carolingienne.
De son côté, Charlemagne n’imagine pas s’engager dans une longue -guerre d’anéantissement menée sur un terrain difficile. Cette action demanderait plusieurs années d’effort et serait très coûteuse en hommes. Ainsi les escarmouches continuent mais chacun pense à une sortie honorable.
En quelques années, Witikind est devenu le personnage le plus représentatif de cette région et l’histoire en fera un roi saxon. Il réside à Enger au centre du massif du Teutoburger Wald. Son domaine est constitué d’un ensemble circulaire (un ring) dont le dessin se maintiendra au cours des siècles. C’est lui qui prend contact avec Charlemagne et les deux hommes parviennent bientôt à un accord dont les points essentiels sont la totale soumission et la conversion sincère des Germains. Ceux-ci acceptent le premier point, se disant que la roue de l’Histoire ne cesse de tourner mais le second est plus délicat. Abandonner ses croyances ancestrales représente â cette époque une rupture profonde et irrémédiable avec les fondements de la société et c’est sans doute ce qui coûtait le plus aux Germains. L’appréhension était particulièrement grande chez les nobles et les cavaliers qui s’appuyaient sur les convictions religieuses pour gouverner mais la majorité d’entre eux pensent à leur famille et acceptent ce déchirement. En 785, les conditions franques sont finalement acceptées par les peuples du bassin de la Weser et Witikind qui s ‘était proclamé roi saxon, sans doute pour avoir plus de poids dans les négociations, donne l’exemple en se faisant baptiser honnêtement et sans arrière pensée. Après que Charlemagne qui se dit sont parrain l’ait conduit sur les fonds baptismaux, il fera construire une église dans son domaine dans laquelle il sera inhumé. Son sarcophage est toujours en place dans un édifice du XIV°s.
L’homme était-il un Saxon? Le ring qui lui servait de demeure peut le faire penser mais les habitants du massif qui venaient de subir cinq à sept années de suite les incursions franques avaient aménagé de nombreux hameaux en points d’appui et le plan circulaire convient parfaitement dans ces conditions.
C’est finalement l’assemblée d’Attigny dans les Ardennes qui confirmera la conversion des Saxons. Un grand nombre de guerriers sera ainsi transporté au sein d’une population chrétienne qui les accueille avec bienveillance. La bonne image de cette religion inconnue qu’ils découvrent leur donne confiance, et les conversions d ‘Attigny seront sincères et durables.
LES CAMPAGNES DE 786/787
Après les conversions de masse concédées en 785, les populations du massif semblent soumises et résignées mais il est au nord une vaste région qui n’a toujours pas vu un soldat carolingien; c’est la plaine septentrionale qui deviendra la province de Westphalie, ainsi qu’une large frange littorale où mer et terre se confondent. Voyons d’abord les terres dites de Westphalie.
Soumises sans coup férir par les Romains, les populations ont marqué un temps de réflexion puis les brutalités de Varus ont engendré une levée de boucliers et la formation d’une petite armée surprise de sa victoire et plus surprise encore de voir les Romains plier bagage sans insister; c’est un fait rarissime dans l’histoire de l’Empire. Après le départ des légions, qui ont franchi le Rhin pour se fortifier sur l’autre rive, les habitants de la province reviennent vers le fleuve et quelques décennies plus tard, les violences oubliées, ils commercent avec leurs frères devenus “romains” avec satisfaction apparemment. Les échanges reprennent entre les deux rives. Si Rome avait mieux choisi ses généraux et surtout mieux surveillé leurs agissements, comme le faisaient les Sénateurs au temps de la République, le cours de l’Histoire aurait été bien différent.
Au Ter puis au 1Ième siècle, la Westphalie devient l’aboutissement d’un cheminement qui parcourt la grande plaine septentrionale pour aboutir au pont de Cologne. Là, marchands, émigrants et travailleurs saisonniers accèdent au monde romanisé. Les contrôles sont peu rigoureux, c’est au règne de Constantin que l’on verra surgir la grande forteresse de Deutz destinée à filtrer les passages. Entre temps, les habitants de Westphalie, entraînés par des cavaliers que l’on disait Francs, vont participer aux grandes invasions de la période 250/275. Cependant ils se contentent d’occuper quelques bonnes terres sur l’autre rive ou ils rentrent chez eux avec le fruit de leur pillage. Leur caractère ne les incite pas â s’organiser politiquement afin de former une nation avec un roi, une dynastie, comme l’ont fait leurs voisins francs.
