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Saint-Germain-des-Prés
L'état de la cité des Parisi au Bas-Empire est très incertain. Au XIX°, il était admis avec De Pachtére que la totalité de l'agglomération se trouvait concentrée sur l'Ile de la Cité tandis que la rive gauche était à nouveau occupée par des jardins et des pâturages. C'était faire peu de cas des ruines de l'agglomération romaine. Avec les travaux de Roblin, puis ceux contemporains de Fleury, les images ont changé. A l'époque mérovingienne, vers 500, la Cité contient certes les notables et les riches marchands ainsi que les instances civiles et religieuses, ces dernières liées au chapitre de la cathédrale, par contre, les Nautes ont repris leur commerce et toutes leurs installations sont implantées à cheval sur les deux digues romaines. C'est le quartier de Saint-Denis. D'autre part, commerçants et artisans ont repris possession des ruines de la ville antique avec, pour lieu de refuge, l'ensemble du forum mis en défense. Cette articulation du Paris mérovingien sera confirmée dès 600 avec les nombreux lieux de culte de la rive gauche alors institués en paroisse. M. Fleury estime la population des trois unités à 20.000 personnes environ; c'est probable.
C'est l'évêque Germain qui a la charge de cette agglomération tricéphale lorsque Childebert, fils de Clovis, lui apporte d'Espagne la tunique de Vincent, diacre de Saragosse martyrisé sous le règne de Valère. Childebert arrive à Paris en 542 et le présent qu'il fait à Germain est sans doute destiné à lui assurer un certain droit de cité mais ce sera en vain. Les bourgeois n'aiment pas plus les reliques que les monarques et Germain doit installer le présent qui lui est fait dans une fondation située à l'ouest de l'ancienne ville romaine. Elle se trouve en bordure des pâturages qui s'étendent sur la dépression de Grenelle, d'où le nom donné ultérieurement à la fondation mais, pour l'heure elle est dédiée à saint-Vincent.
Ce faisant, le chapitre de la cathédrale croit s'assurer une position sur la rive sud dans le domaine des paroisses mais l'abbaye deviendra totalement indépendante de l'évêché dès la prise en mains des bénédictins, mais surtout grâce au changement de caractère discrètement mis en place par les Carolingiens. Il n'est plus profonde mutation que celle qui chemine par le bas et ne laisse aucune trace écrite.
Si l'on se réfère à nos découvertes archéologiques faites en d'autres lieux, l'abbaye est alors formée d'un vaste quadrilatère, d'un hectare environ. L'espace cerné d'un mur modeste abrite trois lieux de culte, des cellules, une infirmerie et une hostellerie, vaste salle commune avec table ouverte pour les voyageurs et pèlerins. C'est là également que les habitants du quartier et les agriculteurs de la dépression de Grenelle trouvent les secours de la religion et les services que l'église a pris en charge. Mais si le domaine est vaste, la maison est bien pauvre. Comme dans les auberges espagnoles du siècle dernier, les habitants des environs ne trouvent là que ce qu'ils ont apporté, un peu moins même, il faut bien que les moines vivent. L'église majeure qui abrite la sainte relique venue d'Espagne est achevée en 558 et sur les siècles qui vont suivre, Saint-Germain des Prés demeure une fort modeste fondation.
Nous n'avons aucune information sur les édifices qui vont se succéder de 558 à l'an 1000 mais l'époque carolingienne a sans doute concentré les activités religieuses à l'intérieur d'une église plus importante et la nef actuelle a peut être repris les fondations de cette dernière. L'abbaye sera plusieurs fois saccagée par les normands mais la période est trop pauvre pour qu'un nouveau programme soit envisagé. On restaure, on relève tant bien que mal les murs existants.
Les nouveaux travaux d'importance se situent aux abords de l'an 1000 mais quelle est la nature de la campagne menée à cette époque? Les avis sont partagés. L'hypothèse d'une abbatiale entièrement reconstruite de 990 à 1021 n'est guère satisfaisante. Une campagne menée méthodiquement n'aurait certainement pas abouti à une composition aussi disparate ou nous trouvons une tour occidentale désaxée par rapport à la nef et sans liaison régulière avec elle, puis une nef apparemment régulière et enfin un chevet avec abside et absidiole désaxé, gauchi et de surcroît fondé sur un entraxe plus large. De coutume c'est l'abside qui est légèrement en retrait par rapport au volume de la nef. Nous avons là trois parties de programmations différentes, c'est certain et, dans ce cas, le plus logique est de considérer clocher et chevet venus "s'accrocher" sur une nef relevée rapidement sur ses fondations anciennes. Mais il est bien peu probable que ce soit l'édifice que nous voyons aujourd'hui. Ses caractères sont plutôt milieu XI°.
