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Portes
Pourquoi vouloir franchir un mur afin de pénétrer dans une cité puisqu'il y a des accès prévus à cet effet? Cette évidence n'échappe à personne. Ainsi les premiers assauts sont généralement menés contre les portes avec, si possible, le bénéfice de l'effet de surprise et ce sont elles qui seront fortifiées avec le plus grand soin.
A l'origine, l'accès est une simple ouverture en plein cintre aménagée dans le mur avec une lourde porte de bois barrée d'une forte poutre. L'assaillant qui veut la forcer peut tenter de la faire brûler à l'aide d'une charrette de fagots enflammés, mais la combustion est longue, ce qui donne aux défenseurs le temps d'intervenir, d'arroser le brasier et de doubler la porte d'un remblai de pierres. Par contre, le bélier, un petit tronc d'arbre garni de poignées de corde permet d'enfoncer l'obstacle rapidement en profitant de l'effet de surprise sans laisser le temps de la parade aux défenseurs.
Pour mieux contenir ces actions, il est possible d'insérer la porte dans une tour rectangulaire. Les défenseurs placés au sommet ont une meilleure vue et une plus grande efficacité de tir sur l'assaillant. Ils sont ainsi moins sensibles à la chaleur de la charrette enflammée. D'autre part, le revers de l'ouvrage permet d'aménager une seconde porte ou bien une clôture de rondins que l'on abat de l'intérieur de la tour: c'est l'origine de la herse. Enfin, ceux qui manœuvrent le bélier sont en toutes conditions plus exposés aux coups des défenseurs.
Mais, tous ces moyens peuvent être pris en défaut. Il suffit d'aborder l'ouvrage avec un chariot, de bonnes intentions apparentes et des armes cachées. Le véhicule va bloquer la porte tandis qu'une poutre rapidement mise en place maintiendra la herse sur sa glissière. Les assaillants sortent alors leurs armes et vont tenir la brèche suffisamment longtemps pour permettre l'arrivée des renforts cachés à proximité.
Contre cette astuce banale, il faut installer une double porte fonctionnant en alternance. La première est ouverte, laisse passer le chariot tandis que la seconde reste fermée. Le véhicule et ses occupants seront fouillés. Après contrôle la première porte sera fermée et la seconde ouverte, mais pour cela il faut le volume d'un attelage à quatre chevaux, soit 10 m environ ce qui donne l'échelle de la tour. Ainsi mieux vaut imaginer le volume de contrôle en dehors de l'ouvrage: c'est la barbacane. Au plus simple, elle est constituée d'un enclos capable de recevoir deux chariots, l'un sortant, l'autre rentrant, soit une surface de 5 m x 10 m, entourée d'un mur annexe de 18 à 20 pieds de haut, avec une courtine pour les gardes. Tel est l'ouvrage conservé à York, en Angleterre.
Cependant, le procédé ralentit considérablement les entrées et sorties et représente les jours de marché un handicap pour l'économie urbaine. C'est le cas de toute opération de police non ciblée qui pénalise 99 % de gens honnêtes pour piéger un mal intentionné. Afin d'éviter ces contraintes, il faut imaginer une grande barbacane capable d'enfermer une dizaine de chariots, plus de 100 personnes et pratiquer une sélection à vue. Les gens connus, identifiés, passent les premiers tandis que les suspects potentiels sont maintenus à l'écart pour contrôle plus approfondi. Admettre un délit de "sale tête" n'est pas un phénomène contemporain.
Parmi les plus illustres barbacanes, citons celle construite par les romains, au temps de Constantin, sur la rive est du Rhin face à Cologne, aujourd'hui le faubourg de Deutz. Elle était destinée à contrôler la grosse masse des émigrants venant de Turinge et des rivages du sud de la Baltique. Anciennement route commerciale qui avait servi l'économie de l'Empire, elle canalisait alors un flux migratoire inquiétant et les contrôles étaient sévères. Cette forteresse formait un rectangle de 3 ha, environ, cerné de murs de 20 m de haut et de 4 m d'épaisseur, ponctués de 18 tours hautes de 26 m et d'un diamètre supérieur à 12 m. Plus au sud, dans le pays Franconien, les habitants beaucoup mieux intégrés à la société romaine participaient au filtrage naturel des émigrants afin de préserver leurs privilèges acquis de longue date.
Au Moyen-Age, la cité de Carcassonne, conquise par les Croisés du Nord, fut transformée en puissante place forte. Elle avait cependant conservé une part de sa population languedocienne et la garnison se sentait peu rassurée. L'accès à l'agglomération haute se faisait alors par la puissante porte narbonnaise, facilement défendable de l'intérieur comme de l'extérieur, et le contrôle des populations en déplacement journalier était pratiqué dans une grande barbacane en hémicycle. Le même dispositif se retrouvait à l'accès du château, côté cité.
A Carcassonne, il existait un ouvrage particulier dénommé "Barbacane d'Aude". C'était une grande construction circulaire de plus de 26 m de diamètre avec des murs hauts de 24 à 30 pieds. Installée au pied du château côté de l'Aude, d'où son nom, elle était destinée à filtrer les arrivants venant de la vallée et de la ville nouvelle, mais sa situation sur un lieu riche en sources semble montrer que sa fonction première était l'alimentation en eau de la cité haute en cas de siège. Dans ses dessins, Viollet le Duc, l'a imaginée semblable à celle de Montreuil-Bellay.