A la fin de l’Empire, les chrétiens s’installent à Cologne et les plus intransigeants refusent de côtoyer les Westphaliens sous prétexte qu’ils demeurent payens. Ces derniers se tournent alors vers la Germanie et s’intègrent dans un système économique spécifique où leur petite production céréalière est très appréciée. De toute manière, l’Occident chrétien est en crise et les échanges avec lui manquent d’intérêt.
Trois siècles se passent. Le Rhin est devenu une frontière, terme que les Germaniques ne connaissent pas, chez eux une limite d’influence suffit à marquer les territoires. Vers la fin du Mérovingien, les Austrasiens occupent une bande de terre située au-delà du fleuve et Willibrord y installe ses missionnaires. Ils sont apparemment bien acceptés et le Rhin retrouve ses caractères de grande voie économique; c’est profitable pour tous. Mais les Frisons intransigeants saccagent les établissements chrétiens d’Utrecht, les Francs interviennent en armes, la Westphalie se met sur ses gardes et l’arrivée de Boniface sur le siège épiscopal de Cologne n’arrange pas les choses. Pour les catholiques, ce moine anglo —saxon venu d ‘Outre Manche est un Saint, mais sur l’autre rive du Rhin, chacun devait se dire “qui nous débarrassera de ce prétentieux venu mettre en cause dix siècles de traditions et de religion germaniques?” Pour conter l’histoire avec équité, il ne suffit pas de plonger dans les archives du vainqueur il faut également se faire l’avocat des vaincus.
En 772 et 775, les Westphaliens assistent à la marche des Carolingiens dans le bassin de la Weser mais, persuadés qu’ils resteront en dehors du conflit, ils n’organisent pas leur défense. Les campagnes de 786 et 787 menées sur leurs terres vont les surprendre et se déroulent sans grandes batailles rangées. La première est d’avantage dirigée vers les terres frisonnes et la seconde traverse le pays en force pour atteindre le cours de la Weser. Ensuite elle remonte vers le nord, vers cette frange littorale difficile d ‘accès aux Francs qui ne possèdent pas d’embarcations. Ainsi le partage se fait. La Westphalie devient terre carolingienne sans trop de dommages pour elle et le développement économique qui marque le début du IX°s. lui sera profitable.
La frange littorale maintenant isolée voit son économie perturbée faute d’échanges avec l’intérieur. Les populations se replient sur elles—mêmes puis s’allient avec les voisins: Saxons, Angles et Danois. Mais cette confédération demeure tout aussi pauvre. La pénurie de céréales est toujours grande sur les côtes de la mer du Nord. L’esprit des invasions normandes va bientôt germer sur cet état de crise économique.
Avec la campagne de 787, s’achève la première période des guerres carolingiennes en Germanie. Cependant la vallée de l’Elbe, le coeur du pays saxon, est toujours inviôlée, invaincue, et contrairement à ce que pense Charlemagne, la population ne se juge pas concernée par la reddition dc Witikind. La conquête de la seule rive occidentale de l’Elbe demandera neuf années aux Carolingiens malgré une puissance militaire qui ne cesse de croître.
L’occupation de la région de Paderborn, ainsi que les campagnes de 886/887, imposent à Charlemagne d’abandonner la Franconie comme base stratégique. Pour se rendre sur ce nouveau théàtre d’opérations il doit gagner Cologne par Tongres et Maastricht puis traverser le Rhin et atteindre la Westphalie en longeant la Rhur puis en franchissant la Lippe. Il veut une résidence sur cette nouvelle voie: ce sera Aix— la Chapelle. Les travaux commencent en 790.
LA CUVETTE DANUBIENNE
Dès 790, le grand royaume franc acquiert une notoriété certaine. A Byzance, où l’aristocratie et l’église n ‘avaient que mépris pour les barbares du septentrion, la diplomatie admet qu’une alliance avec cette puissance montante permettrait de mieux contenir les pressions qui s’exercent sur les frontières de l’Empire. Sur la côte Dalmate les Byzantins contrôlent encore quelques ports dont Zara et Spalato où se trouve le grand palais de Dioclétien, ils possèdent également une enclave dans la région de Venise mais les pirates barbaresques sillonnent l’Adriatique et les liaisons avec ces possessions deviennent délicates. La marine d’Empire n’a pu empêcher les Musulmans d’occuper quelques petites îles d’où ils capturent les bateaux marchands navigant isolément. Les liaisons avec les possessions du golfe Adriatique se font donc par convoi protégé longeant la côte au plus près.