Nous proposons donc l'enclenchement suivant. Vers 990, la nef carolingienne est remise en état. Vers l'an 1000 la tour occidentale est fondée en avant de cette nef mais sans liaison fonctionnelle avec elle. C'est un accès monumental aligné sur le mur d'enceinte et lié à des bâtiments annexes. Enfin, vers 1010/1020, l'abside carolingienne est remplacée par l'ouvrage dont les fondations ont été découvertes au siècle dernier. Il comporte une grande abside non voûtée avec partie droite et deux absidioles avec partie droite également, ces dernières étant probablement voûtées. Ces travaux furent l'œuvre de l'abbé Morard. Enfin, vers 1040/1050, la nef et les croisillons actuels tentent de lier, au mieux, tour occidentale et chevet antérieur mais l'ouvrage qui reprend les alignements et fondations carolingiens reste maladroitement lié à la tour et doit se raccorder à l'ancienne abside par une croisée de plan trapézoïdal.
Cette nef du XI° que nous voyons aujourd'hui avec un voûtement sur croisée d'ogive curieusement réalisé en pleine période renaissance est une oeuvre dont le caractère s'écarte déjà résolument du parti basilical de l'an 1000. Les belles archivoltes en plein cintre reposent sur des piles rectangulaires flanquées de deux colonnes engagées. La première composition de ce genre, bien datée, se trouve à l'abbatiale de Bernay, en Normandie, édifiée vers 1040. De surcroît ses piles sont flanquées de structures perpendiculaires formées de colonnes engagées, l'une, côté nef, faisant office de raidisseur et la seconde, vers le bas-côté, sans doute destinée à porter un arc diaphragme qui trouve colonnes et piles engagées sur le mur extérieur. Cette fois la composition nous donne, sans équivoque, milieu du XI°. L'unité des supports fut parfois mise en cause et les structures perpendiculaires attribuées à une reprise d'une date indéterminée. Même si ce fut le cas, la période probable demeure 1040/1080.
Le Chevet
Avant l'ouverture du chantier de Notre-Dame, Paris avait déjà apporté une contribution intéressante à cette architecture nouvelle dite gothique. Vers 1130/1140, l'abbatiale Saint-Martin des Champs reçoit un vaste chevet avec déambulatoire, coiffé de voûtes d'arêtes portées par des arcs brisés et nous ne pouvons faire référence à aucune oeuvre existante qui lui soit antérieure. Par contre, le nouveau chevet de Saint-Germain des Prés, consacré en 1163 et sans doute entrepris vers 1150, se place sur la période cruciale où l'architecture nouvelle acquiert formes et caractères. L'œuvre est à considérer en parallèle avec Noyon, Saint-Germer de Fly et Senlis.
Le plan de Saint-Germain des Prés est bien dessiné autour d'un hémicycle régulier découpé en cinq travées rayonnantes. Il est porté par des colonnes au-delà desquelles nous trouvons un large déambulatoire ouvrant sur cinq chapelles au dessin ample et régulier. Leur centre d'épure est situé à 2m 50 du périmètre de distribution (tracé à l'axe). Nous sommes donc loin des plans de Saint-Germer et de Senlis où la chapelle peu profonde semble un additif réalisé sans conviction mais très proche du plan de Noyon. Seule différence l'addition des cinq chapelles de Saint-Germain n'atteint pas les 180°, ce qui est réalisé à Noyon. Les deux colonnes correspondant aux doubleaux de clôture sont déplacées en conséquence et le découpage rayonnant rattrapé. Les arcs-boutants trouveront donc des conditions optimum. Les chapelles rayonnantes comportent un support axiale comme à Senlis et Noyon. S'il est vrai que le maçon doit être jugé au pied du mur, le chevet de Saint-Germain des Prés témoigne, dès ses fondations, de la maîtrise de son auteur.
Contrairement aux trois édifices cités en comparaison, Saint-Germain des Prés est un programme à trois niveaux. Etablie sur des colonnes rondes et chapiteaux, l'élévation comporte des archivoltes en plein cintre sur la partie droite et de profil brisé sur l'hémicycle. Elles sont sans mouluration et restent donc fidèles à l'esprit basilical appliqué sur la nef au siècle précédent. Afin de "chapeauter" convenablement la toiture des chapelles rayonnantes, le comble du déambulatoire monte haut, ce qui donne un niveau médian (triforium) de 4m 50 environ, avec un mur périphérique de 2m au moins. Ce volume était donc largement accessible mais non voûté.
Au troisième niveau s'ouvrait un registre de fenêtres hautes. Une de bonne taille sur les travées rayonnantes, deux plus modestes sur les travées droites. Elles sont de profil brisé et coiffées d'un arc de décharge reposant sur deux colonnettes avec chapiteau. Nous avons là sans doute le modèle qui sera repris ensuite à Notre-Dame. Il y a donc une notable évolution architecturale avec celle des chapelles qui sont également en arc brisé mais sans mouluration ni colonnette.