Les programmes classiques
Les XI0 et XII° furent le temps des choix et des expériences. Certains désiraient préserver une cité forte en guise de refuge et établir une protection plus sommaire autour des installations artisanales environnantes. D'autres préconisaient une défense unique, plus puissante, ceinturant ce qui était considéré comme essentiel. Enfin, fallait-il développer l'ouvrage à l'extrême ou bien se contenter d'une construction modeste et jouer sur le registre politique, souscrire des allégeances pour bénéficier d'une protection tout en organisant une puissante milice de ville. C'est au XIII° que le choix se fera. Les courtines seront d'importance moyenne, les portes nombreuses et l'espace protégé suffisamment grand pour enfermer les trois domaines d'activité nécessaires à l'économie.
La politique choisie est alors la suivante: Nulle ville ne peut échapper aux grands systèmes politiques qui se mettent en place et mieux vaut traiter avec ce phénomène que de l'affronter, mais il ne faut pas subir avec trop de passivité. La plupart des guerres se limitent alors aux affrontements opposant les têtes couronnées et les valeurs économiques jugées comme un patrimoine de la couronne étaient généralement préservées.
La ville tient compte de ses impératifs économiques et préserve suffisamment d'espace pour un bon fonctionnement de son commerce, de son artisanat et de la pré-manufacturation tout en rationnalisant l'occupation des espaces. La muraille va donc englober les faubourgs tout en les obligeant à se concentrer.
Le mur construit selon un programme rigoureux file en droite ligne sur de grandes distances. La hauteur moyenne est de 24 à 30 pieds avec une épaisseur de 6 à 10 pieds, ce qui permet un chemin de ronde dallé et supprime probablement les hourds en bois d'un entretien trop fastidieux. Les tours sont peu nombreuses afin de ne pas devenir les repaires de la soldatesque incontrôlée. Les portes doivent protéger sans contraindre les activités économiques; elles seront donc nombreuses et de peu d'importance. L'accès à l'intérieur d'une tour rectangulaire sera conservé aux endroits peu pratiqués tandis que sur les grands axes le choix se portera sur l'accès encadré de deux tours rondes. La herse se généralise, mais seuls les ouvrages importants sont dotés du pont-levis, système nouveau et très efficace. En cas de menace, les petites portes sont condamnées et la rampe d'accès qui franchit le fossé démontée ou détruite.
La paix sociale est relative et les barbacanes disparaissent. Dans les grandes villes la population toute entière participe alors aux actions de police. Cette période faste du Moyen-Age s'achèvera avec la première moitié du XIV°.
Le jeu politique
Les engagements politiques auxquels se livrent les cités sont nombreux et subtils. C'est le potentiel économique qui fait vivre la ville et ce sont les commerçants qui le gèrent. Ils doivent donc se protéger sur deux fronts, intérieur et extérieur. Eviter d'abord l'implantation intra-muros d'une caste féodale qui prélèverait des charges indues et risquerait d'entraîner la ville dans des opérations militaires coûteuses et dangereuses. C'est donc un conseil de bourgeois qui détient le pouvoir de fait mais il est souvent tiraillé entre divers partis et le maître à penser, l'arbritre, c'est généralement l'évêque, parfois d'origine bourgeoise ou bâtard d'une illustre famille. Pour être promu à sa fonction, il a du choisir le parti de la cité tout en respectant les intérêts de l'église et pour cela jouer le rôle de médiateur entre l'ambition des riches et la défense des petites gens. Mais, dès le XII0, ils seront parfois liés également aux grand ordres monastiques ou au pouvoir pontifical ce qui complique la situation.
A cette époque, dans la vallée du Rhin, les évêques des vieilles cités du Bas-Empire s'engagent souvent dans la politique interventionniste de Rome ce qui déplaît au pouvoir impérial. Ce sera d'abord la querelle des Investitures puis les heurts entre les partisans du Pape et l'Empereur, Guelfes et Gibelins. Et, dans ces querelles, Métropoles et petites cités doivent choisir. Les grandes agglomérations sont plutôt tentées par le parti pontifical tandis que les bourgades choisissent souvent le clan de l'Empereur pour marquer leur indépendance face à la métropole mais parfois les deux partis s'affrontent au sein même de la ville. C'est un jeu bien dangereux. Les petites villes se fortifient avec l'aval de l'Empereur et peuvent ainsi jouer une carte régionale ce qui est souvent préjudiciable à l'économie, tandis que l'Empire qui a acquis des pions peu dociles est frappé d'impuissance.
En pays de France, les villes tentent d'échapper aux structures internes trop oppressantes et dont souvent l'évêque fait partie. Le jeudi 25 avril 1112, les petits commerçants et artisans de Laon s'insurgent contre leur seigneur-évêque, le fameux Gaudri, qui vient d'annuler la charte qui leur a été octroyée. Les émeutiers vont brûler la maison du trésorier du chapitre et le feu gagne bientôt la cathédrale romane toute proche. Ainsi, mieux vaut obtenir cette charte du roi un pouvoir en formation, encore peu oppressant. Les bourgeois offrent les clés de la cité au monarque qui parlera dès lors de sa bonne ville. La formule est satisfaisante mais, dès le XIV °, les heurts entre têtes couronnées prennent une telle importance que certaines villes engagées sous la couronne regrettent la tutelle de l'évêque et la relative indépendance politique que cela donnait. Les sociétés ont tendance à rechercher un point d'équilibre entre les phénomènes de flux et de reflux engendrés par les jeux de la politique.