D’autre part, la route du Danube est difficilement praticable. Là, les cavaliers avars rançonnent les bateaux marchands circulant sur le grand fleuve s’ils ne les capturent pas, tout simplement. Quant â la voie romaine qui longe la rive droite, elle est devenue si peu sure qu’il faut la considérer comme impraticable.
Les stratèges byzantins réfléchissent à cette situation et se rallient à une conclusion simple: les Francs ne sont pas des marins on ne peut compter sur eux pour construire une flotte et dégager les îles méditéranéennes, par contre, ils semblent posséder une très puissante armée. Il faut donc les inciter à intervenir dans la cuvette balkanique pour anéantir la cavalerie avar et dégager ainsi le tronçon de voie danubienne situé entre les Portes de Fer et Bude (Obuda). C’est là que doit porter l’action carolingienne, pour la plus grande gloire de Charles mais surtout pour le service des intérêts byzantins.
Les tractations diplomatiques se développent entre les deux grandes puissances chrétiennes du temps. Charlemagne toujours féru de romanités se laisse séduire par les flatteries des Orientaux. Comme le roi franc caresse le vaste projet de réunifier la chrétienté comme au temps de Constantin, les attentions de Byzance à son égard sont pour lui de bonne augure. L’expédition dans la cuvette danubienne est programmée pour l’année 795.
UNE GUERRE D’USURE
Dès 776, les défenseurs du Massif perçoivent leur isolement. La marche de Westphalie et la solide base de Paderborn rendent précaires les communications avec les plaines du Nord. Difficile de s’y réfugier en cas de poursuite et peu de chance d’obtenir des approvisionnements et des renforts. Les quelques 5 à 7.000 activistes qui entretiennent la résistance voient la population échapper à leur contrôle et s’orienter vers une capitulation. Ils envisagent alors une action de dégagement mais elle doit venir des forces du nord. Witikind personnage noble résidant au coeur du Teutoburger Wald prend l’affaire en mains et voyage afin de lever des contingents. Il contacte les nobles de Westphalie, de Saxe et même du Danemark et obtient des réponses favorables. L’idée d’une intervention est admise reste à choisir le moment le plus favorable.
En 778, les armées carolingiennes sont parties guerroyer dans la lointaine Espagne et les garnisons laissées sur place sont de nouveau harcelées par les guerriers descendus du .Massif. C’est l’instant propice. Avec 8 à 12.000 hommes d’origine diverses rassemblés sur son territoire à Anger, Witikind tombe par surprise sur le camp de Paderborn tenu par 1.500 à 2.000 soldats au mieux. Les défenseurs ne peuvent tenir la grande enceinte et se replient sur le refuge qui doit résister mais toutes les installations externes seront brûlées. Après cette victoire, les bandes germaniques marchent vers l’Ouest et menacent même la vallée du Rhin. Les autorités locales lèvent des contingents pour parer au danger mais les Germains sans organisation, sans programme, ne font que passer et brûler puis se replient en fin de saison. L’étreinte qui pesait sur le Massif est maintenant desserrée.
En 779, Charlemagne revenu d ‘Espagne dégage Paderborn et relève les ruines. Persuadé qu’il s ‘agit d’une action menée par des contingents saxons venus du Nord, il lance une expédition punitive en profondeur. Elle semble atteindre Bucholz près de l’estuaire de l’Elbe. Les Francs remportent là une victoire mais l’opération est sans lendemain.
En 780, l’armée franque renforce ses effectifs en place et multiplie les postes fortifiés. Les bandes germaniques n’ont pas l’organisation nécessaire pour les investir et les réduire ce qui donne un autre visage à la guerre. En 781, Charlemagne qui se rend à Rome pense avoir maîtrisé la situation mais 782 lui réserve une mauvaise surprise.
Dès son arrivée à Mayence, Boniface coupe les liens trop étroits tissés entre le Chapitre et la bourgeoisie locale, tente de reprendre en mains les églises du Diocèse et envoie ses moines missionnaires en Germanie profonde. Lui-même part en mission vers la haute vallée de la Weser (A) et fonde l'abbaye de Fulda (B) en 744. Son rayonnement est grand. Trop sans doute pour la petite aristocratie qui juge ce phénomène néfaste et détruit les implantations chrétiennes vers 770/771. En 772, Charlemagne intervient, dégage la région de Fulda ainsi que l'abbaye d'Hersfeld (C) fondée en 768. Les troupes carolingiennes laissées sur place affrontent l'hostilité des tribus locales et mènent des campagnes d'intimidation en profondeur (D,E,F,G). En 779, les Carolingiens pensent avoir pacifié la région.