L'extérieur respecte la facture de l'époque. Le plan médian des chapelles était dépourvu de contreforts, le seul que l'on voit aujourd'hui est un additif ultérieur maladroitement établi hors axe. Les travées hautes, par contre, sont ponctuées de contreforts modestes mais soignés. Ils seront ensuite coiffés par les arcs-boutants établis en fin de siècle. Malgré les querelles de spécialistes qu'ils ont engendrées, ces arcs représentent des aménagements ultérieurs, sans doute lancés après les premières expériences réussies sur Notre-Dame. Ce sont naturellement des arcs poids, les seuls imaginés à cette époque. Dépourvus de base spécifique, ils prennent appui maladroitement sur les murs médians des tribunes, ce sont les caractères de la haute Epoque 1180/1190 environ.
Aujourd'hui, l'aspect général de l'édifice a profondément changé. Les fenêtres hautes agrandies vers le bas ont dénaturé les baies du triforium, ce qui implique également une modification des combles. Heureusement les larmiers anciens subsistent et témoignent de la pente initiale des couvertures.
Ce chevet est entièrement voûté sur croisées d'ogives et le caractère de l'ensemble peut se résumer ainsi: dessin archaïque et traitement soigné. Sur les bas-côtés et le déambulatoire, tous les arcs sont en plein cintre et les ogives dont le dessin est proche du demi-cercle imposent une voûte bombée. Celle-ci est traitée selon un volume proche de la calotte, sans forme distincte pour les voûtains. Elle se distingue donc des oeuvres de Normandie conçues à partir d'une voûte d'arêtes mais également de celle de Saint-Denis et de Paris. C'est le dessin qui convient pour un coffrage homogène destiné au traitement du blocage et c'est ainsi, semble-t-il qu'elle fut réalisée. Sur le déambulatoire, la portion de voûtes donnant sur la chapelle est franchement dissociée pour rejoindre l'arc d'accès naturellement plus grand et plus haut que ses voisins. Ceci dénote plus un aménagement selon les besoins rencontrés qu'une composition maîtrisée dès l'origine, d'où le qualificatif "archaïque" initialement cité.
Les chapelles rayonnantes sont également dotées de voûtes sur croisées d'ogives. Le support axial permet d'établir une distribution relativement rationnelle avec cinq voûtains. Le premier correspond à l'ouverture de la chapelle, deux autres occupent les travées aveugles des murs mitoyens, tandis que les deux dernières correspondent aux fenêtres ouvertes à droite et à gauche de la pile axiale. Ces chapelles furent énergiquement restaurées comme l'ensemble de l'édifice et nous ignorons quel était le volume initial des voûtes, sans doute également une réalisation de caractère hybride, blocage et structure.
Restent les grandes voûtes. En plan elles reprennent la disposition innovée à Sens. Cinq voûtains rayonnants équilibrés par une demi-voûte sixte partite. La seconde travée droite reçoit une voûte barlong. Les doubleaux sont légèrement brisés, les ogives pratiquement en arc de cercle et les formerets en plein cintre. Cette distribution donne un vaisseau longitudinal homogène mais des voûtains perpendiculaires fortement bombés. C'est ce profil que nous trouvons également sur les travées rayonnantes. Nous avons donc là, à priori, l'image fidèle de ce qu'étaient les voûtes de Sens, à l'origine, avant les modifications intervenues au XIII°. Les auteurs qui ont travaillé sur Sens n'ont pas manqué de faire le rapprochement. C'est une composition apparemment satisfaisante mais qui engendre cependant une réaction externe de la part des voûtains perpendiculaires. Ce sont sans doute ces effets qui vont justifier les arcs-boutants précoces. En alignant le sommet de ces berceaux perpendiculaires, le constructeur de Notre-Dame de Paris évite ce problème. Aujourd'hui, l'état des voûtes de Saint-Germain des Prés, restauré à neuf au siècle dernier, nous prive de nombreuses observations de détail toujours riches d'enseignement.
Ce nouveau chevet de Saint-Germain des Prés sera momentanément limité à la seconde travée droite. Les moyens manquent pour continuer le programme. L'œuvre nouvelle est flanquée de deux tourelles d'escalier donnant accès aux fausses tribunes puis, très sommairement liées à l'abbatiale du XI°. Cette interruption de campagne qui devait être momentanée sera pratiquement définitive et la nef restera non voûtée jusqu'au XVII°.
Saint-Germain des Prés, édifice très disparate, a le grand mérite de nous enseigner sur les difficultés rencontrées par des programmes qui nous apparaissent aujourd'hui comme relativement homogènes. Les désaxements mineurs, les changements d'entraxe, comme ceux reconnus à Notre-Dame toute proche, ne sont ni des maladresses ni des changements dictés par la fantaisie mais bien le témoignage de difficultés rencontrées lors des raccordements en cours de travaux. Ils peuvent également annoncer des reprises sur des bases anciennes et ceci confirme les hypothèses que nous développerons sur Notre-Dame, et notamment l'existence d'une nef antérieure qui va conditionner l'œuvre nouvelle.