A cette époque, les permanenets qui occupent les positions fortes ont acquis un entraînement et touché des équipements presque uniformes. Rassemblés en fort contingent, ils sont en mesure de sortir de leur base et de mener des actions en profondeur, voire de soutenir une bataille rangée. Une colonne ainsi formée, comptant de 3 à 4.000 hommes avec de la cavalerie reçoit pour mission de descendre le cours de la Weser et d’installer une base d’opération dans la région de Minden. Il s ‘agit d’isoler le bastion que forme le Teutoburger Wald. Un excès de prudence retarde la marche et les Germains ont le temps de rassembler des forces et de préparer une parade. Les Francs se font surprendre et anéantir au pied du mont Suntel qui se trouve dans les derniers contreforts du Massif, là où le fleuve s’engage dans les plaines septentrionales. Les pertes sont lourdes, de 2 à 3.000 hommes.
A l’annonce de ce revers survenu au printemps 782, Charlemagne décide d ‘intervenir en force. Une troupe de renfort partie de Cologne rejoint Paderborn. Avec 12 â 15.000 combattants, dont un fort pourcentage de cavalerie, il débouche dans la plaine septentrionale en suivant le cours du fleuve. Cette fois encore c’est une expédition punitive qui brûle et saccage tout ce qu’elle rencontre, un mode d’action qui va obliger les Saxons à se rassembler en force pour accepter un affrontement en rase campagne. Les guerriers germaniques qui n’ont pas l’initiative acceptent le combat au confluent de l’Aller près de Verden. Malgré leur supériorité numérique certaine, les conditions d’engagement ne leur accordent aucune chance contre l’armée franque et sa puissante cavalerie. Leur défaite est sans appel et Charlemagne fait exécuter tous les prisonniers, soit 4.500 hommes nous dit la chronique. Ce chiffre peut surprendre mais si les Germaniques se sont fait acculer dans les terres basses du confluent, on peut comprendre que la majorité de ces hommes se soit faite tuer ou capturer, ce qui explique le nombre élevé des prisonniers.
LE ROI WITIKIND
La noblesse et la caste équestre de la basse vallée de la Weser furent horrifiées par le massacre de Verden. Les plus compromis gagnent un refuge sur les terres basses et les îles du littoral, les autres se terrent et se méfient. Ainsi privés d’encadrement la population se démobilise et, pour un temps, le pays se trouve dépourvu de combattants. D ‘autre part, l’ensemble des populations du massif s’interroge. Ils ne peuvent plus compter sur un secours venant du nord et l’occupation des vallées de la Ruhr et de la Lippe leur procure un sentiment d’encerclement. Ils se replient d’avantage sur les hautes terres boisées et s ‘attendent au pire. 783/784 marque un tournant dans les opérations; les Germains ont cessé de croire et d’espérer.
Au Nord des derniers contreforts du Teutoburger Wald, s'étend la grande plaine septentrionale (A) que Saxons et Westphaliens se partagent, au-delà c'est la frange maritime (B) où lès agriculteurs doivent se ménager de petites surfaces protégées des crues et des marées. C'est le domaine des Frisons, des Saxons des Angles et des Danois. En 782, après sa défaite du mont Siintel l'armée carolingienne débouche du Massif (C) et écrase les Germaniques au confluent (D) près de Verden. Avec l'installation d'une position forte à Paderborn en 775 (E), les défenseurs du Massif se voient encerclés et se rendent en 785 (Witikind). En 786, l'armée franque partie de la Marche de Westphalie pénètre en pays Frison (F). En 787, une autre campagne (G) parachève la conquête des terres situées à l'Est de la Weser.
LES AVARS
Depuis leur arrivée en Pannonie à l’époque du Bas—Empire, ces peuples asiatiques de caractère mongoloïde se sont partiellement sédentarisés, les ronds de chariots saisonniers ont laissé la place à des “rings” en dur faits de levée de terre et de palissade de bois. Les troupeaux qu’ils exploitaient naguère en déplacement sont maintenant relativement confinés. Mais la poussée démographique les a incités à occuper les deux rives du Danube, de la Save à la Tiza, ils contrôlent ainsi les voies fluviale et routière joignant les Monts Baconie aux Portes de Fer. Dans cette expansion ils ont repoussé vers l’ouest des peuples slaves (serbes) arrivés dès le ° s. dont les pratiques agricoles étaient incompatibles avec le mouvement des grands troupeaux. Vers l’est, ils se heurtent maintenant à un autre peuple des steppes (non mongoloïdes), les Hongrois, qui lancent leurs incursions vers le Sud menaçant ainsi toutes les liaisons byzantines sur le bas cours du Danube.
Avec une exploitation du sol majoritairement pastorale et la petite agriculture qu’ils pratiquent, les Avars demeurent peu nombreux au km 2. Sur les 70 à 80.000 km 2 concernés, nous estimerons à 40—50% les surfaces de pâturage, soit 3.500.000 ha. Avec 5 ha de pâturage en stabulation libre par tête de bétail nous arrivons à 500/700.000 bûtes à cornes, ce qui permet l’existence de 2 à 300.000 individus. Si cette population met sous les armes la totalité de ses hommes valides de 18 à 45 ans, cela fait 50.000 combattants. Cependant, les Avars n’ont pas connu d’adversaires depuis de longues années et seule une partie des jeunes de 18 à 25 ans cultive encore le goût des armes et de l’aventure à cheval, ce sont donc moins dc 10.000 combattants qui vont recevoir l’assaut des forces franques arrivées par surprise. Le reste de la population masculine sengagera par petits groupes pour la défense du terroir. Ces conditions assurent aux 20 à 25.000 hommes amenés par Charlemagne une confortable supériorité ponctuelle.
LES CAMPAGNES DE 795/796
Au printemps 795, Charlemagne rassemble une armée composée de forts contingents prélevés en Germanie auxquels se sont joints des Frisons et des Bavarois. Cette force comptant de 15 à 18.000 hommes suit la vallée du Danube tandis que Pépin, roi d’Italie, met sur pied une force de 4 à 6.000 hommes qui partira du Frioul pour engager les Avars sur les rives de la Save et de la Draye. Ce tracé correspond à l’ancienne voie romaine.
Surpris par les Francs qui les engagent en tenaille, les Avars tentent de résister mais en vain. Après quelques engagements à leur désavantage, ils refluent en désordre, les rings qui tentent de résister sont rapidement submergés, pillés et brûlés. Le grand ring du roi, le Khan ou Khagan, est pris d’assaut par les forces de Pépin, il sera pillé mais sauvegardé. Les acquis territoriaux de ces deux campagnes semblent considérables mais la plus grande part des guerriers s ‘est repliée vers le Nord/Est, vers les Carpathes où les Hongrois ont entrepris leur installation.
Pour protéger leurs possessions de la mer Egée, les Byzantins avaient porté leur garde sur le Danube, et les voies venant de Tome (A) et de Saloniquc (B) leur assuraient un accès à l'Adriatique (C). Mais à l'époque carolingienne, la route danubienne est coupée par les Avares (D) installés en Panonie (E). En brisant la puissance de ces derniers, l'armée franque (F) dégage les liaisons byzantines du moyen cours du Danube (G,H). La donne est changée: les Magyars s'imposent au nord (J), les Slaves reprennent leurs infiltrations (K) et bientôt d autres peuples venus d'Ukraine entrent en scène (L) pour former la grande Bulgarie.
Fin 796, les populations civiles restantes se soumettent sans difficulté. Pour l’heure, la domination franque est reconnue mais il serait puéril de tracer une frontière d’Empire englobant ces terres danubiennes. La victoire sur ces peuples a surtout servi les Byzantins qui peuvent à nouveau naviguer sur le Danube, ce qui était semble—t—il l’objectif, puisque Charlemagne caresse le projet de construire un canal reliant le Rhin au Danube. Avec les moyens du temps c’était une pure utopie mais ceci prouve que la navigation avait repris en toute quiètude sur le grand fleuve balkanique. La route romaine qui le longe sur sa rive droite était également exploitable pour les voyageurs, les marchandises. Ce sera deux siècles plus tard le chemin des croisades. Cette action contre les Avars a brisé leur agressivité et servi les Hongrois qui deviendront au siècle suivant une sérieuse menace pour I ‘Occident.
La chronique du temps nous dit que Charlemagne s’est emparé du trésor des Avars, richesses immenses puisque quinze chars à boeufs furent nécessaires à son transport. Il y avait là une bonne part du butin acquis chez les Byzantins au cours des raids des siècles passés et sans doute une part du tribut régulier que l’Empire payait aux Barbares. Les métaux précieux serviront aux orfèvres de la cour mais parmi les objets d’art bon nombre seront distribués aux abbayes servant de gîte au souverain. L’influence byzantine que connaissent l’orfèvrerie et l’iconographie carolingienne et romane ne sont sans doute pas étrangères à la diffusion de ce trésor.